Herbes médicinales, cartilage de requin, recettes miracles... Aux Etats-Unis, 60% des patients cancéreux ont recours aux médecines non traditionnelles, au péril de leur vie parfois, et 40% environ prennent des vitamines ou des suppléments alimentaires dont ni l'efficacité, ni l'innocuité n'ont été prouvées.

Aucun de ces remèdes n'est un traitement en soi, bien que certains atténuent les symptômes. Les cancérologues sont nombreux à recommander la thérapie par le toucher ou par l'esprit, ou encore l'acupuncture, des techniques qui peuvent réduire le stress et soulager la douleur, les nausées, la bouche sèche et d'éventuelles bouffées de chaleur. Une étude récente a même mis en évidence l'action préventive du gingembre contre les nausées, lorsqu'il est pris quelques jours avant le début d'une chimiothérapie. De nombreux hôpitaux proposent aromathérapie, massages, méditation, yoga, acupuncture, autant de thérapies dites «alternatives», très demandées et sans danger pour le malade, prescrites en plus du traitement, mais jamais à la place.

 À l'opposé, des charlatans vendent des thérapies à la marge et des compléments alimentaires grâce à des «témoignages» mais sans aucune preuve scientifique: vitamines, café «détoxifiant», cartilage de requin...

«J'ai remarqué la résurgence de ces pratiques depuis un an ou deux», affirme Barrie Cassileth, qui dirige le département de médecine polyvalente au Memorial Sloan-Kettering Cancer Center de New York, et par ailleurs conseillère de longue date de la Société américaine du cancer.

Internet ne fait qu'aggraver cette tendance en permettant l'achat en ligne de ces substances sans passer par un médecin, seul professionnel capable d'aider à dépister les escroqueries et les affirmations trompeuses. Certains sites Web appartiennent à des charlatans - et un titre de docteur ne signifie pas que le remède soit efficace et sans danger.

«Beaucoup de ces médecins profitent de l'insécurité des gens et de leur besoin d'espoir», dénonce le Dr Roy Herbst, qui s'occupe du cancer du poumon au M.D. Anderson Cancer Center de l'Université du Texas.

En juin, l'agence du médicament, la FDA, a envoyé 25 lettres d'avertissement à des vendeurs en ligne de thé, pilules et autres produits abusivement présentés comme des traitements curatifs ou préventifs du cancer: cartilage de requin, sanguinaire du Canada (une herbacée), calcium coralien, césium, griffe de chat (plante), thé Essiac, divers champignons...

En septembre, l'agence fédérale du Commerce, la FTC, a ouvert des poursuites contre cinq entreprises accusées d'avoir menti sur la prétendue efficacité de traitements anti-cancéreux, et conclu des accords à l'amiable avec six autres. La FTC a par ailleurs ouvert un site Web d'information sur les faux remèdes.

Environ 7% des patients cancéreux optent d'emblée pour une médecine alternative, allant jusqu'à Mexico, les Bahamas ou un «spa» en Europe pour se procurer des traitements interdits aux Etats-Unis, selon les travaux de Barrie Cassileth. La plupart des cancers se développant lentement, les malades peuvent croire pendant un certain temps à l'efficacité de telle herbe ou tel régime spécial.

«Après quelques mois, les gens réalisent que ça ne marche pas. Mais avec le cancer, vous n'avez qu'une chance. Quand les patients retournent dans un hôpital, ils sont morts. On ne peut rien faire pour eux», assène Barrie Cassileth.

Les médecines alternatives sont nuisibles de différentes manières:

- Financièrement: les médicaments qui peuvent paraître bon marché coûtent en fait très cher s'ils sont inutiles ou qu'ils sont achetés à la place de médicaments, fruits frais ou légumes, ou d'autres choses connues pour leur action bénéfique sur la santé.

- Médicalement: tenter une médecine alternative peut retarder la prise d'un traitement efficace et permettre au cancer de se propager. Un cancer potentiellement guérissable peut ne plus être traitable.

- Physiquement: les compléments alimentaires, même dits «naturels», ont des effets biologiques et peuvent interagir dangereusement avec un large éventail de médicaments.

- Psychologiquement: un traitement inutile alimente un faux espoir, empêchant les malades de se préparer pour la fin de vie et de mourir dans le confort et la dignité.

Les plantes et compléments alimentaires peuvent affaiblir l'action des traitements contre le cancer sans que les patients le sentent ou que les médecins puissent évaluer l'ampleur du phénomène: quand un traitement échoue, il est impossible de dire si c'est dû au cancer ou à une interférence du supplément, souligne Jeffrey White, chef du service de médecine alternative et complémentaire au National Cancer Institute.

Les études montrent que près des deux tiers des patients qui utilisent des remèdes alternatifs n'en parlent pas à leur médecin, que ce soit par peur d'être jugés ou, plus souvent, parce qu'ils ignorent que cela peut nuire à l'efficacité de leur traitement.