La plupart des Québécois dorment deux heures de moins par nuit que ce dont ils ont besoin. Les conséquences peuvent être graves, fait remarquer le Dr Pierre Mayer, directeur de la Clinique du sommeil de l'Hôtel-Dieu du CHUM. Dans son nouveau livre Dormir - le sommeil raconté, il prend soin de donner des conseils pour adopter et maintenir de bonnes habitudes de sommeil, gage d'une meilleure santé globale.

«Les gens se soucient de leur alimentation, de leur forme physique, mais très peu sont sensibilisés à l'importance du sommeil, explique-t-il C'est le seul temps compressible. On coupe dans le sommeil, sans soupçonner à quel point les conséquences peuvent être graves.»

Selon le Dr Mayer, les gens prennent le sommeil à la légère. «On en est à l'âge de pierre. Comme où l'on se trouvait par rapport à l'alimentation il y a 20 ans. Aujourd'hui, les gens mangent bio. Je souhaite qu'ils vivent bio, au rythme de leur horloge interne.»

Voici quelques vérités extraites de son livre, lancé la semaine dernière.

1. L'absence de sommeil tue plus rapidement que le manque de nourriture.

Chez le rat, la privation de sommeil peut tuer en moins de 10 jours, nous apprend le Dr Mayer. Chez l'humain, les conséquences du manque de sommeil sont dramatiques. «Une étude réalisée à Chicago chez des jeunes hommes de 20 ans a montré que dormir quatre heures par nuit pendant six nuits consécutives entraînait des perturbations métaboliques semblables à celles causées par le diabète», écrit le Dr Mayer. D'autre part, environ le quart des adultes de 25 à 59 ans qui dorment cinq heures ou moins sont hypertendus. C'est 12% chez les gens qui dorment sept-huit heures quotidiennement.

2. Le manque de sommeil est le premier responsable de l'épidémie d'obésité.

«Pendant que la proportion de gens obèses a plus que doublé, passant de 10 à 25%, nous avons diminué de plus de deux heures et demie (30%) en moyenne notre temps de sommeil par nuit. Une corrélation parfaite qui n'est pas le fruit du hasard statistique», écrit le Dr Mayer. Selon plusieurs chercheurs, la carence de sommeil est le principal facteur d'obésité. Moins on dort, moins on sécrète de leptine, hormone qui freine notre appétit. Ça crée un cercle vicieux. «Quand on coupe sur notre sommeil, on a plus faim, on prend du poids et on développe de l'apnée du sommeil», résume l'expert en entrevue.

3. La fatigue est la raison de près de 10% des consultations chez le médecin.

Dans 50% des cas, les causes de fatigue sont inconnues. «La plupart du temps, la fatigue est un grand mystère. Les gens sont souvent frustrés. Quand finalement on ne trouve pas de cause physique, il faut travailler sur le mental. Le yoga, le tai-chi, l'exercice physique peuvent être bénéfiques pour contrer la fatigue cérébrale.» Même si les causes sont inconnues, mieux vaut en glisser un mot à son médecin.

4. Le sommeil est plus réparateur avant minuit.

«Certaines réactions physiologiques essentielles à la vie ne se produisent que pendant le sommeil. C'est le cas de la sécrétion de plusieurs hormones, dont l'hormone de croissance, qui est produite principalement au début de la nuit pendant le sommeil lent profond», écrit-il. Chez l'enfant, cette hormone est liée à la croissance. Chez l'adulte, elle favorise le développement de la masse et de la force musculaires.

5. Il y a huit fois plus d'accidents de la route vers 5h du matin et quatre fois plus d'accidents vers 14h.

«C'est le reflet de notre horloge interne qui nous ouvre des fenêtres sur le sommeil, dit Dr Mayer. Si on manque de sommeil, on ressent donc à ces moments une forte somnolence. Mieux vaut prendre une pause si on est volant.» Il écrit que la somnolence est la cause de 57% des décès chez les camionneurs et elle est ainsi la principale cause de mortalité au travail. Plusieurs camionneurs s'arrêtent lors des fenêtres de vulnérabilité.

6. Le manque de sommeil est lié à plusieurs catastrophes.

La fatigue ou la somnolence auraient été en cause dans l'accident de l'Exxon Valdez en 1989, l'explosion du réacteur nucléaire de Tcherbobyl en 1986 et l'explosion de la navette Challenger en 1986, selon les commissions d'enquête. «Quand on gruge dans son sommeil, ça équivaut rapidement à une nuit blanche. C'est plus sournois parce qu'on ne se méfie pas de notre manque de vigilance. Pourtant, c'est comme être en état d'ébriété», dit le Dr Mayer.

7. Twitter et Facebook comptent parmi les ennemis du sommeil.

«Tout ce qui favorise l'éveil est un ennemi du sommeil. L'explosion des médias sociaux et des progrès technologiques nuisent au sommeil selon l'usage qu'on en fait, dit le Dr Pierre Mayer. Si on va sur Twitter, où les messages sont parfois provocants, avant de dormir ou si on traîne la tablette électronique dans son lit pour naviguer sur le web, on stimule notre système nerveux central, on active les centres de l'éveil. Replonger dans le sommeil est plus compliqué.» Peu d'études ont été menées sur les tablettes, mais certaines (sans rétro-éclairage) seraient plus recommandables. «La stimulation directe au niveau de la rétine est susceptible d'entraîner l'inhibition de sécrétion de la mélatonine, l'hormone du sommeil. Je suis d'avis que c'est surtout l'activité qu'on en fait qui est importante. Lire un livre qui nous apaise, peu importe le médium, peut être bon pour l'un et mauvais pour l'autre. Il n'y a pas une seule et unique recommandation.»

8. À la puberté, l'horloge biologique se retarde de deux heures.

«L'ado se couche plus tard et se lève plus tard naturellement. L'obligation de se lever tôt pour aller à l'école et la difficulté de s'endormir tôt entraînent d'importants manques de sommeil chez les jeunes. En fait, seulement 15% des adolescents dorment les neuf heures dont ils ont besoin en moyenne et un sur quatre dort six heures ou moins. Fatigués, il se reprennent la fin de semaine en se levant très tard, ce qui perpétue ou aggrave le retard de phase...» Se coucher tôt n'est pas la solution. L'Association américaine de médecine du sommeil recommande d'ailleurs que les cours débutent plus tard au secondaire.

9. Plus de 10% de la population est atteinte d'apnée obstructive du sommeil.

«L'apnée du sommeil est un gros problème de santé publique. C'est plus qu'un arrêt respiratoire. De plus en plus d'études montrent que l'apnée du sommeil est un facteur de risque de maladie cardiaque, d'accident de la route et d'AVC. Ça peut aussi mener à la dépression.» De meilleurs outils diagnostics et l'épidémie d'obésité sont liés à la forte prévalence de cas. Les apnéiques sont aussi nombreux que les asthmatiques.

10. Les femmes sont plus affectées par le travail de nuit.

«Il est plus difficile pour une femme de s'adapter au travail de nuit. Cela est sans doute en lien avec des caractéristiques physiologiques, comme le fait que l'horloge interne des femmes tourne un peu plus vite et qu'elles sont plus sujettes à l'insomnie», écrit le Dr Mayer. Le corps réagit fortement. «Le travail de nuit augmente de 50% les risques de cancer du sein chez la femme et de 70% chez les agentes de bord soumises en plus au décalage horaire.»

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Dr Pierre Mayer

Dormir - Le sommeil raconté Apprivoiser son sommeil pour être en meilleure santé

Éditions Pierre Tisseyre, 256 pages, 26,95$.