Les meilleurs athlètes ont aujourd'hui la possibilité de se spécialiser très, très jeunes dans leur sport. Camps d'élite, entraîneurs privés, compétitions, entraînements toute l'année: ils progressent, mais comment les protéger du surentraînement?

Samedi matin, 9 h 30, Pheobe Winser entre, tout sourire, dans le Club sportif Côte-de-Liesse, à Montréal. La veille, elle était à bord d'un avion, de retour du Royaume-Uni.

«On va prendre ça assez relaxe, aujourd'hui», nous prévient son entraîneur physique, Dean Hollingworth. Il a offert une pause à la jeune athlète de 13 ans, le temps de se remettre du décalage, mais la patineuse artistique tenait à sa séance d'entraînement. «On lui a dit qu'on pouvait annuler, mais c'est elle qui voulait être là», confirme son père.

«On va commencer par des squats», dit Dean à Phoebe, après une période d'échauffement. La jeune fille s'exécute et elle lui décoche un sourire fier: malgré un séjour à l'étranger, elle a suivi son programme d'entraînement, qui visait notamment à améliorer la stabilité de ses genoux. «Très bien! On voit que tu as fait tes exercices! Maintenant, on va travailler les sauts...»

Embauché par les parents de Phoebe, Dean veille à ce que Phoebe se développe «comme athlète dans un sens large». Ses exercices, elle les fait pour s'améliorer en patin, mais aussi pour développer ses aptitudes sportives en général.

Classée parmi les meilleures patineuses artistiques au Québec, la jeune fille voit grand. Elle met tous les efforts pour se tailler une place au sommet. Elle patine entre deux et trois heures par jour, six fois par semaine. Elle s'entraîne aussi à l'extérieur de la glace, de 30 à 60 minutes quotidiennement.

Même s'il travaille de pair avec les entraîneurs de patin de Phoebe, Dean précise qu'il doit voir le tableau plus large: «Un coach ne doit pas être seulement celui qui fait courir les athlètes... il faut les développer globalement, physiquement et comme humains», explique-t-il.

Car dans l'élite sportive, la spécialisation se fait de plus en plus jeune, constate l'entraîneur certifié, qui a notamment travaillé avec la joueuse de tennis Eugenie Bouchard et l'équipe nationale de waterpolo. Il est aussi responsable de l'entraînement de jeunes d'un programme sport-études.

Même s'il gagne sa vie à encadrer de jeunes athlètes d'élite, il lui arrive régulièrement de leur suggérer de prendre une petite pause. Pour éviter les blessures, oui, mais aussi pour que les jeunes sportifs développent une vie sociale. Un réseau qui, ultimement, les protégera contre le surentraînement, ou l'épuisement. «Il y a un party vendredi soir? Ça fait longtemps que tu n'as pas vu tes amis? Vas-y!»

Tracer la ligne

Un étage plus haut, Patrick Winser attend Phoebe. Sa fille a deux frères aînés qui ont aussi travaillé avec Dean pour progresser dans leurs sports respectifs, le rugby et le tennis. C'est entre autres pour veiller à ce que Phoebe suive un parcours sain dans un monde ultra-compétitif que M. Winser a retenu les services d'un entraîneur privé.

«Quand j'étais plus jeune, il n'y avait pas une si grande structure autour des jeunes sportifs», fait remarquer l'ex-joueur d'ultimate frisbee, qui a évolué au niveau international.

Martin Longchamps, président de l'association de hockey mineur des Braves d'Ahuntsic, abonde dans son sens. «Avant, la question du surentraînement se posait beaucoup plus tard, pour des jeunes de 14, 15, 16 ans qui jouaient 12 mois sur 12 et qui répétaient tout le temps les mêmes gestes. Maintenant, dès le niveau novice - 7 ou 8 ans -, ils font du hockey d'été, des écoles spécialisées et des cliniques de perfectionnement en plus de leur saison régulière de hockey. Ce n'est pas une majorité, mais on doit dealer avec ça», explique celui qui s'implique dans le sport amateur depuis 22 ans.

Martin Longchamps suggère qu'un joueur de niveau atome - 9 à 11 ans - se retrouve sur la glace au maximum quatre fois par semaine, entre septembre et avril. «C'est le point de saturation. Il faut qu'il y ait un équilibre, à un moment donné. Jusqu'où tu vas te perfectionner et apporter la petite coche de plus?»

Jonathan Tremblay, docteur en sciences de l'activité physique et professeur adjoint en kinésiologie à l'Université de Montréal, estime pour sa part que la question du surentraînement sportif chez les jeunes doit être prise au cas par cas. «Une même charge d'entraînement pour un athlète chez qui ça va bien, dans la vie et à la maison, qui a des amis et pour qui le sport ne prend pas toute la place, va être beaucoup plus facile à supporter que pour un autre dont la vie ne va pas aussi bien», explique celui qui est aussi directeur scientifique à l'Institut national du sport du Québec.

Il y a toutefois des limites, précise-t-il. «Avant la puberté, même avant la fin de la puberté, on ne veut pas surspécialiser l'enfant dans son sport. Plus l'enfant est jeune, plus on met l'emphase sur l'aspect ludique du sport. Progressivement, on développe les habiletés sportives et on les expose à la compétition.»

Et les autres jeunes hyper encadrés, qui progressent rapidement, autour? «Si l'on retarde la spécialisation de l'athlète, on nuit à son développement à très court terme, mais on va peut-être en faire un champion olympique à 25 ans.»

Il expose le cas d'écoles sportives d'élite, en Allemagne, qui devaient produire des champions en encadrant les enfants dès le plus jeune âge. Au bout d'un moment, les responsables du programme se sont rendus à l'évidence: les meilleurs athlètes du pays ne venaient pas de ces écoles. Ceux qui se démarquaient avaient pratiqué plusieurs sports, sans se spécialiser dans l'enfance. Mieux, ils avaient un meilleur réseau social autour d'eux et démontraient une plus grande résilience.

Mais parfois, le désir de performer très jeune dans un seul sport vient de l'enfant lui-même, non ? Martin Longchamps a une réponse toute faite à cet argument: «Si votre enfant aime la tarte au sucre, allez-vous le laisser en manger tous les soirs? À un moment donné, on doit jouer notre rôle de parent.»

Surmenage ou surentraînement?

Jonathan Tremblay, docteur en sciences de l'activité physique, précise que le surentraînement, dont les impacts vont des blessures physiques à la fatigue psychologique, vient après des mois de surmenage. Une semaine d'entraînement très intense peut certes entraîner une fatigue momentanée, mais si le jeune a l'occasion de bien récupérer, il en tirera, au contraire, des bénéfices.

Des parents aux aguets

Dans la petite cafétéria du Club sportif Côte-de-Liesse, à Montréal, Tasso Kanellopoulos et Christian Meunier ont leurs habitudes. Attablés devant un café, ils discutent pendant que leurs fils, Tom et Vincent, s'entraînent dans le gymnase.

Les deux jeunes joueurs de hockey de 13 ans évoluent dans l'équipe élite de leur collège privé, à Laval, mais ils s'entraînent aussi à l'extérieur de la glace. Régulièrement, les deux coéquipiers rencontrent Dean Hollingworth, un entraîneur certifié qui leur propose un programme adapté à leur vie de hockeyeur.

Au programme, donc, des exercices pour travailler la vitesse, les muscles et les réflexes. «Sans entraînement, on n'irait pas loin!, s'exclame Vincent Meunier, en sueur, après une série de sauts par-dessus des obstacles. Je veux me rendre le plus loin possible dans mon sport.» À ses côtés, Tom Kanellopoulos acquiesce: «Je travaille à 100 % quand je fais mes exercices. Je veux devenir un meilleur athlète.

Fier de l'enthousiasme de son fils, M. Kanellopoulos lui met toutefois des limites. Car même si son entraîneur lui suggère une pause, le jeune hockeyeur en redemande. Encore et encore. «Mon fils adore ça. Il s'entraînerait tout le temps, mais il lui faut quand même au moins un mois de repos. On était en vacances et Tom voulait que j'appelle Dean pour avoir des suggestions d'exercices à faire sur la plage. Je lui ai dit: "Non. Là, tu es en voyage, tu joues dehors et tu te reposes..."»

Patrick Winser, père d'une jeune patineuse artistique, ajoute pour sa part que sa femme et lui veillent à ce qu'il y ait «un équilibre» dans la vie de leur fille, même si le sport occupe une très grande place.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Ces exercices visent à développer des muscles qui ne sont pas toujours sollicités dans le quotidien de patineuse artistique de Phoebe, 13 ans.

Il insiste sur les efforts que met sa fille dans le sport et à l'école, et il se concentre moins sur les résultats, qui ne dépendent pas toujours d'elle, explique-t-il.

Mais parfois, malgré eux, certains parents s'emballent, remarque Dean Hollingworth. «Parler avec les parents, parfois, ce n'est pas facile. Certains aiment le contrôle. Ils ne sont pas mal intentionnés, mais parfois, ça ne va pas, résume-t-il. Une jeune fille avec qui j'ai travaillé passait un nombre d'heures ridicule sur le terrain de tennis. Elle s'entraînait plus que les pros et elle n'avait que 14 ans!»

- Est-ce que ça fonctionnait? Avait-elle de bons résultats?

- Non. Pas du tout. C'en était vraiment triste. Et elle a fini par se blesser... une hernie dans le bas du dos.»

Variété cruciale

Un jeune athlète a beau exceller dans un sport, avant la puberté, il doit idéalement apprendre à pratiquer trois ou quatre activités pour bien se développer, estime Jonathan Tremblay, docteur en sciences de l'activité physique. La surspécialisation dans un domaine donne un avantage aux jeunes athlètes à court terme seulement.

Que ce soit de façon informelle, ou de manière un peu plus compétitive, il est donc important de veiller à ce que nos enfants sachent pratiquer plusieurs sports...

Il y a des sports qui demandent un développement hâtif, comme la gymnastique et le patinage artistique. Ces athlètes doivent performer à un haut niveau en bas âge, mais ça nuit au développement physique à long terme de se spécialiser à cet âge. J'ai travaillé avec des patineurs artistiques sur l'équipe nationale, et à 18 ou 19 ans, certains n'étaient pas capables de lancer une balle. Ils n'en avaient jamais lancé une, parce qu'ils étaient exemptés de leurs cours d'éducation physique puisqu'ils étaient des athlètes en patinage. Ils ne savaient donc pas faire grand-chose d'autre que de patiner. Souvent, quand ils sont rendus sur l'équipe nationale, on doit leur réapprendre à sauter, à courir, à lancer une balle, parce que c'est nécessaire pour réussir à un haut niveau.

Que doit-on garder en tête, comme parents, devant les succès de notre jeune athlète?

Il faut mettre l'accent sur le développement holistique de l'enfant, c'est-à-dire que les enfants pratiquent d'autres activités sportives, mais qu'ils peuvent aussi voir d'autres enfants, avoir une vie sociale. Au Canada, on encourage les jeunes à développer plusieurs aptitudes. Par exemple, en ski alpin, dès un très jeune âge, on fait faire aux enfants du slalom dans des portes. On s'est rendu compte que ce n'était que de la répétition, et maintenant, on fait aussi glisser les jeunes dans les bosses. Il y a plus d'échanges entre les activités sportives sur la montagne, pour amener les enfants à développer des aptitudes sportives générales.

Et c'est à long terme que les effets positifs vont se faire sentir?

Quand on parle d'aptitudes littéraires, en langue, c'est la capacité à reconnaître le vocabulaire, les métaphores, différentes expressions... un bagage qui nous permet de comprendre différents textes. En sport, c'est un peu la même chose : on parle d'un bagage d'habiletés sportives de base, comme sauter, lancer un ballon, se projeter dans les airs, glisser, nager... Ces aptitudes vont amener l'enfant à se développer de manière beaucoup plus complète. Il va pouvoir prendre des décisions dans le sport, s'adapter, percevoir l'information... [...]

Un enfant qui a beaucoup joué au volleyball et au basketball va avoir appris à sauter d'une certaine façon. Mais s'il a appris à faire de la gymnastique, aussi, et qu'il a appris à faire des roulades, il va varier ses types d'atterrissages. Ça lui donne des compétences différentes et ça peut l'amener à supporter une plus grande charge d'entraînement.

Ces jeunes sont alors moins à risque de surmenage, ou de surentraînement?

Exactement, parce que les groupes musculaires sont capables de mieux se coordonner ensemble pour répondre à une certaine tâche. Il y a alors moins de risque de surutilisation d'un muscle, donc de blessures à répétition comme chez un enfant qui pratique toujours le même sport. Et d'un point de vue psychologique, en ajoutant de la variété, il y a moins de monotonie. On développe alors l'enfant de façon plus globale.

Mais dans la réalité, on cherche très tôt à cibler l'élite dans le sport. C'est comme un engrenage...

Ah, les systèmes de détection de talent... Vous savez, les entraîneurs qui vous disent qu'ils ont vu un talent dans votre enfant? On a de belles preuves que la détection de talent en bas âge, ça ne fonctionne pas. Un enfant, avant la puberté, c'est pratiquement impossible de pouvoir dire qu'il va avoir du succès rendu à 20 ou 25 ans, parce qu'il y a tellement de facteurs qui influencent le talent à long terme: les aptitudes physiques et psychologiques, la résilience, la résistance physique... C'est vraiment très difficile. Il y a beaucoup de spécialistes dans le monde qui ont essayé de faire de la détection de talent, mais ça n'a jamais eu trop de succès jusqu'à maintenant.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Le sport d'élite, c'est bien, mais il faut parfois prendre des pauses, insiste Dean Hollingworth, entraîneur certifié.

Des signes à tenir à l'oeil

Dans son enthousiasme, notre jeune sportif part chaque matin faire son jogging pour améliorer ses performances. Puis, on accepte des invitations à de nombreux camps spécialisés. Aux nombreuses compétitions, des heures d'entraînement s'ajoutent... et le sport prend beaucoup, beaucoup de place. Parce qu'un enfant ou un adolescent n'arrive pas toujours à fixer lui-même ses limites, voici, selon les experts que La Presse a consultés, les signes de fatigue psychologique et physique auxquels les adultes autour devraient porter attention.

• La motivation pour le sport diminue soudainement.

• Le jeune éprouve des difficultés à dormir.

• Son tempérament devient maussade et il s'isole.

• Le jeune ne progresse plus dans son sport pendant plusieurs mois, ou il régresse.

• Il ne sourit pas à l'entraînement.

• Les résultats scolaires baissent.

• L'alimentation change.

• Les blessures s'accumulent.

Des conseils pour les parents: canadiansportforlife.ca/fr/parents