Cendrine Matthews Infarctus à 37 ans

Cendrine Matthews, 39 ans, a désormais un ange gardien, fait de fils et de métal. Il y a un mois, on lui a implanté un défibrillateur cardiaque. Elle l'a surnommé Jici, en l'honneur du conjoint décédé de sa mère. Sous la clavicule gauche, la cicatrice est d'un rouge vif, encore sensible. «Je peux enfin m'endormir le soir sans avoir peur de ne plus jamais me réveiller.»

Un jour de juin 2009. Au volant de sa voiture sur le pont Champlain, Cendrine sent son coeur s'emballer follement sans raison. Elle a des palpitations depuis quelques mois déjà. À la clinique, on lui a dit que c'est de l'anxiété. Cette fois, le bas de son visage devient engourdi, insensible. Pour Cendrine, ça ne fait aucun doute: à 37 ans, elle est en train de faire un infarctus. Les mains crispées sur le volant, elle survit à la crise et poursuit sa route jusqu'à Thetford Mines. Elle n'en dira mot à sa mère assise à ses côtés. «J'avais fait un infarctus et j'étais vivante. Je ne voulais pas l'affoler.»

En trois jours, Cendrine perd 10 livres. Deux semaines plus tard, elle s'effondre alors qu'elle flâne dans une boutique. On la transporte en ambulance et, après une nuit en observation à l'hôpital, les médecins concluent qu'elle souffre d'anxiété. Les palpitations reviennent. Elle consulte et sort de la clinique avec, en poche, des anxiolytiques et une consultation en psychologie pour anxiété grave. «C'est humiliant, ce n'était pas dans ma tête que ça clochait. Si j'avais été un homme, m'aurait-on prise au sérieux?»

Au bout de huit mois, elle tombe sur un médecin qui décide de faire une investigation. Une batterie de tests confirme les dommages causés par l'infarctus. «J'étais soulagée, enfin j'allais être prise en charge.»

Avant de passer sur la table d'opération, Cendrine vivait avec une incessante crainte de mourir. Même râper du fromage et peler des betteraves l'essoufflait. Son coeur pouvait s'affoler subitement et émettre 150 battements à la minute pendant des heures. «La première fois, j'étais assise dans mon salon, je lisais un roman. C'est paniquant.» L'infarctus n'a fait qu'aggraver ses peurs. «Je me demandais quand une nouvelle crise se produirait et si j'y resterais.»

Vivant seule, elle emplissait à ras bord de nourriture l'écuelle de son chat. «Je savais qu'il pourrait survivre plusieurs jours avant qu'on me trouve.» Avant de se mettre au lit, le coeur dans le tapis, elle textait à ses amies. «Je leur demandais de m'appeler au matin.» Elle avait toujours les doigts prêts à composer le 9-1-1. «J'essayais d'évaluer quel était le bon moment pour appeler. Puis, la crise passait.»

Aujourd'hui, Cendrine n'est pas «guérie», mais rassurée. «Dans mon cas, les palpitations peuvent mener à une mort subite. Alors, j'ai mon ambulancier en permanence», dit-elle, en touchant son défibrillateur. Elle a un anévrisme, ses artères sont bloquées et une valve de son coeur fuit. «Je suis suivie, je suis médicamentée, mais je n'exclus pas qu'un jour, je devrai subir une opération à coeur ouvert.»

Pourquoi moi?

Avoir une insuffisante cardiaque dans la force de l'âge n'est pas sans inconvénient. «Je suis célibataire et, sur un site de rencontres, ça avait cliqué avec un gars. Je l'ai avisé de mon état avant de le rencontrer. Il ne m'a plus jamais donné signe de vie. Mon état, semble-t-il, peut rebuter les hommes. Pourtant, je peux fonctionner comme tout le monde.» Ou presque.

On lui a dit qu'elle ne pourrait jamais avoir d'enfant. «Je frôle la quarantaine, je m'étais déjà fait à l'idée.» Assembleuse de structures en aérospatiale, elle doit réorienter sa carrière. «J'adore travailler de mes mains, mais je ne me vois plus soulever des ailerons super lourds. J'ai encore le souffle court.»

Au beau milieu d'une salle d'attente bondée, en cardiologie, Cendrine a craqué. C'était l'an dernier. «Je me suis dit: pourquoi moi? Je ne suis pas sportive, mais je suis madame tofu et tisane! Je ne fumais pas, je ne buvais pas. Je n'en suis pas fière, mais j'avais du mal à être là parmi ces vieux hommes bedonnants, aussi malade qu'eux.» Son trouble est peut-être héréditaire, elle ne le saura jamais. Elle ne connaît pas son père.

Grâce à Jici et à une nouvelle médication, Cendrine est maintenant optimiste. «Je me donne jusqu'à l'été pour retrouver ma forme.» D'ici là, elle se permettra une sortie au cinéma. «Je n'y suis pas allée depuis quelques années. Le son est tellement fort que j'avais des palpitations.» Et elle reprendra le violoncelle. Musicienne depuis toujours, elle craignait de devoir accrocher son archet. Et si le défibrillateur limitait les mouvements de son bras gauche? Ce serait un drame. Pour la photographe de La Presse, elle sort l'instrument d'un étui poussiéreux. Elle l'appuie sur son coeur, nerveuse, et entame L'Allemande, deuxième suite pour violoncelle seul de Bach, le coeur léger.