Les savons d'Alep, de réputation internationale pour leurs qualités hydratantes et apaisantes, ne peuvent plus s'exporter en raison du conflit syrien et Juan Semo, fabricant kurde d'Afrin, dans le nord-est du pays, réduit de plus en plus la production.

Dans l'entreprise familiale, fondée en 1850 sur les collines kurdes peuplées d'oliviers, Juan Semo, 33 ans, stocke ses savons, déjà emballés individuellement pour l'export, dans des cartons, sous les taules d'un hangar aux murs de ciment.

«Nous ne fabriquerons peut-être pas de savons cette année. Nos stocks sont de plus en plus importants car la plupart des magasins d'Alep sont fermés. Et les voies d'exportation à l'étranger, notamment pour le nord (kurde) de l'Irak et la France sont coupées».

Deux qualités de ce savon sont fabriquées avec de l'huile d'olive, de laurier, et de la soude. Le savon de qualité supérieure -avec davantage d'huile de laurier, plus chère que celle d'olive- est destiné à l'export et l'autre, plus modeste, part, en temps de paix, par la route vers Alep.

La deuxième ville de Syrie est en proie depuis plus de deux mois à de violents combats entre les rebelles de l'Armée syrienne libre (ASL) et les forces gouvernementales.

«Pour livrer, nous empruntons de petites routes, nous évitons les grands axes pour ne pas tomber sur l'armée et ses bombardements. Mais beaucoup de nos clients ont de toute façon fui Alep», explique Juan Semo.

Lui même a quitté un jour sa maison d'Alep, située en bordure du quartier Salaheddine, «quand des balles ont atterri dans mon salon et que des tanks sont passés sous mes fenêtres». Il s'est replié dans le domaine familial, dans l'enclave kurde d'Afrin, composée de 360 villages et qui, pour l'instant, maintient une neutralité dans le conflit syrien qui a débuté en mars 2011.

Pour l'étranger, le savon partait via Alep par la route jusqu'au port de Lattaquié, puis en cargo jusqu'à Marseille, et en camion vers Paris.

Lattaquié, sur la Méditerranée, se trouve en pays alaouite, une branche de l'islam chiite à laquelle appartient le président Bachar al-Assad. Les rebelles qui veulent le renverser sont pour la plupart sunnites, la communauté majoritaire dans le pays.

L'autre problème des fabricants de savon dans Afrin, qui sont une quinzaine, est l'augmentation vertigineuse des prix de la matière première.

L'olive de la fabrique Semo est produite sur place, dans des oliveraies qui comptent une dizaine de milliers d'arbres, mais pas le laurier et la soude.

«Même si j'arrive à obtenir de l'huile de laurier d'Antakya, en Turquie, son prix a doublé en un an», dit le fabricant.

Même chose pour la soude, qui provient du Koweït, d'Irak et de la lointaine Chine.

Le prix du litre était en 2011 de 25 livres syriennes, il est passé à 50 livres.

Juan Semo n'arrive même plus à obtenir des emballages soignés, pour l'export.

Avant la guerre il produisait 50 tonnes pour l'étranger, et 250 pour le marché intérieur. 150 tonnes attendent actuellement dans son hangar.

Certes, en vieillissant et séchant, le savon affine ses qualités pendant six ans, mais le fabricant ne «sait pas combien de temps le conflit va durer». Et il n'engrange pas de rentrée d'argent frais.

Début octobre, les olives mûrissent encore sur les arbres. L'ensemble du processus dure quatre mois, de la récolte au produit fini.

La cueillette commence dans un mois, elle mobilise cinq à six personnes. Puis, la fabrication dure jusqu'en février, dans une grande centrifugeuse, après plusieurs pressions et mélange des produits, avant la découpe de la pâte obtenue en savons.

Cette fabrication nécessite des techniciens venus d'Alep. «Je ne sais s'ils pourront venir cette année», dit le fabricant.

Son voisin, Ahmad Kefo, plus âgé et le visage barré d'une moustache répandue chez les Kurdes, soupire en offrant pistaches fraîches et grenades : «Cette situation dure trop longtemps. Cette année, je vais arrêter 80% de la production de savon».