Depuis quelques années, un débat entoure la mammographie. De nombreuses études ont avancé que la technique de dépistage découvre beaucoup de cancers peu avancés qui sans traitement ne progresseraient pas.

Le mois dernier, un nouveau pavé dans la mare a été lancé en Norvège: une mammographie à tous les deux ans dans la cinquantaine et la soixantaine ne permet de réduire la mortalité du cancer du sein qu'au maximum de 10%, et peut-être même seulement 2%.

«Si on tient compte des années qui passent et des soins qui s'améliorent, on se rend compte que les bénéfices de la mammographie ont peut-être été surévalués», explique l'auteure de l'étude publiée dans le New England Journal of Medicine, Mette Kalager de l'Université d'Oslo.

Ce genre d'étude est une conséquence de l'amélioration des traitements, selon Wilber Deck, médecin en santé communautaire à la direction de la santé publique de Gaspé, interrogé par La Presse à la suggestion de la Fondation du cancer du sein du Québec.

«Les traitements ont beaucoup progressé, les auteurs ont raison, dit le Dr Deck. Peut-être le jour viendra-t-il où on pourra traiter tous les cancers aussi facilement que celui de Lance Armstrong. À ce moment-là, on pourra se passer de dépistage et traiter seulement quand les symptômes apparaîtront. Mais je ne suis pas sûr de voir ça durant ma vie.»

Utilité de la prévention précoce

Sarkis Meterissian, oncologue au Centre universitaire de santé McGill, estime que l'étude, qui comparait en Norvège des régions ayant commencé des programmes de mammographie à différents moments, confirme l'utilité de la prévention précoce. «En fin de compte, les auteurs disent que la mortalité est réduite de 10% avec la mammographie, même s'ils avancent que des avancées dans les traitements peuvent expliquer une partie de cette baisse. Je ne pense pas que ça doit nous pousser à changer notre approche.»

L'étude norvégienne était accompagnée d'un éditorial faisant état d'un calcul des auteurs: la mammographie n'était responsable que de 2% de baisse de mortalité.

L'éditorial calculait qu'il faudrait que 2500 femmes aient une mammographie annuelle pendant 10 ans pour éviter une mort; les 2499 autres auraient par contre plus d'une chance sur trois d'avoir un faux diagnostic positif, qui mènerait parfois à des traitements inutiles. Une autre étude norvégienne avait en 2008 rapporté que près d'un cancer du sein sur cinq détecté par une mammographie disparaît sans médication ou traitement, mais qu'il était impossible de savoir quels cancers avaient cette capacité.

Recommandation: une mammographie par an

«Éventuellement, on sera capable de distinguer les tumeurs par leur agressivité, en faisant des tests génétiques, estime le Dr Meterissian. Mais d'ici là, les recommandations sont que les femmes devraient faire une mammographie par année à partir de 50 ans, ou à tout le moins en discuter avec leur médecin.»

Que pense le Dr Meterissian de la différence entre l'augmentation des diagnostics et celle, beaucoup plus faible (jusqu'à quatre fois plus faible), de la mortalité? Ne signifie-t-elle pas que certains traitements sont inutiles?

«Oui, mais quand on a un risque plus élevé, est-ce qu'on veut vraiment rester à ne rien faire? La plupart des femmes veulent être traitées. Nous avons fait d'immenses progrès en psycho-oncologie pour soutenir les femmes qui doivent avoir une mastectomie. La reconstruction mammaire a aussi beaucoup progressé. Les effets négatifs des traitements sont réels, mais les risques du cancer sont bien pires.»

C'est aux États-Unis que les nouvelles études ont suscité le plus de changements. L'an dernier, les autorités médicales américaines ont changé leurs recommandations: fini la mammographie dans la quarantaine, et moins de mammographies - une aux deux ans plutôt qu'à chaque année - à partir de la cinquantaine.

Ce changement a été rendu nécessaire par des analyses montrant que pour sauver une vie, on doit passer des mammographies à 1900 femmes dans la quarantaine, à 1440 femmes dans la cinquantaine et à 380 femmes dans la soixantaine.

La mammographie au fil des ans

1963: Première étude clinique de la mammographie dans l'État de New York.

1971: Les premiers résultats sont publiés: la mammographie régulière réduit la mortalité liée au cancer du sein de 30%.

1977-1983: Quatre grandes études cliniques en Europe confirment la réduction de 30% du risque de mortalité; deux études au Canada ne trouvent aucun bénéfice pour les femmes dans la quarantaine et montrent que les résultats d'un examen manuel des seins sont aussi bon pour les femmes dans la cinquantaine.

1979: Les autorités médicales américaines sont les premières à recommander une mammographie annuelle pour les femmes de plus de 50 ans. La mammographie annuelle pour les femmes dans la quarantaine n'est recommandée que pour les femmes ayant eu un cancer du sein ou ayant un historique familial de cancer du sein. Quelques années plus tard, la recommandation est étendue à toutes les femmes dans la quarantaine.

1989: La Société américaine du cancer recommande des mammographies à partir de 35 ans.

1992: La Société américaine du cancer abandonne la recommandation de mammographies à partir de 35 ans.

1998: Lancement du programme québécois de mammographie, qui prévoit une mammographie annuelle à partir de 50 ans.

2001: Une étude danoise découvre que l'impact de la mammographie sur la mortalité a été surévalué.

2002: Un comité indépendant de l'Institut national du cancer des États-Unis conclut que la recommandation d'une mammographie annuelle devrait être abandonnée, mais l'Institut maintient sa position.

2007: Le Collège américain des médecins suggère aux femmes dans la quarantaine de discuter avec leur médecin des avantages et des risques de la mammographie selon leur risque personnel, à cause des nombreux faux positifs parmi les résultats qui mènent à des opérations inutiles.

2008: Une étude norvégienne découvre que certains cancers invasifs peuvent se résorber d'eux-mêmes, ce qui expliquerait pourquoi la mammographie annuelle augmente le nombre de nouveaux cancers de 30% mais ne diminue la mortalité que de 10%.

2009: Les autorités médicales américaines abandonnent la mammographie à la quarantaine et espacent aux deux ans les mammographies après 50 ans.

2010: Une étude norvégienne conclut que la mammographie annuelle après 50 ans diminue la mortalité de 2% à 10%.

- Source: The New York Times, Société québécoise du cancer du sein