Santé bucco-dentaire - deuxième article d'une série spéciale.

Santé bucco-dentaire - deuxième article d'une série spéciale.

Ils se disent « anti-dentistes ». Ils préfèrent laisser leurs dents pourrir, voir tomber, plutôt que de s'asseoir dans la chaise d'un dentiste.

Leur obstacle : la peur. La peur de la douleur, des aiguilles, des docteurs, des espaces restreints, des bruits intenses et des coûts élevés liés aux soins dentaires, soins que le Dr Joe Bulger résume en trois mots : « perforation, plombage et facturation ».

« Comment les blâmer? », demande celui qui est propriétaire de la clinique Royal York Dental, dans la région de Toronto. Il comprend si bien la crainte qu'éprouvent ces personnes qu'il a lancé le blogue « Hate Dentists » (www.hatedentists.com), où il invite ses lecteurs à partager les histoires d'horreur qu'ils ont vécues.

« La chaise d'un dentiste peut représenter la somme de toutes les peurs », dit-il.

Le Dr Bulger partage sa propre histoire. À l'âge de cinq ans, il a été confié à « un dentiste impitoyable, ex-militaire », qui a perforé ses dents sans lui administrer d'anesthésiant local. « Ma soeur l'a mordu, mais je n'ai pas eu le cran de le faire. » Au début de son adolescence, il redoutait les visites chez le dentiste. « Les personnes qui ont vécu une expérience comme la mienne entretiennent leurs craintes à un point tel qu'elles en deviennent paralysées. »

Heureusement, la dentisterie a changé. « Les dentistes savent maintenant qu'ils doivent communiquer avec leurs patients et établir une relation avec eux », explique-t-il. « Lorsqu'un patient est assis dans la chaise de son dentiste, son confort relève davantage de la psychologie que de la technologie. »

Le Dr Barry Dolman, dentiste de Montréal et président de l'Ordre des dentistes du Québec, abonde dans le même sens. « Nos patients se sentent vulnérables », dit-il. « La compassion est très importante. » Il lui arrive au moins une fois par semaine de traiter un patient qui n'a pas eu de visite chez le dentiste depuis 10 ans. « Ce ne sont pas les coûts qui les repoussent. Il s'agit d'avocats et de docteurs, de gens qui possèdent une maison à la campagne et prennent des vacances en famille. Leur peur les gêne et ils craignent que nous leur fassions la leçon. »

Le Dr Dolman ne nie pas le fait que les coûts peuvent décourager certaines personnes d'avoir recours aux services d'un dentiste, mais il croit que la peur de l'inconnu et les mauvaises expériences jouent un rôle plus important.

Il souligne qu'au Québec, les services dentaires sont gratuits pour les enfants de moins de 10 ans et les personnes bénéficiant d'une assistance financière. « Pourtant, moins de 50 % des gens qui sont admissibles à ce programme vont chez le dentiste », affirme-t-il. « Même s'il n'y a pas de frais pour eux, nous n'arrivons pas à les attirer. »

Une visite chez le dentiste dès l'âge de trois ans pourrait être la solution qui permet de réduire les craintes susceptibles de se manifester ultérieurement. « Les dentistes disposent maintenant d'outils pour rendre l'expérience des enfants agréable », soutient le Dr Harry Hoediono, président de l'Ontario Dental Association. « L'essentiel, c'est de les distraire », dit-il. « Nous avons des DVD de leurs émissions de télévision favorites, des écouteurs qui leur permettent d'entendre de la musique, des autocollants et des ballons. Certains dentistes leur remettent même des récompenses, par exemple des billets de cinéma. Et ça fonctionne. »

Les nouvelles technologies et pratiques rendent également le bureau des dentistes plus attrayant pour les patients. « Si une personne souffre d'une peur grave des aiguilles, nous pouvons lui offrir des aérosols anesthésiques pour engourdir les zones ciblées, de l'oxyde de diazote pour la calmer, ou encore des médicaments administrés par voie orale pour apaiser son anxiété », explique le Dr Hoediono.

Bien que les dentistes ne disposent pas tous d'un équipement de pointe, de plus en plus de cliniques sont dotées de caméras intrabuccales permettant aux patients d'observer le travail du dentiste, de lasers antidouleur qui coupent les tissus sans nécessiter d'anesthésie et permettent dans certains cas d'éviter la perforation, d'appareils de radiographie numériques qui exposent le patient à une dose de radiation réduite de 85 %, ainsi que de la technologie de prise d'empreinte numérique pour les couronnes et les ponts, qui remplace la méthode avec porte-empreinte et silicone.

Pour ceux et celles qui sont absolument incapables de pénétrer dans le bureau d'un dentiste, il existe une solution. Bon nombre des 24 000 hygiénistes dentaires du Canada ont établi leur propre pratique, offrant ainsi une option intéressante aux personnes qui souffrent d'une phobie des perceuses, des odeurs et des bruits propres aux cliniques dentaires.

Certains praticiens autonomes travaillent à domicile; d'autres dans des cliniques holistiques, des résidences pour personnes âgées ou des lieux de travail. Plusieurs se rendent même chez leurs patients.

« Nous offrons une réadaptation à la clinique dentaire, de façon progressive et en tout confort », indique Arlynn Brodie, de Vancouver, présidente de l'Association canadienne des hygiénistes dentaires. Elle explique que les patients peuvent obtenir un examen et un traitement sur place, notamment une analyse des tissus, un nettoyage et un blanchiment des dents, un test de dépistage du cancer buccal, des conseils en matière de nutrition et même de la guidance pour l'arrêt du tabagisme.

« Nous vérifions si des soins dentaires supplémentaires sont nécessaires et, le cas échéant, nous adressons le patient aux ressources concernées. Nous parvenons à rasseoir les gens dans la chaise d'un dentiste dans un délai de six mois. »