Chaque été, depuis sept ans, je passe tout mon temps au restaurant. Je passe tout le temps ma vie au restaurant, direz-vous, et ce n'est pas totalement faux. Mais c'est encore plus vrai l'été, car c'est le moment où je fais la mise à jour de mon guide annuel, Restos Montréal.

Parfois, c'est matin, midi et soir au resto. Parfois, j'essaie deux ou trois établissements le même soir une entrée ici, un plat là-bas et une glace ailleurs. Le tout après avoir lunché dans un endroit inédit et pris le petit-déjeuner au nouveau petit café branché dont tout le monde parle.

Parfois, je me dis que j'ai le meilleur job au monde.

Parfois, j'en ai marre, je suis au bord de la crise de foie, je n'ai plus envie de rien que de salade verte. Parfois, j'ai l'impression de perdre mon temps en essayant des tables inintéressantes. Et puis, et puis parfois, je tombe sur des petits bijoux.

C'est arrivé quelques fois cet été. Je vous en parlerai dans les prochaines semaines. Mais bien en haut de la liste des endroits qui m'ont fait plaisir, je mettrais le Majestique, un nouveau «restaurant nocturne» du boulevard Saint-Laurent. Lancé par une équipe dans laquelle on trouve ceux qui nous ont donné la brasserie Holder et la Brasserie Bernard, ce Majestique, bar-restaurant qui n'accepte que les convives de 18 ans et plus, d'ailleurs, comme un bar, est absolument charmant. Et cela est dû à une combinaison de facteurs, notamment un décor rétro franchement bien ficelé et un menu préparé par Charles-Antoine Crète, l'ancien chef de cuisine du Toqué!, parti voler de ses propres ailes.

Crète n'est pas aux fourneaux chaque soir pour préparer le repas, il a agi à titre de «consultant». Mais l'exécutant, Dominique Lalonde, a lui aussi passé par les cuisines du Toqué !, avec tout ce que cela signifie comme formation rigoureuse. Le résultat: on est dans une taverne à l'ancienne dont le décor totalement rétro flirte avec les années 50 et 60, pour manger une cuisine ancrée résolument dans les traditions, mais impeccablement moderne. La carte de vins, en prime, est remplie de petites trouvailles, dont beaucoup de vins naturels comme les jeunes chefs les aiment, mais demeure conviviale. Bref, ça marche.

Comme c'est un bar très fréquenté, qu'on est en 2014 et que c'est devenu presque la norme dans ce genre de lieu, on ne peut pas réserver. Donc on arrive à l'heure qu'on veut en croisant les doigts pour qu'il y ait de la place et en faisant aller son jugement. Un vendredi soir à 20h? Hmmm, le risque d'attente est élevé. Un mardi soir à 21h, par un temps moche? Je parie qu'on fera la file un peu moins longtemps. Va savoir, comme dirait Réjean Ducharme, brillant écrivain capteur de ces années un peu pré un peu post Révolution tranquille à qui on pense un peu en humant le maintenant sympathique pathétisme du décor. L'aménagement de ce lieu jadis occupé par le Delli-Cité après le Lesters est signé Thomas Csano, un tripeux d'objets kitsch qui est aussi graphiste. Hétéroclite, mais très ordonné, donc.

Pour ce qui est du menu, il ne faut pas s'attendre à des plats composant un repas traditionnel, avec entrées et compagnie, mais plutôt à des assiettes qui se partagent autour d'un verre de bière ou d'une bouteille de vin.

On pense d'abord aux assiettes d'huîtres, évidemment, ce plat de toute bonne brasserie parisienne devenu classique partout à Montréal. On les sert avec une jolie mignonnette.

À ne pas rater, absolument, le hot-dog géant, dont le pain de mie de la forme typique est préparé, sur mesure, à l'échelle, par la boulangerie Hof Kelsten. La saucisse maison de porcelet est elle aussi surdimensionnée et on garnit le tout de mayonnaise au citron légèrement épicée et d'une montagne de chou, de pomme verte en allumettes et de paille de poireau frit, avec moutarde évidemment. Les saveurs rebondissent en bouche, les textures se répondent, avec ce pain hypermoelleux, la saucisse savoureuse et dodue et pas trop salée, le croquant des garnitures. Bref, on se régale.

Autre joli plat à partager tout simple: une pommade au maquereau fumée, bien crémeuse, équilibrée, qu'on sert avec de longues mouillettes briochées.

Tout le menu est conçu ainsi autour de concepts qui ont fait leurs preuves. Des plats salés mais pas trop, riches mais pas trop, et surtout savoureux. Comme les bourgots, par exemple, ces escargots de mer que l'on sert à la bourguignonne modifiée, dans du beurre fondu aux algues, dans le plat traditionnel avec les petites cavités spéciales pour les mollusques. Riche et copieux, évoquant l'océan. Il y a la salade de haricots verts, une autre de tomate, des primeurs de saison toutes fraîches qui s'envolent en deux minutes, croquantes sous la dent. On aime aussi le boeuf mariné à peine saisi, que l'on sert sur des lanières de légumes encore croquants. Pensez carottes, courgettes, betteraves, etc.

Pour le dessert, la carte est courte. Évidemment, nostalgie oblige, on a ressorti des boules à mites la recette d'un impeccable sucre à la crème, lisse et dense comme il se doit. Souvenirs d'enfance intenses garantis. La panna cotta au basilic le dessert du jour est plus audacieuse, mais légère et bien parfumée. Un classique italien revisité que l'on pourrait décrire comme une version mille fois meilleure du «blanc-manger» d'une autre époque, cette époque que ce bar évoque et réinvente en plus savoureux, en plus fin, avec humour et affection.

Le Majestique

4105, boulevard Saint-Laurent

514 439-1850

http://www.restobarmajestique.com/

> Prix: Assiettes style tapas, de 5$ à 22$ environ. Le menu change avec les saisons. Desserts de 3$ à 5$.

> Carte de vins: Carte recherchée avec beaucoup d'importations privées de petits producteurs indépendants travaillant avec des méthodes naturelles ou issues de la biodynamie. Dommage que les serveurs ne soient pas tous assez formés pour parler de la carte efficacement.

> Service: Efficace et sympathique mais, encore là, un certain manque de connaissances de la carte de vins en particulier et du vin en général.

> Style: C'est un bar d'ailleurs interdit aux moins de 18 ans où l'on sert de la bonne nourriture et où l'on peut d'ailleurs manger jusqu'à 2h du matin. La déco signée Thomas Csano est rétro, éclectique, remplie de trouvailles de marché aux puces et rend hommage aux tavernes des années 60. Le menu a été conçu par Charles-Antoine Crète, l'ancien chef de cuisine du Toqué!

> Niveau de décibels élevé.

(+) La qualité de la nourriture, l'atmosphère franchement allumée.

(-) On ne prend pas les réservations, donc bonjour l'attente certains soirs, et on ne peut pas y aller avec des ados même s'ils sont avec leurs parents car c'est un bar réservé aux 18 ans et plus.

On y retourne? Bien sûr.