La réceptionniste nous avait donné rendez-vous pour une «consultation gratuite». Mais le médecin, déjà prêt à injecter, ne nous a jamais approchées et semblait irrité par nos questions. Est-ce qu'un médecin se chargera d'injecter le Botox? «Non, je suis vétérinaire!», a-t-il lancé avec sarcasme. Les choses peuvent-elles mal tourner? «Pas du tout.» Quand procéder? «Tout de suite, si vous le voulez.» Pourra-t-on bénéficier du rabais de groupe annoncé sur le web, même si on ne l'a pas acheté à temps? «Je peux vous faire 50%.»

À l'extérieur, la minuscule salle d'attente du chirurgien était bondée. Comme de nombreuses autres cliniques «médico-esthétiques», l'établissement propose régulièrement des rabais pouvant atteindre 67% sur des sites d'achat en groupe comme Groupon, Tuango et Promodujour.

D'après nos recherches, une bonne douzaine de cliniques montréalaises ont affiché des offres du genre ces derniers temps. Quelques autres les ont imitées dans la région de Québec. C'est ainsi que des centaines de Québécois ont dû payer leur traitement d'avance - sans même avoir été vus - et ont acheté une dose identique de toxine botulinique, peu importe l'état de leur visage. Sur le coup, la marge de profit des médecins est minime. Mais la stratégie peut se révéler payante à long terme, puisqu'une fois débarrassés de leurs rides, de nombreux patients sont prêts à se faire réinjecter le produit - à plein prix - pour ne pas les voir réapparaître au bout de quelques mois.

Illégal

«Les médecins n'ont pas le droit d'annoncer des médicaments, encore moins de les vendre au rabais, c'est complètement inacceptable», prévient pourtant le Dr Charles Bernard, président du Collège des médecins du Québec (CMQ).

Si l'on ne sévit pas rapidement, il y aura des dérapages, prédit de son côté le président sortant de l'Association canadienne de médecine esthétique, Yves Hébert. «J'ai déjà dû réparer les dégâts chez une patiente qui était entrée et était ressortie d'une autre clinique au bout de deux minutes. Les seringues étaient prêtes; il n'y avait pas eu d'histoire de cas, pas d'examen, pas de photo... Pourtant, il n'existe pas de recette universelle.»

À Laval, la Dre Suzanne Gagnon abonde dans le même sens. «Ces offres de groupe sont un peu ridicules. On n'utilise pas les mêmes doses sur tout le monde. De toute façon, un traitement médical, ça ne devrait pas se marchander», dit-elle.

Les médecins prudents préfèrent rencontrer chaque patient pour évaluer ses attentes, lui donner de l'information et étudier les mouvements de son visage.

En 2011, Santé Canada a tenté de sévir. Le Ministère a alors exigé que tous les collèges de médecins du pays avisent leurs membres qu'ils ne pouvaient pas utiliser leur site web pour vanter les vertus des médicaments antirides. Près de 50 Albertains ont alors reçu des avertissements.À l'époque, le problème n'était pas manifeste au Québec, affirme le Dr Bernard, mais plusieurs enquêtes sont aujourd'hui en cours.