Ça fait mal. Très mal. Une douleur qui laboure les muscles. Une douleur qui ronge les os. Qui coupe le souffle. Qui épuise. Au même titre que les personnes âgées clouées au lit, parfois même contraintes au fauteuil roulant, des milliers d'enfants québécois souffrent d'arthrite. Une maladie chronique qui peut parfois être mortelle. Heureusement, il y a de l'espoir. De l'espoir dans la recherche médicale. Dans des rémissions. Et de l'espoir dans des camps d'été au cours desquels, l'espace de quelques jours, la maladie prend la clé des champs.

Rose a un lapin aux oreilles roses qu'elle sert très fort contre elle. La peluche est un peu aplatie par le poids des années passées à l'hôpital. Le lapin délavé la suit partout. Il s'agit de son partenaire d'enfance, de son partenaire d'arthrite. Âgée de 9 ans, Rose veut devenir rhumatologue quand elle sera grande. Elle va à l'école même quand ses articulations l'empêchent d'écrire tellement elle veut apprendre. Pour elle, la douleur n'a pas de secret. Rose a eu sa première crise d'arthrite à l'âge de 6 mois.

 

Tout comme Rose, Kamille, à peine âgée de 3 ans, a été hospitalisée durant des semaines. Leurs yeux d'enfant ont regardé des médecins l'air béat, durant des mois, parce qu'on n'arrivait pas à déterminer ce qui clochait chez elles. Dans le cas de Kamille, la maladie s'est d'abord traduite par une éruption cutanée généralisée et une forte fièvre. Rose s'est pour sa part réveillée un bon matin avec les poignets enflés. Elle avait 6 mois.

«Les médecins ont fait passer prises de sang par-dessus prises de sang, se rappelle Kim Richard, mère de Rose. Ce n'est pas des farces, j'ai été soulagée quand j'ai su que Rose «ne souffrait « que de polyarthrite rhumatoïde. On a attendu huit mois avant d'avoir le diagnostic final.»

Quant à Kamille, elle a même dû subir une ponction lombaire et de la moelle osseuse. Les médecins ont même cru qu'elle souffrait de la maladie de Kawasaki, maladie cardiaque chez les enfants, explique sa mère, Magalie Nadeau, infirmière qui a dû quitter le réseau public de la santé pour travailler dans le privé afin de prendre soin de sa fille. Finalement, elle a appris que sa fille souffre d'une forme d'arthrite très grave. Parfois mortelle, quand elle n'est pas prise à temps. Aujourd'hui, Kamille doit prendre 26 médicaments par jour avec des injections qui lui brûlent les veines.

Stéphanie-Ann, âgée de 10 ans, se joint à la rencontre dans une salle de la Société de l'arthrite du Québec, à Montréal. Trois filles et trois mamans. Six parcours de combattantes. L'an dernier, Stéphanie-Ann s'est fait une fracture du fémur en skiant. La blessure a déclenché une crise aiguë d'arthrite dans 18 jonctions de son corps. Au cours de l'hiver, malgré la peur, la fillette a rechaussé ses skis. Parce que la maladie ne doit pas gagner sur la vie.

Sarah Campillo est rhumatologue à l'Hôpital de Montréal pour enfants. Elle explique que l'inflammation causée par l'arthrite endommage les articulations, le cartilage, et gruge les os à long terme. Pour cette raison, plusieurs enfants ont des pertes de mobilité. Dans certains cas, on doit même procéder à des remplacements des genoux ou des hanches. Les poignets et les chevilles sont aussi hypothéqués.

«On ne comprend pas bien ce qui déclenche l'arthrite juvénile, dit la Dre Campillo. On pense qu'il s'agit d'une prédisposition génétique, mais pas comme la dystrophie musculaire. On pense qu'il y a de multiples gènes en cause. Mais parfois l'arthrite apparaît à la suite d'une infection virale. C'est donc une maladie multifactorielle. Et le diagnostic est parfois long à poser parce que les enfants ne savent pas bien exprimer leur douleur, et aussi parce les articulations sont difficiles à examiner. On pense aussi à tort que l'arthrite n'existe pas chez les enfants.»

Sortir de l'isolement

À l'été, la Dre Campillo participera à titre bénévole au camp d'été de la Société de l'arthrite du Québec, où les enfants sont entourés de spécialistes de la santé. Dre Campillo est elle-même atteinte de la maladie. Elle dit que des camps aux États-Unis ont fait toute la différence dans son enfance. « Ça m'a permis de sortir de l'isolement, de créer des liens avec des jeunes qui vivaient la même chose que moi. On peut avoir une vie malgré l'arthrite. «

Grâce à la recherche, très concertée au Canada, la rhumatologue ajoute que les médicaments sont de plus en plus efficaces pour maîtriser l'inflammation. Les pronostics sont donc favorables à long terme pour les enfants. Avec de bonnes phases de rémission, par fois même pour toute la vie, dit-elle. Mais malgré tous les efforts de la médecine, la moitié des enfants atteints continuent d'avoir des phases actives de la maladie jusqu'à l'âge adulte, et souvent pour toute la durée de leur vie.

La petite Kamille n'a pas soufflé mot depuis une heure. Elle joue avec ses petites voitures aux couleurs métalliques. Sa mère m'explique que même si elle n'a commencé à marcher qu'à 2 ans et demi, elle a la maturité d'une enfant de 5 ans. Les deux autres mères acquiescent en regardant Rose et Stéphanie-Ann. L'heure est au départ. Kamille lance un petit grondement en guise de signal. Sa mère la replace dans sa poussette. C'est assez pour aujourd'hui, vient de signifier l'enfant. Trois fillettes et trois mamans repartent dans leur vie respective. Dans leur combat commun.

 

Kamille au sommet de l'Everest

Dans les prochains jours, un homme s'attaquera pour la cinquième fois à l'Everest, le toit du monde, cette fois par le versant nord. Dans son bagage, Gabriel Filippi trimbale la photo de Kamille qu'il veut monter jusqu'au sommet. L'objectif: faire avancer la recherche et amasser les fonds nécessaires pour permettre à 40 enfants atteints d'arthrite d'aller dans un camp d'été adapté à leurs besoins, le camp Papillon. Son objectif est de 40 000$, soit 1000$ par enfant. Reconnu pour ses conférences dans des entreprises, Gabriel Filippi a accepté de soutenir l'arthrite juvénile à l'occasion d'une activité de glissade de la Société de l'arthrite du Québec. La petite Kamille, toute candide, a alors donné un cube de glace et de neige en cadeau à l'alpiniste sans savoir qu'il s'apprêtait à affronter une nouvelle fois l'Everest. Il a été touché au coeur. Et histoire de mettre un peu de piquant dans son expédition, il finit présentement «seul» de grimper l'approche de plusieurs milliers de mètres.

www.gabrielfilippi.com

 

 

L'arthrite touche un enfant sur 1000. Environ 1500 enfants souffrent de la maladie au Québec. Elle atteint plus particulièrement les femmes que les hommes, dans une proportion de 66%. À la Société de l'arthrite du Canada, on estime que 80% de la population ignore que la maladie touche aussi les enfants. Il s'agit d'une maladie chronique, donc sans cure de guérison.