Il y a eu le Serpent que j'ai bien aimé, à cause du tableau de Pierre Dorion et de la salade de betteraves. Il y a eu Patrice Pâtissier, pour la tarte chocolat-caramel et l'assiette crevettes-concombre. Et puis, dans la liste des coups de coeur 2014, j'ajouterais maintenant Manitoba, une nouvelle adresse du Mile Ex qui se consacre à la cuisine du terroir et à la recherche de ses racines autochtones.

Coup de coeur, d'abord, pour un emplacement. Installé rue Saint-Zotique, tout près de l'avenue du Parc, dans un quartier plutôt industriel, peu résidentiel, où les autres adresses alimentaires sont aussi rares qu'excentriques et intéressantes on pense au restaurant le Mile Ex, au bar Alexandraplatz ou au Dépanneur le Pick Up , le Manitoba nous transporte dans une zone réellement peu explorée de Montréal. On pense à Williamsburg avant l'embourgeoisement, on pense au Queens d'Hugue Dufour et de son nouveau steak house, M. Wells, au Brooklyn austère et couvert de graffiti de la pizzeria Roberta's. Le genre de quartier où on emmène amis ou parents au regard dubitatif en leur répétant que oui, oui, oui, il y a bien un restaurant cool à l'autre carrefour...

Coup de coeur ensuite pour un espace. Le restaurant est dans un local aux hauts plafonds, aménagé avec beaucoup de goût, juste assez de soin, pas trop. On n'est ni dans un entrepôt trop brut ni dans un catalogue de la chaîne américaine de décoration pseudo-rétro Restoration Hardware. On aime le faux plafond de bois, le bar de bois torréfié...

Au menu, le restaurant lancé par Elizabeth Cardin et Simon Cantin qui ne viennent ni l'un ni l'autre du milieu de la restauration, mais plutôt de la filière écologie pour elle et design-construction pour lui a un parti pris: mettre en valeur non seulement les fruits du terroir québécois, mais aussi des produits sauvages ou ancestraux aux racines autochtones. Le restaurant ne joue aucunement sur le thème folklorique, mais s'inspire visiblement du courant nordique actuel pour ouvrir la porte vers un univers alimentaire méconnu. Pour mettre le concept en oeuvre, Christopher Parasiuk, Albertain d'origine, pilote les fourneaux.

Une des entrées, par exemple, est un plat de croquettes de sagamité, une pâte à base de maïs frite en boulette, un peu comme des falafels ou des acras. C'est servi avec une mayonnaise au carcajou, du raifort sauvage. Côté goût, la composition n'est pas révolutionnaire, il faudra un peu travailler le mélange de maïs si je comprends bien, la sagamité peut être modifiée selon les produits saisonniers , mais les croquettes sont fort sympathiques, bien croustillantes à l'extérieur et moelleuses à l'intérieur.

En entrée, j'ai aussi adoré la mousse de truite fumée qu'on mange sur du pain au levain bien grillé, les huîtres...

Nous étions quatre et avons décidé de partager les plats, comme une très bonne entrée d'asperges du Québec, servies dans une pâte feuilletée, avec des pleurotes érigés bien charnus, une purée de panais fine et toujours un peu vanillée, et l'acidité amusante de baies d'argousier.

Est arrivée ensuite une cuisse de canard confite, servie sur des lanières de chou-rave et relevée au gingembre sauvage. Là encore, une belle composition combinant la fraîcheur du chou avec la richesse du canard. Quant au plat de flanc de porc braisé, il propose un style franchement cochon, gras, exquis, avec une peau croquante et une chair qui tombe sous la fourchette. Quelques palourdes apportent une touche maritime, des haricots cocos parfaitement cuits bravo! ajoutent un caractère roboratif presque excessif, même s'ils sont, justement, encore croquants donc presque frais. Seul bémol: on nous promet la viande braisée au poivre des dunes, épices ancestrales, et on cherche ce parfum.

Une huître frite accompagne le pavé d'esturgeon noir, ainsi que quelques pousses d'asclépiades, fleur sauvage québécoise au léger goût de crucifères.

Comme c'est malheureusement trop souvent le cas avec les restaurants qui servent une cuisine très terroir inspirée des tendances néo-nordiques, les desserts sont décevants. Le «flanc au flanc» n'est pas mauvais, même que la crème prise est soyeuse et douce, mais est-ce vraiment nécessaire d'ajouter des morceaux grillés de flanc de cochon? La provocation n'a pas toujours meilleur goût. Quant à la tarte à la rhubarbe façon tarte au citron, on préfère l'oublier, brouillonne, pâteuse; bref, sans intérêt.

Dommage de terminer le repas ainsi, car toute la partie salée est réellement intéressante. Il y a encore du travail à faire pour que ressortent mieux les saveurs nouvelles que le chef veut nous faire connaître. Du travail à faire aussi pour épurer les présentations. Mais le lieu, l'ambiance, la démarche, ingrédients cruciaux, sont déjà là.

Bref, un joli restaurant prometteur.

Manitoba

271, rue Saint-Zotique Ouest

Montréal

514 270-8000

> Prix: Amuse-bouche et entrées à manger avant le repas ou à l'apéro: entre 3$ et 8$. Ensuite, assiettes entre 9$ et 20$, que l'on combine comme on le veut.

> Vins: On privilégie les vins naturels, biologiques. Carte courte, mais produits originaux, intéressants. Prix raisonnables.

> Service: Sympathique et chaleureux, adoré l'humour d'Élisabeth, la proprio.

> Décor: Lieu magnifique post-industriel, ouvert avec de grandes portes de garage, plafonds hauts, aménagement rustique soigné, juste assez brut.

> Ambiance: Il y a de la place, de l'air, donc on s'entend parler. Rendez-vous de gens qui cherchent les nouvelles bonnes adresses, d'architectes, de designers et autres créatifs qui travaillent dans le quartier. Lieu accueillant.

(+) L'espace, le concept visant à mettre en valeur les produits sauvages

(-) Les desserts...

On y retourne? Oui, le plus vite possible!