Dans un petit local surchauffé de l'avenue du Parc, la naturopathe Antonina Protsenko offre de plus en plus de thérapies aux sangsues. Pour traiter les varices, les hémorroïdes, le pied diabétique, l'hypertension, l'arthrite. Même pour redonner au visage un air de jeunesse; on place une sangsue derrière chaque oreille et le tour est joué, dit-elle. L'actrice américaine Demi Moore est elle-même adepte de cette approche pour «désintoxiquer» son corps. La dernière mode en médecine parallèle?

«J'ai de plus en plus de clients, autant des hommes que des femmes. Certains viennent d'aussi loin que Winnipeg et Toronto», indique Antonina Protsenko, juchée sur des sandales noires à plateforme. Comme la blonde sexagénaire est une des seules naturopathes au pays à pratiquer l'hirudothérapie - ou utilisation médicinale des sangsues -, ses services sont fort sollicités. Elle commande plus de 300 invertébrés par année pour sa clinique, mais aussi pour la revente à des particuliers qui préfèrent se soigner eux-mêmes à la maison.

En ce jeudi matin, Alexandre Roy, 26 ans, en est à son deuxième traitement. Sportif, il commence à faire des varices sur la jambe gauche. «Son sang est trop épais, il circule mal. Avec les sangsues, ça favorise une meilleure circulation sanguine», dit la naturopathe. Lors de la séance précédente, elle a appliqué des sangsues près du foie, «là où tout démarre», précise Antonina Protsenko, en faisant référence aux méridiens de la médecine traditionnelle chinoise.

«C'est fascinant»

Après avoir enfilé des gants de latex et frotté le mollet de son client à l'eau chaude, la naturopathe extirpe une à une les sangsues d'un petit bocal. Elle les place délicatement sur les varices jusqu'à ce qu'elles mordent. «Ça brûle un peu au début, mais après, on ne sent plus rien. J'aime essayer de nouvelles approches. C'est fascinant», dit M. Roy, en prenant une photo des quatre petites bêtes agrippées à son mollet.

En 10 minutes, les sangsues ont déjà pris du volume. Le mouvement de succion est perceptible de la tête à la queue. Au bout d'une heure, les sangsues tombent d'elles-mêmes, saoulées de sang oxygéné et sucré. L'épais pansement appliqué sur les plaies a tôt fait de se gorger de sang. «Tu dois rester couché toute la journée», conseille la naturopathe.

Charlatanisme ?

La séance coûte 80$. Des cas nécessitent un ou deux traitements, d'autres un suivi mensuel. Une arnaque? Certains crient au charlatanisme. L'hirudothérapie est un traitement long qui ne se prête pas aux séances éclair. Si des recherches scientifiques récentes ont démontré son efficacité pour soulager la douleur de l'arthrite du genou, en chirurgie réparatrice et dans le traitement de certains hématomes, d'infections auriculaires et de lupus systémique, rien n'a encore été prouvé dans les autres cas. Les bienfaits de la saignée, tels que décrits par l'actrice Demi Moore, relèveraient plutôt de la croyance.

«Certaines morts ont été liées à l'utilisation de sangsues. On ne doit pas prendre ce traitement à la légère, met en garde le Dr Patrick Harris, en précisant que rien de tel n'est arrivé au CHUM. Lors d'une perte de sang importante, il est parfois nécessaire de faire une transfusion sanguine.» On a aussi vu des cas d'infection graves, qui peuvent se déclencher quelques jours après la morsure, et des allergies sévères. Un remède naturel qui, s'il est administré sans précautions, peut s'avérer mortel...

L'avis de Santé Canada

Santé Canada considère les sangsues comme des médicaments biologiques réglementés en vertu du Règlement sur les aliments et drogues. «Il est important de noter que Santé Canada n'a reçu aucune demande d'homologation pour ce genre de produit, explique Christine Legault, relationniste pour l'organisme fédéral. On a commencé à préparer des lignes directrices afin d'établir les exigences réglementaires propres aux asticots.» En attendant, les médecins peuvent utiliser les sangsues en hôpital seulement. En 2004, le gouvernement américain a approuvé l'utilisation des sangsues dans un contexte médical.