L'annonce de la fermeture prochaine des boutiques de la société Dans un Jardin, qui a déclaré faillite et procède actuellement à la liquidation de ses stocks, a créé de vives réactions et beaucoup de nostalgie, notamment sur les réseaux sociaux, et provoqué une ruée en boutique des clients, bien décidés à mettre la main sur leurs produits favoris avant qu'il ne soit trop tard.

Dans un Jardin a annoncé lundi par voie de communiqué qu'elle mettait fin à ses opérations, ce qui a pris ses employés par surprise et créé une vive déception chez sa clientèle.

Sur les réseaux sociaux, près de 800 personnes avaient partagé la nouvelle relayée par La Presse et des centaines avaient publié des commentaires. Plusieurs exprimaient leur déception. «Nooon! Mon parfum "mûres sauvages"», a écrit Maryse Boutin, en accompagnant son message d'une émoticône en larmes. D'autres, comme Sylvain Verreault, y sont plutôt allés d'une pointe d'ironie: «Consolons-nous, ceux qui ont reçu des paniers il y a 15 ans ont encore les produits chez eux.»

Des points de vue qui expriment bien à quel point l'entreprise avait gagné depuis 35 ans le coeur des Québécois... tout en ne réussissant pas entièrement, au fil des ans, à se défaire de son parfum suranné, malgré une stratégie de changement d'image qui avait été mise de l'avant par le nouveau président, Eric Arminjon, au cours des cinq dernières années.

Génération Dans un Jardin

C'est toute une génération qui a grandi enveloppée par les odeurs des parfums Mûre sauvage ou de la gamme pour enfants Pois de senteur. «C'est un gros morceau qu'on perd, c'est ça que les gens réalisent», constate Marie-Noël Gingras, blogueuse et auteure du livre La beauté sans cruauté.

«On voit que Dans un Jardin est étroitement liée aux souvenirs, à la nostalgie; les premiers cosmétiques achetés, adolescent, l'époque des ornements autour du bain, avec les bulles qu'il ne fallait surtout pas toucher! C'est dommage, car c'est une entreprise qui fabriquait ses produits ici et qui ne testait pas sur les animaux, une belle option "sans cruauté" qui disparaît», ajoute-t-elle.

«Je porte Mûre sauvage depuis que j'ai 12 ans, je suis désemparée. Ce parfum, c'est mon identité, sans lui je me sens toute nue. Et les gens me reconnaissent avec cette odeur aussi», indique Nathalie Duriau, qui a aujourd'hui 38 ans.

D'ailleurs, au cours de notre passage dans une boutique Dans un Jardin mercredi, une vendeuse nous a mentionné - entre deux téléphones de clients qui cherchaient désespérément à mettre la main sur leurs produits préférés - que certains articles, dont la fameuse eau de toilette Mûre sauvage, étaient déjà introuvables en magasin.

À la boutique de Place Montréal Trust, Ginette Valois, de Saint-Jean-sur-Richelieu, s'était déplacée pour mettre la main sur les dernières bouteilles du gel douche Glace pour hommes, que porte son conjoint. «Je suis très déçue que ça ferme, c'est une entreprise québécoise que j'aimais encourager. Oui, c'était un peu plus cher, mais ce sont des produits de qualité», estime celle qui dit être une cliente depuis une quinzaine d'années.

De la France au Québec

Peu le savent, mais la marque Dans un Jardin est née en France. C'est la comtesse Lucile de Baudry D'Asson qui a fondé la marque, en 1976, à Paris.

Et si Dans un Jardin est arrivée au Québec, c'est grâce à... Gérald Tremblay (oui, l'ex-maire de Montréal) et à sa femme, Suzanne Tailleur, qui ont obtenu les droits de distribution exclusifs en Amérique du Nord et ouvert la première boutique au Québec en 1983, avenue Laurier Ouest.

Joint au téléphone, M. Tremblay s'est dit très attristé par la nouvelle. «Nous avons toujours continué à encourager Dans un Jardin. C'était un concept assez exceptionnel, mais la compétition a eu raison, semble-t-il, de l'entreprise», regrette-t-il, en ajoutant que sa femme et lui se sont rendus à la boutique du Carrefour Laval, plus tôt cette semaine, pour se procurer leurs produits favoris.

C'est au cours d'un voyage en France que le couple a été initié à la marque par des amis français. «Nous avions beaucoup aimé les produits et le concept. À l'époque, ma femme avait une boutique sur Laurier, Entre nous, et nous avons décidé de nous diversifier dans la parfumerie. Nous avons ouvert la première boutique Dans un Jardin, juste en face. La comtesse était venue, les gens faisaient la file!», se souvient-il.

Photo André Tremblay, Archives La Presse

L'ancien logo de Dans un jardin

Une bonne stratégie?

Rencontré en 2014, le président de l'entreprise, Eric Arminjon, misait gros. Il disait vouloir complètement changer l'image de la marque, du logo aux étiquettes en passant par les produits proposés en boutique. «Il va y avoir des changements énormes! Tout le packaging va changer, ce sera dernier cri et très moderne. Il n'y aura plus ce côté "matante"», avait-il confié à La Presse. M. Arminjon n'a pas répondu à notre demande d'entrevue.

Mais ce changement n'a pas été bien accueilli par toute la clientèle, nous a confié une employée de Dans un Jardin qui a préféré garder l'anonymat (NDLR: la direction de l'entreprise a demandé aux employés de ne pas parler aux médias).

«Nous avons eu vraiment beaucoup de plaintes concernant les changements d'emballages, de visuel. La clientèle plus âgée, celle des premières heures, n'aimait pas du tout le côté moins coloré, plus froid.»

Est-ce que l'entreprise a manqué de temps pour mettre en place toute sa stratégie, alors qu'elle venait cette année d'être introduite dans les Jean Coutu? Dans les coulisses, certains employés et ex-employés se disent étonnés, car Dans un Jardin afficherait de bons résultats cette année. Des rumeurs de rachat de la marque par d'autres groupes circulent également.

Expert en «branding», Pierre Nadeau croit que Dans un Jardin, malgré les «efforts extraordinaires» qui ont été mis, n'a pas concentré ses énergies au bon endroit.  L'erreur qui a été faite, c'est de penser uniquement aux produits, à l'esthétique de la présentation. Mais les gens n'achètent jamais des produits, mais une confirmation de leur identité. Ils achètent des produits qui leur ressemblent. Si je suis une entreprise qui propose du moyen de gamme et que, tout à coup, j'ai un look haut de gamme, mais avec le même prix, ça devient une erreur de stratégie de positionnement.»

L'homme, qui a travaillé plusieurs années avec Yves Rocher notamment, croit que Dans un Jardin, comme Rona, Saint-Hubert et plusieurs autres, ne s'est pas assez questionnée sur son image de marque, son «branding». «Il y a une urgence au Québec de se construire une image de marque, de mettre en branle notre nordicité. On perd de l'argent, car il faut percer à l'international, en incorporant notre vraie histoire à nos produits. Le vrai marché n'est pas au Québec, mais aux États-Unis, en Espagne, au Japon!»

Envie de mettre la main sur un de vos produits favoris? Il est toujours possible de commander en ligne. Dans un Jardin tient actuellement des ventes d'entrepôt à Québec, à Longueuil et à Gatineau.

Dans un Jardin, c'est :

- 55 boutiques

- 600 points de vente au Québec et au Canada

- 250 employés (et près de 600 durant le temps des Fêtes)

Photo fournie par Dans un Jardin

Mûre sauvage, sans aucun doute la gamme la plus iconique de Dans un Jardin

Les dates importantes

- 1976: Ouverture de la première boutique à Paris. Dans un Jardin offrait alors des produits pour le rituel du bain, embouteillés dans des flacons à l'ancienne.

- Années 80: Avec son décor élégant et ses emballages raffinés, Dans un Jardin croît rapidement et compte une centaine de boutiques, surtout en Europe.

- 1983: Gérald Tremblay et sa femme Suzanne Tailleur amènent le concept au Québec et ouvrent cinq boutiques, deux à Montréal (avenue Laurier, Centre Rockland) et trois ailleurs au Québec (Sherbrooke, Québec, Chicoutimi).

- 1986: Jean-Claude Gagnon rachète la franchise québécoise et obtient, un an plus tard, les droits internationaux, ce qui fait de Dans un Jardin une entreprise désormais 100 % québécoise. Une usine de fabrication est mise sur pied et des franchises sont lancées.

- 1989: Réal Lafrance, propriétaire du groupe Marie-Claire, rachète la société.

- 1990: Lancement de la gamme Pois de senteur Maman et Bébé, qui connaît un succès retentissant.

- 1992: La concurrence se fait sentir: après l'arrivée de The Body Shop, en 1990, l'entreprise Fruits & Passion lance ses activités.

- 2007: La société déménage ses activités dans une nouvelle usine de 60 000 pi2, à Boucherville, où sont fabriqués les produits.

- 2014: Dans un Jardin célèbre ses 30 ans sur le sol québécois. Eric Arminjon devient président. Une première boutique arborant la nouvelle image est inaugurée, aux Galeries d'Anjou.

- 2018: Dans un Jardin déclare faillite et annonce la fin de ses activités. Les boutiques resteront ouvertes jusqu'à écoulement des stocks, aucune date précise n'a été communiquée par l'entreprise.