Leur métier: récolter des plantes sauvages pour l'industrie. Mais devant l'explosion de la demande en produits naturels et quelques pillages ici et là, se pose la question d'encadrer une activité restée très libre et mystérieuse.

Dans les cosmétiques, en médecine naturelle, dans les alcools, l'alimentation et même les croquettes pour chien, de plus en plus de plantes sont utilisées.

Mais «ce n'est pas parce que l'on consomme naturel, que ça fait du bien à la nature», prévient Claire Julliand, doctorante à l'Institut de géographie et de durabilité de Lausanne qui travaille depuis 10 ans sur les cueillettes commerciales de la flore sauvage.

Les champignons ne sont plus les seules victimes de cueillettes ravageuses. Plusieurs scènes de pillages ont été observées en Ariège pour la gentiane, en Ile-de-France sur du muguet, en bords de Loire sur le perce-neige, rapporte Bernard Pasquier, directeur du Conservateur national des plantes à parfum, médicinales, aromatiques et industrielles.

La gentiane à New York

La gentiane jaune par exemple n'est pas seulement utilisée pour ses vertus dépuratives. Outre la vieille Suze ou le Picon, les liqueurs de gentiane font un tabac à New York. L'agroalimentaire aussi en est friand et particulièrement les fabricants d'aliments pour animaux, car la gentiane est une plante appétante, explique Raphaëlle Garetta, du Conservatoire botanique national des Pyrénées et de Midi-Pyrénées.

Résultat: en 2008-2009, il y a eu des «débordements» dans six communes de l'Ariège avec arrachages massifs d'une plante qui a besoin de 10 à 15 ans pour se reproduire.

«C'était de la main-d'oeuvre étrangère travaillant pour le compte de collecteurs qui envoient la marchandise en Allemagne ou même jusqu'en Chine, sans aucune traçabilité. Ça a duré quelques années, jusqu'à un vol dans une forêt d'État qui a conduit les autorités à agir», raconte Raphaëlle Garetta.

Depuis juillet 2012, un arrêté préfectoral encadre donc strictement la cueillette qui est désormais limitée dans le temps (de septembre à fin décembre). Et les cueilleurs ne peuvent prélever qu'«un pied sur deux» et uniquement avec une «fourche du diable», afin «de minimiser l'impact visuel et l'érosion dans la zone utilisée».

Cette réglementation, qui a le mérite d'exister, a cependant ses limites. «Il n'y a pas un garde de l'ONF (Office national des Forêts, ndlr) derrière chaque arbre», relève Claire Julliand.

«En forêt, on ne peut pas mettre des gens derrière chaque personne», confirme une porte-parole de l'ONF. Bien sûr, «on peut conduire des opérations conjointes avec l'ONF, ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage, ndlr) et la police, mais ça concerne surtout les ramassages de champignons».

Alors face à cette absence de contrôle, les cueillettes «illégales» continuent de plus belle. D'autant que la réglementation actuelle est plutôt légère: pour les plantes non protégées, une simple autorisation écrite du propriétaire (particulier, ONF, etc.) du terrain suffit.

Et il y a une plante qui inquiète particulièrement, c'est l'ail des ours, très prisé depuis peu par l'agroalimentaire pour en faire des sauces pesto.

Cultiver plutôt que cueillir?

«La cueillette sauvage ne va pas pouvoir répondre à la demande des industriels», prévient Thierry Thevenin, cueilleur depuis près de 30 ans. «Au rythme où vont les choses, l'ail n'est pas menacé en tant qu'espèce, mais en tant que ressource pour le cueilleur».

Alors que faire? Mettre en culture pour ne plus cueillir?

L'immortelle d'Italie -- qui n'a d'italien que le nom, car on la trouve surtout en Corse -- a des vertus anti-ecchymose et elle est très utilisée pour ses principes actifs anti-âge. Pour répondre à la demande et préserver les ressources naturelles, la version sauvage a été protégée en Provence-Alpes-Côte d'Azur et la culture est devenue la règle.

C'est ainsi que L'Occitane, dont l'un des produits phare est à base d'huile essentielle d'immortelle, a planté 50 hectares d'immortelle bio en Corse ces dix dernières années.

«Nous minimisons les plantes sauvages et privilégions au maximum la culture, ce qui nous permet de respecter trois principes: préservation de la ressource, traçabilité et qualité», explique Annie Daste, responsable de l'information technique chez Alban Muller, qui fabrique des ingrédients et produits de cosmétiques naturels.

«Dans les cosmétiques, nous avons tous le même raisonnement, car c'est un sujet très sensible en terme de marketing et communication».

Pourtant, l'écrasante majorité des plantes médicinales consommées est encore prélevée à l'état sauvage et tous les industriels n'ont pas les mêmes soucis d'image.

Et surtout, tous ne sont pas prêts à en payer le prix sachant que les plantes cultivées reviennent plus cher que les plantes ramassées», explique Thierry Thevenin, porte-parole du syndicat des Simples (producteurs et cueilleurs de plantes aromatiques et médicinales).

«Sur l'arnica, ça fait trente ans qu'on maîtrise sa culture, mais les industriels préfèrent encore avoir recours à la plante sauvage», poursuit-il.

Boiron et Weleda, grands utilisateurs de cette ressource, participent néanmoins à une convention unique dans les Vosges. Depuis 2007, des communes du Haut-Rhin, le parc naturel des Ballons des Vosges, des cueilleurs, des laboratoires et des agriculteurs du Massif du Markstein Grand-Ballon se sont accordées sur des règles communes.

Les cueilleurs s'engagent par exemple à ne prélever que les plantes en pleine floraison, les laboratoires à être transparents sur la traçabilité et les agriculteurs à faucher ou faire pâturer après la saison de l'arnica.

«Car la raréfaction de la ressource n'est pas seulement due à la cueillette, agriculture et urbanisation sont également responsables», rappelle le conservateur Bernard Pasquier.

L'arnica par exemple est très sensible à tout changement de nature du sol et un agriculteur qui voulait faire plus de foin avait fertilisé avec de la chaux, tuant ainsi de nombreux plants, raconte Valérie Auroy, chargée de l'économie montagnarde au Conseil général des Vosges.

Encadrer sans écraser

Si ce type d'initiatives locales doit se multiplier, les cueilleurs sont aussi soucieux de se distinguer des mauvaises pratiques et de sécuriser leur avenir et celui de la flore. C'est ainsi que 60 cueilleurs ont créé il y a trois ans l'Association française des cueilleurs professionnels de plantes sauvages (AFC).

Et ils portent le projet «FloreS» destiné à rendre visible le métier, échanger les savoir-faire et s'accorder sur une charte de valeurs de la cueillette commerciale. Une initiative qui a d'ailleurs obtenu un soutien de 140 000 euros de la Fondation d'entreprise Hermès.

Mais «FloreS» se heurte à deux équations difficiles: la première, tous les cueilleurs -- et notamment les plus gros-- n'ont pas rejoint l'initiative.

Et surtout, il ne faudrait pas trop normaliser une activité ancestrale et solitaire, qui aime l'ombre et le secret.