Nous sommes de plus en plus nombreux à en souffrir. En cette Semaine mondiale des allergies, voici un portrait de celles qui nous obligent à restreindre notre alimentation, pour ne pas risquer notre santé.

Quand une simple trace d'arachide peut provoquer la mort de notre enfant, toutes les avancées en matière de soins aux personnes allergiques sont reçues avec soulagement. Depuis le 4 avril, toute personne se trouvant dans l'entourage d'un enfant ou d'un adulte en réaction allergique grave est autorisée à administrer l'adrénaline destinée à lui sauver la vie. Un premier pas dans la bonne direction.

Depuis sa naissance, la petite Anne, 6 ans, a subi trois chocs anaphylactiques causés par l'ingestion accidentelle d'un des neuf aliments auxquels elle est allergique (oeuf, lait, blé, orge, arachide, noix, kiwi, sésame, moutarde). Chaque épisode aurait pu lui être fatal. «Alors qu'elle n'avait qu'un an, elle a pris une gorgée d'un biberon qu'un enfant lui tendait. Je suis arrivée au bon moment pour lui administrer son EpiPen», raconte sa mère, Kim Dufour. «Sauf à la maison, Anne a toujours son auto-injecteur d'adrénaline à sa taille, dans un étui rose avec des princesses. Il fait partie d'elle. C'est son extincteur de feu.»

Comme Kim Dufour, nombreux ont été les parents à pousser un soupir de soulagement à la suite de la modification au Règlement sur les activités professionnelles pouvant être exercées dans le cadre des services et soins préhospitaliers d'urgence, publiée dans la Gazette officielle du Québec le 20 mars. En l'absence d'un premier répondant, toute personne peut administrer de l'adrénaline lors d'une réaction allergique sévère de type anaphylactique. Ce geste était jusqu'à ce jour jugé illégal, à moins d'avoir suivi une formation en premiers soins agréée.

«C'est un pas dans la bonne direction, mais ce règlement ne signifie aucunement qu'une formation adéquate soit dispensée dans les écoles ou les services de garde. On observe de nombreuses lacunes dans la reconnaissance des symptômes et dans les protocoles d'intervention dans tous les milieux qui accueillent les enfants», affirme Gervais Bélanger, directeur général d'Asthme et Allergies Québec, qui milite pour l'adoption d'une loi d'encadrement uniformisée.

Au Québec, quelque 72 000 élèves sont allergiques à un ou plusieurs aliments. Ces maladies touchent de 6% à 8% des enfants et de 3 à 4% de la population adulte. L'Association québécoise des allergies alimentaires se base sur une étude américaine pour estimer une hausse des allergies alimentaires de 18% entre 1997 et 2007 chez les moins de 18 ans. Des données recueillies en 2010 montrent que 2,5 millions de Canadiens (7%) déclarent souffrir d'au moins une allergie alimentaire. Imaginer le pire

Dans le pire des cas, l'allergie alimentaire entraîne l'anaphylaxie, qui touche plusieurs systèmes (respiratoire, cardiovasculaire, peau, etc.) et peut être fatale en l'absence de traitement. Pour les familles touchées, cette menace équivaut à une épée de Damoclès au-dessus de leur tête. «Comme parent, on a un radar pour déceler tout changement dans le regard, témoigne Kim Dufour. Ça en prend du courage pour introduire de nouveaux aliments à un bambin. Aujourd'hui, je suis rassurée parce qu'Anne peut communiquer. Si quelque chose lui pique la langue, elle doit rapidement me dire si ça pique «épicé» ou «allergie».» Au Canada, l'incidence de l'anaphylaxie est supérieure à ce qu'on observe en Europe et en Australie, mais comparable à celle des États-Unis.

Combattre l'allergie par l'allergène

En dépit des chocs dont elle a été victime, la petite Anne jouit d'une enfance presque normale. Comme ses camarades de la maternelle, elle profite des fêtes d'amis, des activités scolaires et même des sorties au restaurant, où elle apporte son repas. «C'est elle qui a les plus beaux gâteaux de fête, assure sa mère. Je ne veux surtout pas qu'elle voie des monstres partout ou qu'elle croie que son monde est dangereux. Je lui explique que ces allergènes sont comme des microbes qui peuvent la rendre malade. Qu'il y a des précautions à prendre pour les tenir à l'écart.»

Jusqu'à ce jour, le régime d'éviction est le seul traitement accessible pour éviter les symptômes allergiques. En 2009, des chercheurs britanniques ont mis au point un traitement de désensibilisation en introduisant des doses minimes d'arachides dans la diète d'enfants souffrant d'allergies sévères. Depuis, plusieurs études cliniques de désensibilisation ont été réalisées en Europe et aux États-Unis. Au cours de l'été, l'Hôpital de Montréal pour enfants réalisera une étude durant laquelle des enfants ingéreront graduellement du lait, sur une période d'un an. «Pour l'instant, nous ne sommes pas arrivés à guérir, mais à induire une tolérance à l'aliment. À ce stade-ci de l'expérimentation, il n'y a pas de raison de fermer la porte à l'espoir en ces traitements», estime le Dr Rémi Gagnon, allergologue basé au Centre hospitalier de l'Université Laval et président de l'Association des allergologues et immunologues du Québec.

Malgré ces notes d'espoir, Kim Dufour garde les yeux ouverts. «J'ai lu des articles rapportant des histoires de miracle. Tant mieux si le traitement se concrétise, mais je ne peux m'y attarder. Je dois me concentrer sur aujourd'hui et demain. On envisage d'inscrire Anne à un camp de jour cet été. Quel est le protocole d'intervention? Il est vrai que le milieu de l'enfance est de plus en plus sensibilisé, mais on voit encore chaque jour des aberrations», dit-elle en soupirant.

ILLUSTRATION LEILA ALEXANDRE, LA PRESSE