Depuis 2002, Sylvaine Delacourte est directrice du développement Parfums de la prestigieuse maison Guerlain à Paris. Rencontre avec une grande dame de la parfumerie qui, avec Thierry Wasser, a succédé à la célèbre dynastie familiale instaurée en 1828.    

Ce n'est pas tous les jours qu'on peut rencontrer la créatrice d'un de ses parfums préférés. Sylvaine Delacourte, avec Maurice Roucel, est à l'origine de L'instant. «Je l'ai imaginé parce qu'à l'époque, je voulais renouer avec nos racines tout en donnant une tonalité contemporaine, explique-t-elle. Je voulais une guerlinade rassurante, qu'on peut trouver dans un Shalimar, mais la travailler complètement différemment. Moi, ce qui me plaît par-dessus tout, ce sont les notes solaires, car, comme vous au Québec, j'ai probablement manqué de soleil, ayant grandi dans le nord de la France.»

Sylvaine Delacourte soutient ne pas avoir été élevée du tout au «biberon Guerlain». Lorsqu'elle était étudiante, elle ne connaissait pas leurs parfums, jusqu'à ce qu'elle sente L'heure bleue, création mythique de Jacques Guerlain, portée par une femme, professeure, qui fut importante dans sa vie. Encore aujourd'hui, elle lui est fidèle, et L'heure bleue le lui rend bien, puisqu'on a pu sentir la fragrance au poignet même de la dame... Car L'heure bleue, estime-t-elle, ne peut être vraiment comprise sur mouillette, mais sur la peau. «On peut dire que c'est un Monet ou un Manet, qui traverse le temps. À l'époque, il y avait une publicité qui disait: Guerlain se joue du temps qui passe. C'est exactement ça.»

 

Imagination et émotion sont des mots clés chez Sylvaine Delacourte, qui considère que la liste des ingrédients d'un parfum n'est pas d'un grand intérêt. «Pour moi, ce n'est pas une recette de cuisine. Le plus important est de connaître la genèse d'un parfum, d'où vient l'inspiration, comment il a été imaginé et construit. Une vraie parfumerie doit être abstraite, c'est une émotion. On ne doit pas dire: ah, ça sent la rose. La rose doit être transfigurée. L'attraction, la part de mystère, c'est justement de ne pas tout reconnaître.» Bref, un parfum est une création à part entière, et non une reproduction intégrale des odeurs de la nature. «Ce qui me plaît le plus dans le parfum, ajoute-t-elle, c'est qu'on ne sait jamais tout. C'est une grande leçon d'humilité. Tous les jours, j'apprends quelque chose. Je ne m'ennuie jamais.»

Empêcher la fine fleur de faner

Comme Guerlain été acheté par LVMH en 1994, c'est à Sylvaine Delacourte et au créateur Thierry Wasser qu'incombent la dure tâche de faire perdurer la fine fleur de la parfumerie française inaugurée en 1828 par Pierre-François-Pascal Guerlain. Avec ce que cela suppose de défis, devant les contraintes commerciales, et un respect des traditions - farouchement défendues par les fans «intégristes» de Guerlain, qui veillent au grain. Et une bourde récente de Jean-Paul Guerlain, dernier de la dynastie, qui a tenu des propos racistes à la télé lors du lancement de son plus récent livre, ce qui a fait scandale.

Questionnée là-dessus, on sent le malaise chez Sylvaine Delacourte. «C'est une catastrophe. Mais Jean-Paul n'est plus salarié chez nous et il n'est plus actionnaire. Il a fait son livre et, malheureusement, il a fait cette déclaration qui ne correspond pas à nos valeurs. C'est triste.»

Guerlain, c'est tout de même plus de 180 ans d'histoire dans la parfumerie. «Nous sommes parfumeurs depuis cinq générations, dit-elle. Nous avons créé près de 800 parfums et nous avons encore un choix d'une centaine de parfums, avec les exclusifs. Je crois que si on est encore là, c'est parce qu'on ose des voies différentes, on ne fait pas que du facile et du commercial. Nous avons créé des classiques qui ont chahuté au départ. Nous avons parfois des parfums un peu plus commerciaux, mais nous essayons toujours d'innover, de nous remettre en question. Nous pouvons tout essayer et tout oser, parce que nous sommes parfumeurs avant tout.»

Fascinant de voir autant de connaissances et d'assurance chez cette femme qui fut autrefois intimidée d'entrer seulement à la boutique Guerlain, à Paris. Elle y travaille depuis 25 ans maintenant. Elle a d'abord été responsable de la division soins et maquillage. Un stage de huit jours dans la parfumerie a changé sa vie. Elle a par la suite entrepris des études approfondies dans le domaine. Et pratiquement créé son poste actuel. Elle a mis au monde L'instant, les Élixirs charnels, Cologne 68 et Insolence.

La plus belle odeur entre toutes? «Ce qui me fait vraiment chavirer, c'est l'odeur des héliotropes, entre la vanille, la poudre et l'amande. Je l'ai mise dans plein de parfums. C'est vraiment l'odeur que j'adore.»