Vendredi dernier, Vivre a invité six femmes touchées par le cancer du sein - cinq ont été atteintes, l'une est mère d'une victime en rémission - à visionner le documentaire L'industrie du ruban rose, de Léa Pool. Lors de la table ronde qui a suivi la projection, elles ont partagé leurs impressions sur ce film qui remet en question la suprématie de la «culture rose».

«Quand on subit des traitements, c'est très méchant, c'est très laid. On veut se rouler en boule dans un coin, on veut mourir. Le ruban rose, je ne l'ai jamais vu pendant que j'étais en traitement», lance Suzanne Lemay, secrétaire au CHUM, qui a été traitée pour un cancer du sein inflammatoire de stade 3.

Des marches «roses» pompées à la pensée positive aux montagnes de produits dérivés (toutous roses, yogourts roses, produits de beauté roses...), le documentaire ne tarit pas d'exemples pour illustrer la prédominance de la couleur préférée des princesses autour d'une maladie qui n'a rien d'un conte de fées.

Contrairement à la militante américaine Barbara Ehrenreich qui, dans L'industrie du ruban rose, raconte avoir été prise d'une fascination pour le «mouvement rose» dans sa propre expérience du cancer du sein, les participantes à notre discussion n'ont pas vraiment été «contaminées» par le rose pendant leur maladie. «On est déjà assez occupées avec ce qu'on vit, donc le ruban rose, on n'y pense pas trop. Ni moi ni aucun membre de ma famille ne nous sommes associés à ça», raconte Hélène Dumas, dessinatrice, qui a subi une ablation du sein à la suite d'un cancer diagnostiqué il y a trois ans.

«Ça peut être agaçant, ce stéréotype du ruban rose, tous ces gens qui nous incitent à rester positives. Moi, mon réflexe a été de dire: foutez-moi la paix. Je suis partie aux Îles-de-la-Madeleine, j'ai beaucoup fréquenté les chapeaux, je n'avais pas envie d'être montrée du doigt», relate Louise Pratte, une conseillère en littérature jeunesse qui a subi une ablation complète et a terminé l'automne dernier des traitements de chimio et de radiothérapie.

Et le Québec?

«C'est une réalité très américaine qui est démontrée», estime Linda Durocher, secrétaire réceptionniste au Conseil des métiers d'art, qui a subi deux opérations pour le cancer du sein en 2011.

De fait, Léa Pool a braqué sa caméra sur les campagnes d'Estée Lauder aux États-Unis avec Elizabeth Hurley, les barils roses de Poulet frit Kentucky, les décapotables roses et autres manifestations du rose dans un pays où le mécénat et la charité tiennent des places importantes dans le système de santé.

Pourtant, le ruban rose fait son chemin au Québec. Pensons à la robe en papier hygiénique commanditée par la marque Cashmere, qui est montée sur scène lors du dernier gala de l'ADISQ. Et que pensent les participantes de notre table ronde des campagnes de sensibilisation qui ont recours à des photos sexy d'«amazones roses» comme Mitsou, Geneviève Borne et autres Caroline Néron?

«Moi, ça me fait de la peine de voir ça. Surtout qu'on se fait opérer pour les seins...» confie Hélène Dumas.

Célébrer la beauté des femmes, c'est bien joli. Mais on est très loin de la réalité du quotidien du cancer du sein, observe Suzanne Lemay. «Les gens viennent nous voir, nous disent: Non mais, Geneviève Borne, elle, comment ça se fait qu'elle est belle et qu'elle a eu le cancer du sein?»

Un cancer «sympathique» ?

Francine Leclerc, qui a appuyé sa fille de 28 ans dans sa traversée de la maladie, est ressortie du film L'industrie du ruban rose avec une certaine perplexité.

«J'ai de la difficulté à savoir ce que je dois retenir de ce film. Je sais qu'il faut que je sois aux aguets. Je n'achèterai pas telle sorte de yogourt, juste parce qu'il porte l'insigne du ruban rose. Mais au-delà de ça, que faire?»

À cela, Doris Camacho ajoute que ce qu'elle a surtout retenu du film, c'est l'importance de retrouver sa responsabilité citoyenne. «Comme n'importe qui, je me sens impuissante par rapport aux grandes sociétés pharmaceutiques. Mais l'un des messages qui sont transmis est que juste écrire un message pour dire que l'on est contre telle ou telle chose, ça peut avoir un impact.»

Pour cette femme d'origine colombienne qui s'est retrouvée très fragilisée après avoir reçu son diagnostic de cancer du sein - sans famille proche et avec seulement 15 semaines de prestations d'assurance-emploi, elle a eu recours au soutien d'amis pour assurer sa survie -, la solidarité reste une valeur essentielle. «Plus de la moitié du film dit: Arrêtez de rêver parce que tout ce qu'ils font, c'est du marketing et l'argent pour la recherche ne va pas où il faut.»

En donnant la parole à des femmes atteintes du cancer du sein au «stade 4», c'est-à-dire condamnées à mourir, le film L'industrie du ruban rose rappelle qu'il y a aussi des Lhasa de Sela qui sont emportées par cette maladie.

«Les gens disent que c'est un beau cancer», dit Francine Leclerc. Cette image «sympathique» du cancer du sein, ajoute Linda Durocher, influence ainsi l'attitude des gens. «Quand les gens nous voient avec notre crâne dégarni et demandent ce qu'on a, ils s'empressent de dire: Tu vas t'en sortir.»

Retirer les lunettes roses et ouvrir les yeux, voilà sur quoi s'entendent les participantes à notre table ronde. «Il y a moyen d'être positif tout en restant réaliste», estime Suzanne Lemay.

Photo:La Presse

De gauche à droite: Hélène Dumas (photo: Robert Skinner), Francine Leclerc (photo: Alain Roberge), Louise Pratte (photo Alain Roberge), Suzanne Lemay (photo: Ivanoh Demers)