Alors que l'industrie de la beauté naturelle est en plein boom - le marché international devrait atteindre plus de 21 milliards en 2025, une hausse de 9,5 %* -, le maquillage est certainement le secteur où l'offre «verte» est la moins abondante. Mais plus pour longtemps.

Depuis plusieurs années, la mise en beauté très naturelle, qu'on appelle souvent le maquillage «no makeup», a la cote. Un peu paradoxal lorsque les produits de maquillage qu'on utilise, eux, sont tout sauf naturels.

Jusqu'à récemment, le maquillage était le grand oublié de cette effervescence qui gagne le marché de la beauté verte. Mais les choses changent, alors que de plus en plus de marques font leur apparition. On pense, au Québec, à Maison Jacynthe, qui offre une gamme complète de maquillage depuis 2016, ou encore à la marque australienne Nude by Nature, désormais offerte au Canada, et à Dr. Hauschka, qui a lancé sa première gamme de maquillage en 2017.

«Il y a encore quelques années, l'offre de maquillage naturel était assez pauvre, et vraiment grano, pas du tout attirante. Mais c'est vraiment une industrie en train d'éclore, c'est fou comme chaque année, chaque mois, elle prend de l'expansion, et ça forcera bientôt les grandes multinationales à prendre le virage», croit Léa Bégin, maquilleuse professionnelle et fondatrice du blogue Beauties, qui a commencé à se convertir aux produits naturels il y a sept ans.

Changer ses habitudes

Alors que les consommateurs sont de plus en plus conscients des ingrédients potentiellement toxiques, néfastes, irritants, allergènes et polluants qui se retrouvent dans leurs détergents, savons, crèmes, shampoings et autres produits corporels, nombreux sont ceux qui changent leurs habitudes, et c'est de plus en plus vrai lorsqu'il est question de leur trousse de maquillage.

Catherine Vaillancourt, maquilleuse professionnelle et fondatrice de Nörskin, un tout nouvel espace voué à la beauté naturelle à Blainville, a découvert cet univers lorsqu'elle a été contactée par une entreprise de maquillage naturel pour faire la mise en beauté de clientes en cours de traitement contre le cancer ou en rémission.

«Au début, j'avais des préjugés: ça ne tient pas, ça ne fonctionnera pas. Mais j'ai commencé à faire des recherches, et quand j'ai découvert ce que les compagnies mettaient dans leurs produits, j'ai été vraiment traumatisée! Petit à petit, j'ai transformé ma trousse en naturel», indique Catherine Vaillancourt, maquilleuse professionnelle.

Ambassadeur pour Nude by Nature, le maquilleur Clint Dowdell l'avoue: avant de commencer à travailler pour la marque australienne, il était complètement «inconscient» que certains ingrédients des produits qu'il utilisait pouvaient être nocifs. «Puis, j'ai réalisé qu'il y avait de bonnes alternatives, qui étaient à la fois meilleures pour ma peau et ma santé - et celles de mes clients!»

«Ce qui me dérange le plus, ce sont tous les ingrédients qui peuvent perturber le système endocrinien, dont les enfants en croissance, surtout quand on sait que plusieurs petites filles vont se maquiller pour jouer», ajoute Mme Vaillancourt.

Avec son blogue Beauties (dont elle lancera le volet boutique au printemps), Léa Bégin s'est donné comme mission d'aider les femmes à simplifier leur routine beauté et à changer leurs habitudes. Son conseil: faire le virage, petit à petit. «L'idée n'est pas d'être extrême, mais de s'ouvrir les yeux.»

Et la performance?

L'industrie de la beauté verte souffre encore de certaines idées reçues, à savoir que les produits naturels seraient plus artisanaux et probablement pas aussi efficaces ou agréables à utiliser.

Ces préjugés sont tenaces (et parfois vrais) lorsqu'il est question de maquillage naturel, dont les formulations vont utiliser notamment des huiles et cires végétales, des pigments minéraux et divers extraits naturels. Rouges à lèvres qui s'effritent, pauvre variété de couleurs, fonds de teint épais et difficiles à étendre... «J'en ai essayé des vraiment terribles!», se souvient Mme Vaillancourt. «Mais il y a aussi des produits vraiment extraordinaires, qui allient nature et science. On se rend vite compte que moins de maquillage est nécessaire lorsqu'on utilise des produits qui sont bons pour la peau. Je n'ai jamais eu une cliente qui est revenue en arrière.»

«Mon plus grand obstacle est de convaincre les gens des résultats magnifiques qu'ils auront en utilisant nos produits, explique Clint Dowdell. Plusieurs pensent que c'est nécessairement un compromis d'opter pour le naturel. Tout ce que je peux leur dire, c'est: regardez les résultats. On vend un fond de teint Poudre libre éclat toutes les 60 secondes en Australie! Et ce n'est pas seulement parce que c'est naturel et plein de bons ingrédients pour la peau, mais d'abord parce que le produit fonctionne.»

Maquilleur professionnel, Karim Sattar a trimé pendant cinq ans afin de mettre au point la gamme de maquillage de Dr. Hauschka. «En tant que maquilleur, pour moi, la performance est primordiale. Cela dit, certains produits ont des textures qui demandent une adaptation, puisque nous n'utilisons aucun produit synthétique, comme le silicone. Mais nous avons aussi innové, par exemple avec un brevet qui nous permet d'introduire des extraits de plantes médicinales dans nos poudres et fonds de teint liquides.»

Oui, «le maquillage naturel peut être aussi performant que le non naturel», croit Mme Bégin. Mais en passant au naturel, il faut aussi ajuster ses attentes. «Est-ce vraiment normal qu'un rouge à lèvres tienne 12 heures et un fond de teint, 24 heures? Il faut imaginer tous les ingrédients synthétiques qui sont nécessaires pour arriver à ce résultat. Oui, un maquillage naturel demandera un peu plus de retouches, mais qu'est-ce qu'une minute de son temps pour privilégier la santé devant l'aspect esthétique?»

*Organic Personal Care Market Size, Share & Trends Analysis Report, Grand View Research (2018)

VÉGANE N'ÉGALE PAS NATUREL

Ce n'est pas parce qu'une marque s'affiche végane qu'elle est pour autant naturelle. Les deux termes ne sont pas synonymes, car des formulations véganes n'excluent pas nécessairement des composés synthétiques, par exemple issus de la pétrochimie. De la même façon, plusieurs marques naturelles ne sont pas véganes, car elles vont utiliser de la soie, de la cire d'abeille ou encore le carmin, un pigment rouge profond obtenu d'un insecte, la cochenille.

Les ingrédients à éviter

Voici quelques ingrédients qu'il vaut mieux éviter, selon le site Campaign for Safe Cosmetics.

BHA et BHT 

Le BHA (hydroxyanisol butylé) et le BHT (butylhydroxytoluène) se trouvent dans plusieurs produits de maquillage comme les fards et rouges à lèvres. Ces conservateurs sont considérés comme des perturbateurs endocriniens, et potentiellement cancérigènes. 

Parabènes et leurs variétés

Utilisés comme conservateurs, les parabènes ont été ciblés comme perturbateurs endocriniens. Les parabènes à plus longue chaîne, comme le butylparaben et le propylparaben, seraient les plus nocifs.

Parfum

L'International Fragrance Association dresse la liste de plus de 3000 substances pouvant être utilisées dans les parfums, mais ces composants sont rarement détaillés dans les listes d'ingrédients. Dérivés du pétrole, solvants, stabilisateurs, conservateurs et autres colorants peuvent s'y retrouver. 

PTFE

Le polytétrafluoroéthylène (PTFE) est un composé issu du fluor et connu sous la marque déposée Teflon. Il est utilisé dans les produits antiâge et les poudres diverses. L'ingrédient a été associé à des risques de cancer, un retard de puberté et des effets néfastes sur le système endocrinien.

Talc

Cette substance minérale est utilisée dans une grande variété de produits cosmétiques, dont les fards à paupières, rouges à lèvres et fonds de teint. Il peut être contaminé à l'amiante, un produit cancérigène connu.

Titanium dioxyde

Utilisé comme filtre UV ou agent blanchissant, cet ingrédient est potentiellement cancérigène lorsqu'il est inhalé. C'est le cas lorsqu'on le retrouve dans des poudres libres ou compactes et des fards à joues et à paupières.

Sources: Campaign for Safe Cosmetics, Fondation David Suzuki, L'observatoire des cosmétiques, Skin Deep d'EGW

photo Sarah Emily St-Gelais, fournie par Léa Bégin

Léa Bégin, maquilleuse et fondatrice du blogue Beauties