«Mise en plis, pédicure, épilation, injections de Botox...» De nombreux salons de beauté et spas de la grande région montréalaise n'hésitent pas à offrir de la toxine botulinique à leurs clients.

Dans au moins une demi-douzaine de cas, ni leurs annonces, ni leurs sites web n'affichent un nom de médecin. Au téléphone, toutes leurs réceptionnistes affirment néanmoins qu'un professionnel de la santé se rend sur place pour réaliser les injections. Disent-elles vrai? Des médecins en doutent depuis qu'ils constatent que les imposteurs sont de plus en plus nombreux à manier la seringue.

«À Montréal, il arrive que des non-professionnels fassent des injections dans un salon de beauté ou de coiffure après avoir pris un petit cours de fin de semaine», affirme le Dr William Papanastasiou, de l'Institut de chirurgie plastique de Westmount. Le chirurgien plasticien parle en connaissance de cause. Il a dû réparer les dégâts subis par une douzaine de patientes au cours des cinq dernières années: des asymétries et des descentes de sourcils. «Ce genre de problèmes ne survient pas quand l'injection est faite par une personne expérimentée. Mais les gens sont trop gênés pour dénoncer les charlatans», dit-il.

À Toronto, c'est carrément «la jungle», affirme le Dr Yves Hébert, président sortant de l'Association canadienne de médecine esthétique. Et il croit que le phénomène fait tache d'huile au pays. L'an dernier, une naturopathe et un faux «docteur» ont ainsi été pris en flagrant délit par CBC, dans deux établissements de Vancouver. L'homme a alors admis qu'il achetait sa toxine botulinique au Mexique et en Turquie.

«Les médecins avec lesquels je travaille ont réparé des patients qui s'étaient fait injecter dans des sous-sols et des bungalows», rapporte de son côté l'infirmière montréalaise Chantale Bonenfant.

Cours ouvert au public

Pour compliquer le tout, l'entreprise Elite Aesthetic Medical & Business Training fait la tournée des grandes villes nord-américaines afin d'y offrir des séminaires d'injection ouverts à tous (en plus d'offrir à quiconque une formation et un examen en ligne, qui permettent de recevoir un diplôme par courriel).

L'an dernier, une infirmière de Deux-Montagnes (ayant requis l'anonymat) a payé près de 2000$ pour suivre le séminaire d'une journée donné à Toronto. Elle a alors découvert avec stupéfaction que la réceptionniste d'un salon de beauté s'était glissée parmi les élèves. «Vous pouvez être chauffeur de camion et ils vont vous accepter», lance-t-elle.

Sur son site web, Elite précise qu'un élève du genre ne pourra participer aux exercices pratiques à moins qu'un médecin se soit inscrit avec lui. Pour participer, chacun doit par ailleurs signer une décharge reconnaissant que le certificat remis à la fin du cours n'est pas un permis de pratique. «Elite n'est PAS responsable de toute action ou pratique illégale entreprise par ses participants», indique le document.

L'entreprise n'a pas répondu à nos demandes d'entrevues.

Médecins itinérants

Pour le Dr Yves Hébert, former de non-professionnels est une hérésie. Même les médecins ne devraient pas se contenter d'une formation éclair, ni faire des injections en dilettantes, à l'extérieur des cliniques médicales, dit-il, désireux de protéger le public et la réputation des vrais experts, qui font des injections sûres.

«Les médecins itinérants offrent de la médecine esthétique au rabais, un suivi médical des patients souvent inadéquat et des conditions de travail tout à fait inacceptables, dénonce-t-il. Un salon de coiffure ne sera jamais équipé pour faire face à des complications possibles, comme un choc anaphylactique. Il y a urgence en la demeure si on veut éviter des drames.»

«Il faut bien connaître l'interaction entre les différents muscles du visage pour obtenir un effet équilibré en injectant au bon endroit, avec la bonne dilution et la bonne dose», renchérit la dermatologue Suzanne Gagnon, de la clinique lavalloise Face au temps.

Les enquêteurs du Collège des médecins du Québec sont déjà à l'oeuvre, assure en entrevue le président de l'organisme Charles Bernard, qui promet de sévir. «Le Botox doit être injecté dans un contexte "médical, convenable et salubre", dit-il, sinon, c'est illégal.»