La résistance des bactéries s'aggrave en Europe et dans le monde du fait de l'utilisation excessive d'antibiotiques, un fléau mortel et coûteux qui menace l'efficacité de pans entiers de la médecine moderne, ont averti des experts réunis mercredi à Stockholm.

Des bactéries quasi-invincibles se développent, notamment en Europe dans l'est et le sud du continent, grands consommateurs d'antibiotiques, ont souligné des spécialistes rassemblés par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC), à l'occasion de la 2e journée européenne de vigilance sur les antibiotiques, organisée mercredi dans 32 pays.

«On se rapproche du mur et on n'en est vraiment pas loin», a déclaré à l'AFP Dominique Monnet, spécialiste de la question au sein de l'ECDC, basé dans la capitale suédoise.

«Certaines bactéries deviennent résistantes à tous les traitements, ou alors il faut employer des antibiotiques anciens qui sont toxiques ou des combinaisons que l'on ne maîtrise que sur le papier», explique-t-il.

Selon son enquête menée à travers l'Europe avec un professeur lyonnais, plus de la moitié (53%) d'une centaine de responsables de services de réanimation ont dit avoir été confrontés au cours des six derniers mois à au moins un cas de résistance à tous les antibiotiques.

«Sans antibiotiques efficaces, les traitements médicaux modernes comme les opérations, les transplantations et les soins intensifs deviendraient impossibles», a averti Zsuzsanna Jakab, directrice de l'ECDC.

Les bébés prématurés, les services de réanimation ou ceux d'oncologie ont particulièrement besoin d'antibiotiques efficaces, a-t-elle souligné.

«Les piliers du temple de la santé se fissurent. Nous surconsommons une ressource mondiale que nous devons préserver pour les générations futures», a lancé Otto Cars, professeur à l'université d'Uppsala et expert suédois sur la question.

L'ECDC estime à 25.000 le nombre de décès causés chaque année dans l'Union européenne par ces bactéries résistantes, soit plus de la moitié du nombre de tués sur les routes. La facture est évaluée à 1,5 milliard d'euros par an, dont 930 millions pour les hôpitaux.

Les bactéries résistantes tuent aussi des dizaines de milliers de patients aux États-Unis. Le tiers-monde, où les médicaments sont vendus sans contrôle, n'est pas épargné.

En Europe, les pays méditerranéens sont les plus touchés. Les pays nordiques ou les Pays-Bas, où les prescriptions d'antibiotiques sont moindres, sont plus épargnés.

L'an passé, neuf pays européens, dont l'Italie, l'Espagne et le Portugal, avaient des taux de prévalence supérieurs à 25% de l'E. coli, une des bactéries résistantes les plus répandues, contre 2% en 2003.

Plusieurs pays, comme la France, la Belgique, la Suède ou le Royaume-Uni ont lancé des campagnes, qui commencent à montrer des effets, pour sensibiliser la population à l'inutilité des antibiotiques contre les maladies virales.

Le staphylocoque doré, une autre bactérie résistante très répandue, a ainsi reculé dans plusieurs pays européens depuis 2003.

«Il y a des raisons d'être optimiste», a dit M. Monnet. «Mais il ne faut pas être naïf et oublier qu'une bactérie peut évoluer en 20 à 30 minutes».

Une des principales inquiétudes vient du manque de nouveaux antibiotiques, un secteur peu rentable où les laboratoires rechignent à investir. Selon Otto Cars, seuls deux antibiotiques réellement prometteurs sont actuellement en développement.