Annie Cinq-Mars, AVC à 28 ans

Enceinte de 20 semaines, Annie Cinq-Mars revenait de sa promenade matinale lorsque sa vie a basculé, là, dans la cuisine. À peine avait-elle poussé la porte de la maison qu'elle perdait pied. Puis, elle a cessé de voir de l'oeil droit. Paniquée, elle a alerté son mari. Les mots, désordonnés, peinaient à sortir de sa bouche.

À l'hôpital, on a diagnostiqué un accident vasculaire cérébral. Un caillot venu du coeur. Elle avait 28 ans. «On ne sait pas pourquoi ça m'est arrivé. J'étais jeune, je ne fumais pas, je mangeais bien. C'est probablement lié au phénomène de la grossesse», dit-elle. Sa vision est revenue après quelques jours. Aussi la jeune enseignante pensait-elle que son bobo était chose du passé. Deux semaines plus tard, des décharges électriques parcouraient son corps. Le danger était toujours là.

«Je ne m'inquiétais pas pour moi, je ne réalisais pas. Je craignais plus pour mon bébé. Pour chaque médication, chaque test, je m'informais des risques. Ce qui comptait, c'était sa santé.» Annie a accouché du petit Sacha à terme, sans problème. La suite s'est avérée plus ardue. «J'étais extrêmement fatiguée, j'avais des troubles de mémoire et mon sens de l'organisation avait foutu le camp. Je croyais au départ que c'était lié à ma vie de nouvelle maman», raconte-telle. Mais les séquelles sont toujours là, 11 ans plus tard.

Annie était enseignante en adaptation scolaire au secondaire. Au retour de son congé de maternité, elle a jeté l'éponge après sept semaines. «J'étais fatiguée, je pleurais tout le temps.

J'étais intolérante au bruit, j'étais incapable de me concentrer et de gérer des choses simultanément. » Entre plusieurs arrêts de travail, vécus un à un comme des échecs, elle a occupé un poste d'orthopédagogue. Incapable de travailler plus de deux jours par semaine, elle a perdu sa permanence. «M'occuper de plusieurs enfants en même temps est devenu impossible.» Actuellement, elle est sans contrat et songe à réorienter sa carrière.

«Je n'ai pas de symptômes physiques et, pour cette raison, ça m'a pris du temps à réaliser que je ne fonctionnerais plus jamais comme avant. Au début, ça me fâchait. Un soir, alors qu'on regardait un film à la télévision, j'ai éclaté en sanglots. J'étais inconsolable. J'ai compris que j'aurais des difficultés pour le reste de mes jours et qu'il fallait que j'apprenne à vivre avec. J'ai cessé de me battre.»

Elle a suivi un programme au Centre de réadaptation Lucie-Bruneau. «Ils m'ont aidée à développer des trucs pour m'organiser. Je fais beaucoup de listes et j'accepte mes limites. » Le matin, quand son fils est parti à l'école, elle fait une sieste de deux heures. «Avant, je me sentais coupable. Je n'ai pas le choix si je veux être en forme le soir, auprès de mon fils et de mon mari. C'est important pour moi d'avoir une belle vie de famille.»

Son couple a vécu des hauts et des bas. «Rien n'est encore acquis. Mon mari a appris à vivre avec la nouvelle Annie. Ça lui a demandé beaucoup de patience. Est-ce que si j'avais gardé des séquelles physiques il serait encore avec moi?» Elle hausse les épaules. Les soupers entre amis ne sont plus tout à fait les mêmes. Pendant longtemps, Annie s'est retirée des conversations. «J'avais l'impression que je ne savais plus m'exprimer correctement, alors je me taisais. Peu à peu, j'ai repris confiance. Mais quand j'ai eu une grosse journée, c'est plus difficile. »

Et son fils ? Depuis peu, Sacha pose des questions sur l'AVC. Il veut connaître les détails de l'incident. Comment ça s'est passé. Sait-il qu'il était là, en elle ? Que sa mère aurait pu mourir? Probablement pas. «Il se demande plutôt pourquoi je me couche une heure après m'être réveillée et pourquoi je ne travaille pas », dit Annie. Son plus grand regret : n'avoir pu connaître le bonheur d'une deuxième grossesse. Les médecins le lui ont fortement déconseillé. «Mon plus grand deuil.»

Annie Cinq-Mars n'est plus amère. «Ma vision de la vie a changé. C'est important de faire ce qu'on souhaite, de se respecter comme personne et de chérir ceux qu'on aime. La valorisation liée à l'emploi me manque, mais je suis présente pour mon fils, j'ai désormais le temps de m'en occuper. C'est un gros plus dans ma vie. Dans nos vies.»