Café au lait? «Non, merci. Je prendrais un espresso. Double!», précise avec douceur l'auteure et yogi Nicole Bordeleau qui, malgré ce qu'on pourrait en penser, ne dédaigne pas une bonne dose de caféine. Justement, c'est bien de Zénitude et double espresso, son second livre qui est sorti au début du mois d'avril, qu'il est question. Ça, et d'autres choses fondamentales, mais combien volatiles... Petite jasette spirituelle autour d'un café fumant.

Douce frénésie

Sur le chemin qui mène au bistro du coin, Nicole Bordeleau sort un billet de 5$ qu'elle offre à un sans-abri. Son budget hebdomadaire de dons vient d'y passer, mais elle réserve aux autres ses charités habituelles: sourires et matières à penser semés généreusement sur son passage.Le regard lumineux, une présence forte dans un corps frêle, Nicole Bordeleau dégage bien-être et humilité, ainsi que la sagesse de ceux qui ont eu plusieurs «vies». Trois, dans son cas, comme elle l'a confié dans son premier livre Vivre, c'est guérir: la première correspondant à ses années de dépendance aux drogues, la deuxième, à sa carrière de chroniqueuse mode, et, tournant de la dernière, un diagnostic d'hépatite C qui lui a imposé un virage à 180 degrés. Un cadeau mal emballé qui, selon ses propres aveux, l'a mise au monde.

Qu'elle touche autant de gens n'est sûrement pas étranger à cette renaissance. Que ce soit à travers ses livres, son site YogaMonde, ses cours, sur Twitter ou sur Facebook où sa page compte près 15 000 mentions «J'aime», Nicole Bordeleau inspire et attire les confidences, souvent douloureuses... «Des fois, je ne sais pas quoi faire avec ça. Je n'ai pas les outils, les connaissances, la sagesse pour répondre à ça, admet-elle en toute modestie. Je ne donne pas de conseils, mais je fais en sorte qu'ils sachent que quelqu'un a entendu leur peine.»

À ceux qui seraient tentés de lui coller l'étiquette de gourou, elle répond: «Mon approche est pratico-pratique. Je n'ai jamais cherché à léviter. C'est peut-être ce qui me permet, d'ailleurs, de rejoindre autant le camionneur que celui qui cherche plus de spiritualité.»

Les deux pieds sur terre, même si c'est en position du guerrier, Nicole est de ceux qui croient que «double espresso» et «zénitude» n'ont rien d'incompatible. C'est d'ailleurs le questionnement qui a guidé son dernier livre. Et comme pour appuyer ses propos, l'endroit choisi pour cette rencontre - avec ses bruits de tasses qui s'entrechoquent, l'agitation du trafic, le bourdonnement intense des autres conversations - est loin d'une oasis de tranquillité!

«Si je résiste à ce bruit, c'est agressant, convient-elle avec sa façon de parler au "je" universel. Si je n'offre pas d'opposition, par contre, tu [la journaliste] deviens encore plus centrale, parce que je suis avec toi au lieu de bloquer tout ça. » Intéressant...

Parlons zen, justement!

Les livres sur le bien-être envahissent les librairies. Y a-t-il de la place pour un autre ouvrage du genre? Eh bien, oui! Parsemé d'exercices pratiques et de pensées qui sont matière à réflexions, Zénitude et double espresso est un petit bouquin qu'on voudra possiblement déposer sur la table de chevet pour en faire un compagnon au quotidien.

«Je ne cherche pas une carrière d'auteure. Je me suis dit que ce livre devait être vraiment utile. Il ne pourra jamais y avoir une seule voix, comme il n'y a pas de voie unique. Ce que je propose peut en interpeller certains, alors que d'autres seront interpellés par autre chose.»

La réaction à son premier livre, Vivre c'est guérir, dans lequel elle raconte son parcours, a, en quelque sorte, forcé ce second ouvrage. Pas parce qu'il en est la suite, mais plutôt par les réactions qu'il a suscitées. «Les gens ont commencé à me poser des questions. Je me suis dit que ça s'estomperait, mais non. Ce sont mes outils que je partage ici.»

Et comme une boîte à outils se déployant sur plusieurs étages, le livre s'explore un thème à la fois et en différents paliers de lecture, selon que l'on souhaite survoler la question ou l'approfondir. On y trouve anecdotes, exercices, textes de réflexion à laisser mûrir.

Zénitude et double espresso; Réflexions et brins de sagesse pour survivre au tumulte du quotidien

Nicole Bordeleau

Éditions de l'Homme, 256 pages

En librairie et à Yogamonde.com

Petits brins de sagesse égrainés le temps d'un café

La zénitude peut-elle avoir sa place dans nos quotidiens chargés, sans qu'il soit nécessaire de changer de vie?

On ferait erreur de penser que non. Pendant des années, on a cru que, pour être calme et zen, il fallait un endroit qui sente l'encens et que tout coopère pour que la zénitude se fasse. Toutefois, du moment qu'on se retire de cet endroit, c'est à recommencer. La question est de savoir comment faire en sorte de se garder des zones de sérénité dans sa vie, sans avoir à attendre les prochaines vacances. Comment je peux, chaque jour, extraire des petits moments qui font que ma vie a un sens et qu'elle n'est pas une course folle.

Qu'est-ce que la zénitude, d'abord?

On a pris le mot «zénitude» pour nommer une attitude qui est «zen», mais le zen auquel nous croyons n'est pas celui qui est à l'origine du mot zen qui, lui, vient avec une rigueur, une discipline. C'est un contact réel avec ce qui se passe en soi et autour de soi, sans jugement. Ce qui est différent du calme serein. Si ce qu'on recherche est le calme à l'extérieur de soi, ça peut être enlevé à tout moment. Il faut redéfinir la zénitude. Je peux prendre un verre de vin en étant pleinement consciente de ce qui se passe à l'intérieur et autour de moi, et oui, ça peut être un moment de zénitude. Pour moi, c'est ça, être vivant!

La zénitude est-elle devenue un nouveau mot pour décrire le bonheur?

Comme la zénitude, le bonheur n'est pas un état permanent et ça débute par une décision d'être heureux. On ne doit pas attendre qu'on vienne nous la servir. Ça passe inévitablement par des prises de conscience et ça nous ramène au présent.

Des exemples?

Quand je donne le bain à mes enfants, je ne suis pas en train de régler un dossier dans ma tête: j'entends rire, je sens l'eau sur mes mains, je suis pleinement avec eux. C'est un moment de zénitude. Quand je mange avec mon conjoint, je l'écoute avec tout mon être. Si on a 10 moments comme ça dans une journée, ce n'est pas rien! Au bout de la semaine, ça fait 70, au bout du mois, ça fait beaucoup! Ce sont des petites étoiles qui apparaissent dans un ciel qui, sinon, est sombre.

La zénitude se récolte à petites doses, donc? Ce n'est pas un état absolu...

Ce n'est pas parce que tu es zen que tu ne seras pas critiqué, que tu n'auras pas la grippe, que tu ne vas pas rider ou que tu ne vivras pas l'échec. Oublie ça! Mais tu vas peut-être l'accepter avec plus de sérénité. Ce qui compte, c'est comment on le vit. On comprend que tout passe, inévitablement, et ça apporte une paix qui est plus profonde.

Ce serait donc une question de perception?

Après des années passées à parler d'exercice, de body sculpting et d'alimentation, je crois que la prochaine décennie fera place au cerveau et à l'esprit. On commence à se questionner sur la manière dont on peut avoir un certain contrôle sur nos pensées pour que ça participe à notre mieux-être et non à nos angoisses et à notre stress. On n'est pas obligé de toujours regarder sous le même angle. Si on déteste notre travail, par exemple, on peut penser aux façons dont il participe à notre mieux-être, plutôt que de le voir comme une source de stress.

Comment peut-on arriver à aiguiser notre présence dans l'instant et être plus zen?

Ça s'exerce. Il y a des moments où je n'y arrive pas. Dans ce temps-là, je ne me critique pas. Il faut accepter notre humanité. Je pense qu'il est important qu'on sorte du monde des fausses urgences. Sur une échelle de 1 à 10, certaines personnes font leur épicerie à 9 et sortent leurs vidanges à 8! Leur système nerveux est surchargé. Règle générale, on devrait osciller autour de 1 ou 1,5 ; 10 étant la mort! Il faut qu'on relativise.

Et que fait-on du patron pour qui le dossier du jour est une priorité de 9 sur une échelle de 10?

On ne peut pas être comme Kent Nagano avec les gens autour de soi. Si j'ai un patron qui est toujours à 9, il faut que je puisse mettre des frontières. Quand je marche vers la photocopieuse, je respire et ça m'appartient, et quand je ferme la porte de mon bureau, je la ferme vraiment. Le patron doit rester dans son carré de sable, dans le 9 à 5.

Collectivement, est-ce utopique d'aspirer à plus de zénitude?

Vous me direz naïve, mais je crois que non. Je crois énormément en l'être humain, en sa bonté. Je pense qu'il cherche fondamentalement son bonheur et il sait que ça ne peut se faire seul. Il y a un mouvement: les gens commencent à se questionner sur leur façon de voir la vie. En changeant notre façon de voir les choses et les autres, il y a un changement qui se produit inévitablement autour de soi.

Le bien-être aurait-il remplacé la religion?

Il y a vraiment l'émergence d'une nouvelle spiritualité. On n'est pas juste un corps, mais un être spirituel. On a complètement balayé ça. Il n'y a plus rien de sacré. On enterre quelqu'un rapidement, puis on s'en va en vitesse manger au restaurant. Je pense que c'est dans notre ADN de vouloir nourrir notre spiritualité et notre esprit.

D'où viens-je? Où vais-je?... Le yoga répond-il à ces questions?

Il ne donne pas de réponse définitive, mais il suggère. Il ouvre notre esprit et nous apprend à nous interroger sur nos certitudes et nos croyances. Il y a peut-être 150 façons de faire la vaisselle! Le yoga, le taï chi, le qi gong apportent une souplesse et nous ouvrent au fait qu'il y a peut-être d'autres façons de vivre.

PHOTO FOURNIE PAR LES ÉDITIONS DE L'HOMME