Détrompez-vous, la sieste n'est pas que pour les paresseux. Un roupillon d'à peine 20 minutes peut accroître notre performance au travail et compenser des nuits trop courtes. Et si nous troquions momentanément le clavier contre l'oreiller?

C'est presque inévitable: après le lunch, le coup de barre survient, et ce, parfois avec intensité. Devant l'ordinateur, les paupières s'alourdissent. Les doigts s'empêtrent sur le clavier. L'esprit vagabonde : des images de plage, de hamac et de couverture moelleuse s'enchaînent. Qu'est-ce qu'on donnerait pour «piquer un p'tit somme»!

La sieste est plutôt mal vue chez l'adulte. Pourtant, elle n'en est pas moins bénéfique, selon les scientifiques, et pourrait bientôt être la norme. «Peu importe leurs besoins personnels, nous constatons que, de nos jours, les gens dorment au moins une heure de moins que ce dont ils ont besoin et que cela a des conséquences», indique le docteur Pierre Mayer, directeur de la clinique du sommeil de l'Hôtel-Dieu du CHUM et auteur du livre Dormir, le sommeil raconté. Ce manque de sommeil est la première cause de somnolence. Qui dit somnolence dit perte de vigilance et baisse de productivité.

Lorsque manque de sommeil et boulot exigeant vont de pair, le risque d'erreur, voire d'accident, augmente. Ça donne parfois lieu à des catastrophes. Selon les commissions d'enquête, la somnolence expliquerait notamment l'explosion du réacteur nucléaire de Tchernobyl et celle de la navette Challenger. «C'est comme être en état d'ébriété», affirmait en entrevue le Dr Mayer, l'an dernier, lors de la sortie de son livre.

«Chez les adultes en manque de sommeil, la sieste aide assurément à compenser, affirme la docteure Diane B. Boivin, directrice du Centre d'étude et de traitement des rythmes circadiens humains à l'Institut universitaire en santé mentale Douglas. C'est particulièrement vrai pour les travailleurs de nuit, à qui l'on recommande des siestes préventives avant un quart de travail. La sieste peut améliorer la performance et la vigilance pendant plusieurs heures. Quand la fatigue s'installe, il peut aussi être bon de faire une sieste récupératrice pour rétablir l'état d'alerte.»

Prendre un moment de recul

Qu'en est-il des travailleurs de jour? «Il est prouvé qu'une sieste a un effet bénéfique sur certaines capacités cognitives, telles que la mémoire et le temps de réaction. Par exemple, les contrôleurs aériens qui font la sieste voient leur concentration et leur état d'alerte améliorés», explique Denis Morin, professeur en gestion des ressources humaines à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM. La sieste est aussi bonne pour l'humeur et contre le stress. Selon une étude américaine publiée en 2012, un roupillon d'à peine 8,4 minutes a un effet revigorant!

«Faire une courte sieste le jour peut améliorer la créativité au travail, ajoute Diane B. Boivin. Les gens croient à tort qu'ils sont productifs parce qu'ils roulent à vive allure toute la journée sans s'arrêter. Certains mangent même devant leur ordinateur, c'est très mauvais et très fatigant pour le cerveau.»

Si la sieste est si bénéfique, pourquoi n'est-elle pas valorisée dans les entreprises? «Dans un monde où la performance est mise de l'avant, la sieste au travail est perçue comme une perte de temps, dit Denis Morin. On veut maximiser chacune des minutes au bureau. Les travailleurs qui osent prendre un moment pour s'assoupir sont vus comme des paresseux. La dimension culturelle est extrêmement importante.»

La sieste oui, mais pas pour tout le monde

En Espagne et en Italie, la tradition de la sieste, même si elle semble s'étioler, demeure présente. En Chine, le droit à la sieste (xiu-xi) fait partie du droit constitutionnel pour tous les travailleurs depuis 1949, tandis qu'au Japon, les grandes entreprises obligent les employés à faire un somme pour améliorer la productivité en soirée. Dans les années 80, les Péruviens ont même fait la grève (avec succès!) pour s'opposer à la suppression de la pause légale de la sieste chez les fonctionnaires, selon ce que rapporte Libération.

Denis Morin croit néanmoins que la sieste finira par trouver sa place dans les milieux de travail québécois propices. «On valorise de plus en plus le bien-être des employés. On leur propose des services de massothérapie sur chaise, des salles de détente et de conditionnement physique. Dans 20 ans, je crois que la sieste sera incluse dans plusieurs organisations. La main-d'oeuvre est vieillissante et, à 60 ans, on n'a pas l'énergie de nos 20 ans!»

Attention, la sieste n'a pas que des bienfaits. «Il faut décourager la sieste chez certaines personnes, comme les patients au sommeil excessif lié à un tableau dépressif, souligne Diane B. Boivin. Les patients qui souffrent d'insomnie ou qui peinent à s'endormir auraient plutôt avantage à faire du ménage dans leurs habitudes de sommeil. L'accumulation de fatigue au cours de la journée est un mécanisme important qui nous permet de nous endormir le soir suivant.» Si on bouleverse notre cycle veille-sommeil, on peut facilement aggraver nos problèmes de sommeil. Plus la sieste est longue et tardive, plus l'impact sera grand.

«Il faut comprendre qu'il y a des différences individuelles dans la capacité de faire une sieste dans la journée, dit l'experte. Certaines personnes ont une capacité de sommeil assez surprenante, tandis que d'autres ont un tonus d'éveil plus fort et ont tendance à avoir un sommeil plus fragile et plus de difficulté à s'endormir.»

Faite pour nous, la sieste? Allez, on teste! Prière de ne pas déranger: roupillon en cours. Zzz....