C'est désormais prouvé : les gros mots permettraient de soulager la douleur physique, et peut-être même psychologique. Des chercheurs un poil subversifs de différentes disciplines travaillent sur la question depuis des années. Ils arrivent tous à la même conclusion: un bon tabarnak bien senti, et surtout bien placé, cela fait drôlement de bien. Qu'on se le dise.

Évidemment, cette conclusion ne vient pas sans une foule de nuances. Inutile de proférer vos insultes préférées devant des enfants, notamment.

Cela va de soi. Inutile, surtout, de dire des gros mots à longueur de journée. On vit en société, après tout. Et leur pouvoir pourrait surtout s'en voir amenuisé. Tiens tiens, intéressant...

Mais revenons-en d'abord aux faits. Les gros mots auraient-ils vraiment une utilité, démontrée scientifiquement comme telle? C'est sur cette grande question que se penche depuis des années une équipe dont fait partie le psychologue Richard Stevens, de l'Université Keele en Angleterre, qui a même publié plusieurs enquêtes sur la question. «Je m'intéresse aux gros mots en général, pourquoi on en dit, et à quoi ça sert, explique-t-il en entrevue. Et ma conclusion? Il n'y a que des bénéfices à en proférer!»

Le plus grossier, le plus thérapeutique

La preuve? Il y a quelques années, il a invité 67 volontaires à un petit jeu. Chacun devait plonger la main dans un seau d'eau glacée. D'abord, en répétant la même phrase anodine de leur choix. Puis, une seconde fois, en répétant, et répétant encore, un sacre bien senti (pour l'avancement de la science, il va sans dire). Conclusion? En sacrant, les cobayes ont rapporté une douleur moindre. Mieux: ils ont du coup été capables de tenir 40 secondes de plus dans l'eau glaciale.

Des études subséquentes ont permis au chercheur de raffiner ses conclusions. Ainsi, le pire, plus grossier, vulgaire, bref, tabou était le mot (un concept évidemment variable selon les pays et les cultures, chacun ayant son éventail de jurons), plus efficace était l'effet thérapeutique, et moindre était la douleur. En analysant le profil des cobayes, il a aussi conclu que plus ceux-ci abusaient de gros mots dans la vie en général, moins ceux-ci soulageaient la douleur. Comme si les individus s'habituaient à leur effet anesthésiant avec le temps...

«Je vous encourage donc à sacrer quand vous en avez vraiment besoin, suggère-t-il. Sans plus. Sinon ils n'auront plus ce pouvoir, quand vous en aurez besoin pour de vrai!»

Un langage émotif

Et comment expliquer cet effet thérapeutique? «Le sacre est une réponse émotive, croit le chercheur. Du coup, physiquement, le coeur bat plus vite. Le corps réagit, dit-il, comme dans le cas d'une agression, pour lutter contre une situation difficile. Cette réaction a un aspect analgésique. On parle d'une analgésie induite par un stress.»

Il cherche d'ailleurs actuellement à démontrer son hypothèse de «réponse émotive» avec une équipe de chercheurs hollandais. «Si sacrer est un langage émotif, alors plus les gens sont émotifs, plus ils devraient être volubiles en sacres», avance-t-il. L'équipe réalise en ce sens diverses expériences, mettant des cobayes devant des jeux vidéo plus ou moins violents, histoire d'évaluer quand et comment leur langage devient plus coloré.

De son côté, l'auteur Timothy B. Jay, à qui l'on doit Cursing in America, n'en doute pas une seconde. «Si on se compare aux animaux, nous sommes les seuls à être en mesure d'exprimer ainsi une émotion symboliquement», dit l'homme, qui déplore que les linguistiques et autres psychologues ne s'intéressent pas davantage à cet aspect universel du langage humain. Pourtant, dit-il «il n'y a pas un seul autre mot capable de communiquer aussi rapidement et efficacement nos sentiments. D'un point de vue évolutif, c'est très intéressant. Cela nous permet d'exprimer une rage ou une frustration, mais à distance.» Mieux, poursuit-il, «cela permet même d'éviter la violence!»

Jurer pour ne pas taper?

En effet, et malgré bien des idées reçues, les sacres et autres jurons n'entraînent pas nécessairement de gestes violents. Bien au contraire.

Dans un article publié tout récemment par l'Association for Psychological Science, des chercheurs affirment avoir enregistré 10 000 épisodes de jurons publics. De ce nombre, pas un seul n'a entraîné de geste violent. « Le sacre, c'est comme un klaxon. Cela sert autant à manifester de la rage que du bonheur », explique Timothy B. Jay.

Sonia Lupien, la grande spécialiste du stress au Québec, n'est toutefois pas si sûre que cette «libération» soit nécessairement positive. «Oui, quand on est stressé, cela mobilise de l'énergie, et il faut que cette énergie aille quelque part. Les sacres et les gros mots pourraient permettre de relâcher cette énergie, dit-elle. Mais moi je serais portée à croire que cela va avoir un effet négatif, parce que ce faisant, vous mobilisez des émotions négatives.»

Pourtant, faites le test. Vous avez mal? À l'orteil, au ventre, à l'âme? Sacrez un bon coup. Vous vous sentez comment, maintenant? «Les gens répondent toujours qu'ils se sentent mieux!», rétorque Timothy B. Jay