Mars et Vénus ne seraient pas distincts que sous la couette. Une fois endormis, les hommes et les femmes évolueraient là aussi sur deux planètes. Une récente étude révèle que les cauchemars des femmes contiennent davantage de conflits interpersonnels et ceux des hommes, de cataclysmes et d'agressions physiques. La porte s'entrouvre sur un univers aussi complexe qu'intime.

Clichés, les cauchemars?

Un homme se retrouve dans une île déserte, après être tombé d'un bateau. Il a survécu, mais il constate soudainement qu'il a de l'eau dans les poumons. Il a alors la profonde certitude qu'il ne lui reste que quelques minutes à vivre. Seul au milieu de l'océan, il comprend qu'il ne reverra plus ses enfants.

L'horreur.

La détresse est si grande que le rêveur se réveille en sursaut. Il vient de vivre ce que le professeur et chercheur Antonio Zadra, de l'Université de Montréal, qualifie de cauchemar typique. Un univers aux émotions si intenses qu'elles mènent au réveil.

M. Zadra a relevé un défi colossal: avec l'étudiante au doctorat Geneviève Robert, il a analysé près de 10 000 récits de rêves rapportés par 572 participants anonymes. L'objectif : différencier les cauchemars des mauvais rêves (les premiers provoquent un réveil, contrairement aux seconds) et, surtout, se pencher sur le contenu même de ces rêves.

Sur le lot, 684 rêves au contenu plus négatif ont été retenus. Autant d'histoires tristes, invraisemblables et terrifiantes. Une fois toutes les émotions compilées, une tendance se dégage de cette enquête: les hommes et les femmes rêvent différemment.

«[Dans cette étude], les femmes rapportent deux fois plus de cauchemars où la thématique principale touche les conflits interpersonnels. Les hommes, de leur côté, font beaucoup plus de cauchemars où il est question de guerres, de désastres naturels, comme une inondation, un tremblement de terre, une infestation d'insectes... Beaucoup de thèmes se rejoignent entre les deux sexes et il n'y a pas de règle absolue, mais il y a sans aucun doute des différences», explique Antonio Zadra.

Un conjoint infidèle, un supérieur déraisonnable, un proche injuste... Les femmes se sentent souvent diminuées et incomprises dans leurs cauchemars. Les hommes, eux, sont surtout axés sur l'attaque, ou encore sont sur la défensive. Bref, dans l'action.

En fait, les thèmes qui font qu'un film intéressera généralement un public féminin ou masculin sont les mêmes qui nous interpellent la nuit. Sauf que, cette fois-ci, le film d'horreur n'a qu'un unique spectateur. Un spectateur captif.

Les femmes plus touchées

Autre fait marquant: les femmes font beaucoup plus de cauchemars que les hommes. «C'est quelque chose de très connu dans le domaine, explique Tore Nielsen, professeur à l'Université de Montréal et directeur du Laboratoire des rêves et cauchemars de l'hôpital du Sacré-Coeur. Les femmes se souviennent généralement beaucoup plus de leurs rêves que les hommes. Il y a une grande différence à ce chapitre, et on ne sait pas pourquoi. Tellement que ça influence nos recherches aussi, parce qu'on a souvent du mal à trouver assez d'hommes pour nos tests.»

Antonio Zadra abonde dans le même sens. Il remarque aussi que les femmes prêtent une attention plus grande à leurs rêves, alors que les hommes, au contraire, ont tendance à minimiser les impacts d'un cauchemar.

De plus, le fait que, statistiquement, les femmes soient plus anxieuses que leurs pairs masculins pourrait aussi expliquer pourquoi elles sont plus sujettes aux cauchemars. «Il y a des gens qui, de façon naturelle, répondent à des stress dans leur vie avec une charge émotive beaucoup plus forte, explique M. Zadra. Ça a un plus grand impact sur le plan psychologique. Ce sont ces gens-là qui sont susceptibles de faire des cauchemars.»

Un prochain défi pour le chercheur pourrait être de trouver quel niveau de stress déclenche un cauchemar. Hypothétiquement, on peut donc espérer qu'un jour, il sera possible de prévoir l'apparition d'un cauchemar, et (ô joie!) de le tuer dans l'oeuf.

Pourquoi rêve-t-on?

La fonction même du rêve (et, surtout, du cauchemar) relève presque de la philosophie. Elle se classe tout près des «qui suis-je?» et autres «d'où venons-nous?» qui nous taraudent depuis toujours.

Plusieurs scientifiques évoquent la piste évolutionniste. Ainsi, on pourrait rêver afin de mieux réagir à des situations de la vie réelle. Une sorte de répétition, donc.

Une théorie intéressante, mais qui ne dit pas tout, affirme Antonio Zadra, professeur en psychologie à l'Université de Montréal.

«Peut-être est-ce un restant des circonstances dans lesquelles on vivait dans notre milieu ancestral ? Dans beaucoup de cauchemars, il y a des gens qui vont se réveiller avant un dénouement, ou bien qui vont avoir des solutions fantastiques : ils vont se mettre à voler, ils vont faire disparaître quelqu'un... des choses qui ne fonctionneraient pas très bien à l'état de veille. C'est une idée intéressante, mais ce n'est certainement pas la réponse complète.»

Tore Nielsen, professeur à l'Université de Montréal, ajoute que le rêve a une fonction sans équivoque sur le plan de la mémoire et des apprentissages. Plusieurs études sont d'ailleurs menées pour détailler ces connaissances au Laboratoire des rêves et cauchemars de l'hôpital du Sacré-Coeur.

N'empêche, il flotte toujours une aura de mystère autour des songes. «Je crois qu'il y a quelque chose, mais je ne sais pas quoi, concède M. Zadra. Si on se demande quelle est la fonction de rêver, on peut aussi se demander quelle est la fonction d'être réveillé ! Je pense que le fait de rêver a une importance, une fonction, mais je pense que cette fonction est indépendante du fait que l'on se souvienne de nos rêves, ou pas. S'il faut se souvenir de nos rêves pour qu'un processus fonctionne, c'est un phénomène d'une inefficacité colossale!»