Fatigue chronique. Anxiété. Troubles de l'humeur. Hausse de la pression artérielle. La liste des impacts de l'apnée du sommeil est longue. Elle touche entre 5 et 10 % de la population, et pourtant, la majorité de ceux qui en sont atteints l'ignore. Y a-t-il un moyen de mieux démasquer ce mal à dormir debout ? Plusieurs spécialistes le croient.

Pendant longtemps, lorsqu'elle se réveillait, le matin, Lyne Cormier n'avait qu'une envie : dormir à nouveau. « Ce n'était pas normal : je venais de dormir toute une nuit, et une heure après m'être levée, je me recouchais jusqu'à l'heure du dîner ! »

Au fil des mois, et des années, la fatigue s'est accumulée. Puis, la dépression s'est installée. « Je me sentais fatiguée, mais je me disais que c'était parce que j'avais deux enfants, raconte-t-elle. Sauf que, de plus en plus, j'avais du mal à me concentrer au travail, j'avais des pertes de mémoire, j'étais irritable à la maison... À un moment donné, je n'étais plus fonctionnelle. »

Son médecin a alors diagnostiqué une dépression, mais la fatigue de sa patiente le préoccupait. Il a voulu aller plus loin. Lyne a d'abord passé un examen chez un oto-rhino-laryngologiste pour s'assurer que ses voies respiratoires n'étaient pas obstruées. Comme le spécialiste n'a rien noté d'anormal, le médecin a redirigé la mère de famille vers une clinique du sommeil.

Là, on a suggéré à Lyne Cormier un examen à domicile. Pendant deux nuits, elle a dormi avec un appareil branché à elle, pour enregistrer notamment le taux d'oxygène dans son sang.

Deux semaines plus tard, le verdict est tombé. « La pneumologue de la clinique m'a avisée que je faisais de l'apnée du sommeil, mais de façon sévère », raconte Mme Cormier. 

Il existe plusieurs types d'apnée, mais celui dont souffre la mère de famille est courant. Toutes les nuits, alors qu'elle ronflait allègrement (« mon amoureux me dit que je sonne comme un truck ! »), l'obstruction de ses voies respiratoires entraînait un phénomène tout, sauf reposant : son cerveau, alerté par le manque d'oxygène, la forçait à se réveiller plusieurs fois chaque heure. Elle ne se souvenait pas de ces réveils, mais elle manquait cruellement de sommeil.

« J'étais surprise ! Je ne m'attendais pas à ce que ce soit si important. Imaginez : j'arrêtais de respirer en moyenne 38 fois par heure ! », dit Lyne Cormier.

DÉPRESSION, APNÉE, OU LES DEUX ?

Des histoires comme celle de Lyne Cormier ne surprennent pas la Dre Katéri Champagne. Pneumologue, elle a approfondi ses connaissances en médecine du sommeil aux États-Unis, et pratique dans ce domaine en particulier à l'Institut de médecine du sommeil, à Montréal.

« Ça fait 15 ans que je l'observe : il y a vraiment un phénomène qui lie le tableau dépressif et l'apnée obstructive du sommeil », explique la médecin. Un constat qui est appuyé par plusieurs recherches. Entre 2006 et 2009, plusieurs chercheurs ont publié des études révélant qu'entre 40 et 50 % des patients en dépression présentaient de l'apnée obstructive du sommeil.

« À mon avis, c'est tout le concept de la dépression qu'il faut revoir. Si, effectivement, 50 % des personnes qui ont une dépression font de l'apnée du sommeil, toute la conceptualisation de la dépression est à repenser. On a maintenant une thérapie sans médicament qui s'attaque à la cause et non pas aux symptômes. »

« En plus, les antidépresseurs peuvent faire gagner du poids - et augmentent les risques d'apnée. Je ne dis pas que 100 % des patients dépressifs font de l'apnée, mais je connais plusieurs psychiatres qui font maintenant évaluer le sommeil de leurs patients s'ils ont des doutes. »

Tout comme Lyne Cormier, entre 5 et 10 % des Québécois souffriraient d'apnée du sommeil. Pourtant, plusieurs personnes atteintes ne le savent pas.

« Jusqu'à 90 % des gens qui en font l'ignorent. Ça ne veut pas dire que tout le monde doit être traité, mais beaucoup de patients bénéficieraient au moins d'avoir une discussion à ce sujet », dit la Dre Katéri Champagne.

DIFFICILE DIAGNOSTIC

N'empêche, parce que les symptômes de l'apnée du sommeil s'apparentent à plusieurs pathologies, il est difficile pour les médecins de cerner facilement le problème.

Le Collège des médecins suggère à ses membres de mener d'abord une enquête détaillée sur la qualité du sommeil du patient, et de bien considérer tous ses antécédents médicaux. Un examen physique peut aussi indiquer que la respiration peut être obstruée pendant la nuit (voir texte « Le (vrai) visage de l'apnée »).

Une fois que tout laisse présager la présence possible d'apnée, le patient peut subir deux types de tests : passer une nuit complète en laboratoire, ou encore utiliser une petite machine pour faire un test à domicile.

« Le test à domicile va mesurer l'entrée et la sortie d'air au niveau du nez, l'effort respiratoire au niveau du thorax, l'oxygène et la fréquence cardiaque, indique la Dre Champagne. On ne mesure toutefois pas les réveils du cerveau. Ce test fonctionne bien chez les hommes obèses, ou les patients qui présentent beaucoup d'étouffements pendant la nuit. »

« Pourquoi ? Parce que ces patients vont avoir des arrêts complets de respiration qu'on pourra mesurer facilement. En laboratoire, on pourra documenter des événements plus fins, ou différents. »

L'apnée se présente sous plusieurs formes, et parfois, un patient qui semble respirer normalement, ou qui ne ronfle pas, connaîtra des réveils qui ne sont perceptibles qu'en laboratoire.

La médecin ajoute donc que si un test à domicile s'est montré négatif, il peut être avisé de poursuivre les recherches avec un examen en laboratoire, question d'en avoir le coeur net.

LES SOLUTIONS

Et que faire, si un médecin diagnostique la présence d'apnée du sommeil ? L'un des traitements les plus efficaces demeure l'appareil de pression positive, ou le fameux CPAP. L'air qui sort du masque lié à cette machine garde les voies respiratoires ouvertes, limitant du coup les réveils.

Pas question, toutefois, de prescrire ce type d'appareil à tous les patients. « Parfois, chez certains patients, on agit sur les allergies qui peuvent suffire à bloquer la respiration. On va alors enlever l'oreiller de plumes, voir à ce que le chat ne soit pas dans la chambre à coucher, ou encore ajuster la médication... », explique la Dre Champagne.

D'autres verront aussi leur condition s'améliorer en dormant tout simplement sur le côté, ou la tête surélevée. « Évidemment, il faut suivre les patients et évaluer les risques. Si j'ai un patient de 50 ans dont tout le monde dans la famille a des incidents cardiaques à 52 ans, je vais être plus agressive dans le traitement », précise la spécialiste.

Dans tous les cas, les patients doivent être suivis de près. Et, souvent, le traitement de l'apnée a des impacts majeurs chez ceux qui en souffrent. « Au début, je devais me concentrer pour garder ma bouche fermée en dormant avec mon appareil, mais je me suis adaptée », dit Lyne Cormier. 

« Maintenant, j'ai tellement plus d'énergie ! Au bout d'une semaine, j'ai perçu des changements, et je me sens sur la bonne pente », dit Lyne Cormier.

Elle ne croit pas que sa dépression était entièrement liée à l'apnée du sommeil, mais le sommeil réparateur lui permet de sortir la tête hors de l'eau, confie-t-elle. Peu de temps après l'introduction d'un traitement, elle a d'ailleurs effectué un retour progressif au travail.

« Ç'a été un choc d'apprendre que je faisais de l'apnée, mais de mieux dormir, ça m'aide à me prendre en main, c'est certain ! »

De lourds impacts

L'apnée du sommeil a de multiples impacts sur la santé. En voici quelques-uns : 

• Fatigue

• Anxiété

• Agitation (pour éviter de s'endormir)

• Hypertension artérielle

• Manque de concentration

LE (VRAI) VISAGE DE L'APNÉE

Les patients que traite la Dre Katéri Champagne ont été recommandés par un médecin qui suspecte un trouble du sommeil. La majorité d'entre eux ont toutefois autre chose en commun : des traits physiques étrangement semblables.« J'en parle beaucoup aux médecins de famille et aux psychiatres: il y a des éléments physiques, reconnaissables dès le premier regard, qui devraient tout de suite nous donner un indice » que le patient ne respire pas bien la nuit.

Sans qu'ils soient toujours liés à l'apnée du sommeil, voici quelques-uns de ces attributs.

MENTONLe menton reculé en comparaison au front peut indiquer la présence d'apnée du sommeil. La respiration chez ceux qui ont un menton fuyant se fait de façon moins harmonieuse, qu'il y ait ronflement ou non.

NEZSi, au cinéma, le petit nez étroit a la cote, il est considéré comme plutôt suspect chez les médecins qui s'intéressent à l'apnée du sommeil. « L'air ne passe pas si bien que ça chez les gens ayant un nez fin », explique la Dre Champagne.

ABDOMENL'abdomen plus « large » que la moyenne. Normalement, les pectoraux doivent être plus proéminents que les muscles du ventre. « Pour les femmes, on le visualise plus difficilement que chez l'homme, mais gardons en tête que le modèle plus musclé, ou plus svelte, courra moins de risque d'apnée que le modèle plutôt bedonnant », vulgarise la Dre Champagne.

DENTSSouvent de pair avec le visage étroit, un mauvais alignement des dents est aussi à considérer. « Quand on ne voit que deux ou quatre dents lorsque les gens parlent, qu'on remarque que les dents sont superposées, ou qu'il y a un espace marqué entre les dents du haut et du bas... ces problèmes de bouche étroite nous donnent un signal que le patient est à risque d'apnée du sommeil. »

VISAGELa forme du visage est aussi indicative. « Parfois, c'est difficile à remarquer parce que les patients ont le visage rond à cause d'un surpoids, mais en regardant bien, si le visage est étroit, c'est que l'air passe moins bien. »

COULe cou plus large qu'à la normale compte tenu de la taille du patient peut entraîner des difficultés à bien respirer la nuit.