Des infections considérées aujourd'hui comme mineures risquent à nouveau de tuer si rien n'est fait globalement et de façon urgente pour lutter contre la résistance aux antibiotiques, a averti mercredi l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Un nouveau rapport alarmiste de l'OMS, le premier portant sur la résistance aux antimicrobiens à l'échelle mondiale, affirme que «cette grave menace n'est plus une prévision, mais bien une réalité dans chaque région du monde».

Les antibiotiques sont considérés par l'OMS comme l'un des piliers de notre santé, nous permettant de vivre plus longtemps et en meilleure santé. Mais leur usage inapproprié les a rendus quasiment inefficaces en quelques décennies.

«À moins que les nombreux acteurs concernés agissent d'urgence, de manière coordonnée, le monde s'achemine vers une ère post-antibiotique, où des infections courantes et des blessures mineures qui ont été soignées depuis des décennies pourraient à nouveau tuer», prévient le Dr Keiji Fukuda, sous-directeur général de l'OMS pour la sécurité sanitaire.

«Si nous ne prenons pas des mesures significatives pour mieux prévenir les infections, mais aussi pour modifier la façon dont nous produisons, prescrivons et utilisons les antibiotiques, nous allons perdre petit à petit ces bénéfices pour la santé publique mondiale et les conséquences seront dévastatrices», affirme-t-il.

Or «nous avons besoin de ces médicaments pour protéger les personnes les plus vulnérables», a-t-il souligné, citant les prématurés et les personnes atteintes d'un cancer.

Le rapport, qui se base sur les données provenant de 114 pays, note que la résistance existe pour de nombreux agents infectieux, mais il met l'accent sur la résistance aux antibiotiques de sept bactéries responsables de maladies graves courantes telles que les infections hématologiques (septicémie), les diarrhées, les pneumonies, les infections des voies urinaires et la gonorrhée (infection sexuellement transmissible).

Selon l'OMS, les résultats «très préoccupants» témoignent de la résistance aux antibiotiques, en particulier à ceux «de dernier recours» utilisés contre certaines bactéries résistantes.

Pour les ONG, le constat est le même. «Nous constations des taux effrayants de résistance aux antibiotiques partout où nous travaillons», a déclaré Jennifer Cohn, directrice de la campagne pour l'accès aux médicaments de Médecins sans frontières (MSF).

Or les outils essentiels pour lutter contre la résistance aux antibiotiques - tels que des systèmes de base pour assurer le suivi et la surveillance du phénomène - sont insuffisants ou n'existent pas dans de nombreux pays, selon les experts.

La menace de l'E. coli et du Klebsiella pneumoniae

Parmi ses principales conclusions, l'OMS note que la résistance aux carbapénèmes, un traitement de dernier recours contre les infections potentiellement mortelles causées par une bactérie intestinale courante, Klebsiella pneumoniae (une cause majeure d'infections nosocomiales telles que la pneumonie, les infections hématologiques ou les infections contractées par les nouveau-nés et les patients des unités de soins intensifs) s'est propagée à toutes les régions du monde.

Les experts ont également constaté une forte résistance -- en particulier en Afrique, en Asie du Sud-Est, dans les Amériques et au Moyen-Orient -- de la bactérie E. coli aux céphalosporines et aux fluoroquinolones de troisième génération - deux types de médicaments antibactériens essentiels et largement utilisés. Dans les années 1980, lorsque les fluoroquinolones ont été introduits pour la première fois, la résistance était quasiment nulle: aujourd'hui le traitement est désormais inefficace pour plus de la moitié des patients dans de nombreuses parties du monde.

L'OMS souligne aussi que l'échec du traitement de dernier recours contre la gonorrhée (plus d'un million de personnes sont infectées dans le monde chaque jour par cette infection sexuellement transmissible) - les céphalosporines de troisième génération - a été confirmé en Afrique du Sud, en Australie, en Autriche, au Canada, en France, au Japon, en Norvège, au Royaume-Uni, en Slovénie et en Suède.

Par ailleurs, les infections au staphylocoque doré (aureus) résistantes à la méthicilline atteignent 90% des cas dans certains endroits de la région des Amériques et 60% dans certains lieux en Europe.

«Le risque de décès augmente»

Conséquence de cette résistance aux antimicrobiens, «les patients sont malades plus longtemps et le risque de décès augmente». Les personnes atteintes du staphylocoque doré résistant à la méthicilline ont par exemple un risque de décès 64% plus élevé que celles atteintes d'une forme non résistante de l'infection.

Pour l'OMS, l'usage inapproprié des antimicrobiens est une des principales causes de résistance: dans les pays pauvres, les doses administrées sont trop faibles et dans les pays riches leur utilisation est au contraire excessive.

L'OMS dénonce aussi le manque de surveillance de l'usage des antibiotiques chez les animaux destinés à la consommation.

Le présent rapport donne le coup d'envoi des efforts mondiaux menés par l'OMS pour combattre la résistance aux médicaments, qui recommandent notamment la mise en place de systèmes pour surveiller le phénomène, la prévention des infections et la mise au point de nouveaux antibiotiques.

Elle rappelle que chacun peut contribuer à lutter contre la résistance en utilisant les antibiotiques uniquement lorsqu'ils sont prescrits par un médecin, en terminant le traitement conformément à l'ordonnance même si l'on se sent mieux et en ne partageant jamais des antibiotiques avec d'autres personnes.