Que mangent les gens qui font appel aux banques alimentaires? Pour le savoir, nous avons fait la file avec un bénéficiaire pour obtenir un panier à la Mission Bon Accueil, dans le quartier Saint-Henri. Nous avons remplacé le panier de notre accompagnateur et conservé le sien. Des spécialistes en salubrité alimentaire l'ont ensuite analysé. Bilan: aliments périmés, défraîchis... mais comestibles.

C'était sa première visite au comptoir alimentaire. Après un retour aux études pour améliorer ses perspectives d'emploi, Michel se retrouve avec plus de factures que de revenus. Afin de bien nourrir sa petite famille, le Montréalais se tourne vers la banque alimentaire de son quartier. De retour à son domicile, il découvre avec stupeur que plusieurs produits de son panier sont périmés. Dont une vinaigrette qui s'annonce «meilleure avant» l'été 2008.

En plus des aliments dont la date de péremption est passée, des céréales ont été réemballées dans un sac de plastique. Aucune indication quant à leur origine. Même chose pour de la viande, qui se retrouve aussi en paquet dans un sac de plastique. Michel a mis à la poubelle plus de la moitié des produits qu'il avait obtenus à la banque alimentaire : il craint de les utiliser pour nourrir son petit garçon.

«Idéalement, il aurait fallu qu'il y ait une étiquette sur chacun des produits afin qu'on sache d'où ils viennent», indique la nutritionniste Chantale Arseneau, de l'Institut de technologique des emballages et du génie alimentaire, devant un panier obtenu à la Mission Bon Accueil, la semaine dernière.

Le groupe d'aide offre deux types de paniers : pour une grande famille, ou pour une petite. Nous avons eu droit au second type de panier puisque le bénéficiaire qui a participé à ce reportage vit avec son fils et sa conjointe. Elle ignore qu'il visite maintenant la banque alimentaire du quartier. Pour cette raison, nous avons changé le nom de notre accompagnateur. «C'est une femme qui est très fière. Elle n'aurait jamais accepté que je vienne ici», dit l'homme d'une quarantaine d'années, rencontré dans le petit café attenant au comptoir alimentaire.

Jambon dans un sac à fruits

Les installations de la Mission Bon Accueil sont très bien. Les bénéficiaires reçoivent un carton de couleur, selon la taille de leur ménage. Ils défilent ensuite devant des tables où des bénévoles leur remettent leurs denrées. À la première station, on remet aussi la parole de Dieu à ceux qui la veulent. Ailleurs, la

nourriture a toute la place. Les bénévoles sont très gentils. L'ambiance n'est ni au misérabilisme ni à la compassion mielleuse. Les gens qui ont accès au comptoir viennent pour faire leur marché d'appoint, sans jugement.

Les aliments leur sont donnés, ils ne les choisissent pas. Un préposé remet les pains tranchés, périmés de la veille. Un autre, un gros sac de chaussons congelés à faire cuire. Il y a des jus, des grignotines, des légumes, de la quiche et une salade de quinoa. À la fin du parcours, une immense boîte contient des légumes-racines non identifiés que l'on peut prendre à sa guise.

Ils étaient très populaires auprès de la clientèle hispanophone, très présente à la banque alimentaire par ce frisquet matin de semaine.

L'aliment le plus insolite de cette récolte est toutefois un paquet de jambon tranché, emballé dans un sac à fruits. La viande est un peu mouillée et, dans ce sac de plastique non identifié, n'a pas fière allure. Mais elle est toujours d'une belle couleur rosée et sent très bon.

D'où vient ce jambon? Moisson Montréal est la banque alimentaire centrale qui distribue les denrées dans les comptoirs des organismes communautaire. Mais le fameux jambon ne venait pas de là. «Nous n'ouvrons jamais les boîtes d'aliments, nous ne sommes pas équipés pour le faire», explique Johanne Théroux, directrice générale de Moisson Montréal. Les comptoirs alimentaires des organismes communautaires ont aussi leurs fournisseurs, comme l'épicerie du coin ou des entreprises qui leur fournissent des aliments directement.

Oui, il y a parfois des failles, avoue Johanne Théroux. Certains organismes qui veulent bien faire manquent de rigueur quant à la salubrité et à la manipulation des aliments. «Nous avons déjà dû démonter des comptoirs alimentaires qui n'étaient pas adéquats», confie la grande patronne de Moisson Montréal.

L'inspectrice mangerait tout

«Les gens des banques alimentaires sont vraiment responsables», indique Ginette Bourgeois, formatrice en gestion et salubrité des aliments qui a été inspectrice à la Ville de Montréal durant une trentaine d'années. Les banques

alimentaires, comme les restaurants, reçoivent la visite des inspecteurs. Il n'y a pas deux poids deux mesures dans les règles d'inspection. Ce n'est pas parce que les aliments sont donnés qu'on permet du laxisme dans la façon dont ils sont manipulés, assure Ginette Bourgeois. «Les gens qui travaillent dans les banques alimentaires ne donneraient jamais des produits qu'ils ne mangeraient pas eux-mêmes», dit-elle.

Les bénévoles reçoivent une formation qui leur apprend notamment à préserver la chaîne de froid. C'est le plus important, dit-elle.

Dans le panier fourni par la Mission Bon Accueil, rien ne fait sourciller cette inspectrice de formation. Elle n'aurait aucune crainte à tout manger elle-même. Le paquet de jambon cuit inclus. Ainsi que ces nouilles non identifiées qui se trouvent pêle-mêle dans un sac de fruits. «Si la boîte n'avait pas été brisée, les nouilles ne se retrouveraient pas à la banque alimentaire, dit-elle. Le contenant n'est pas le même, mais le contenu, oui.»

Reste que c'est tout de même un peu triste de retrouver des produits périmés dans son garde-manger.

«C'est plus que triste, c'est pathétique, tranche Johanne Théroux, de Moisson Montréal. Tout le monde voudrait aller à l'épicerie et entrer par la grande porte. Mais parfois, ce n'est pas possible. Alors on fait ce qu'on peut pour offrir aux gens dans le besoin, le temps qu'ils en ont besoin, les meilleurs produits possibles.»

La récupération des produits périmés qui ne sont plus tolérés sur les tablettes des épiceries a aussi le mérite d'éviter que des produits qui sont toujours bons finissent prématurément à la poubelle, indique la nutritionniste Chantale Arseneau.

Globalement, elle estime aussi que le panier reçu à la Mission Bon Accueil est assez équilibré. Les endives, la laitue iceberg, le brocoli, les pommes de terre et les oignons sont moins jolis que des légumes achetés à la fruiterie. Ils devront être lavés et arrangés pour enlever les parties pourries, mais ils sont encore très comestibles. Sur les légumes, les levures produisent une petite couche gluante qui se lave très bien et qui n'est pas dangereuse pour la santé. Quelqu'un qui se débrouille en cuisine saura quoi faire de toutes ces denrées, qui ne demandent qu'à être apprêtées.

QUI VA À LA BANQUE ALIMENTAIRE?

Source principale du revenu des ménages qui bénéficient de l'aide alimentaire

51%

AIDE SOCIALE

11%

ASSURANCE EMPLOI

10%

PENSION DE VIEILLESSE

9%

EMPLOI À TEMPS PARTIEL

7%

EMPLOI À TEMPS PLEIN

2%

PRÊTS ET BOURSES

Source : Bilan Faim 2009, Moisson Montréal