La marque de chaussures Payless a piégé des influenceurs en leur vendant à prix d'or des chaussures d'une nouvelle fausse marque italienne créée de toutes pièces. L'histoire a fait le tour du monde. Un coup de publicité qui fait prendre conscience de l'importance du marketing et de son influence sur le prix que nous sommes prêts à payer pour un produit.

Il y a quelques jours, Payless a invité des influenceurs au lancement de Palessi, nouvelle (fausse) marque de chaussures haut de gamme, dans une boutique somptueuse d'un centre commercial dans le chic quartier de Santa Monica, à Los Angeles. Les invités se sont emballés et certains d'entre eux ont déboursé 200 $, 400 $ et même 600 $ pour des chaussures qui valent 30 $ ou 40 $. Ils ont ensuite découvert avec stupéfaction que derrière cette marque de luxe se cachait Payless, détaillant américain de chaussures à prix réduit.

«C'est la preuve que le marketing est devenu plus fort que tout», lance Stéphane Le Duc, rédacteur en chef du magazine de mode Dress to Kill. Il observe que de plus en plus de marques accessibles, comme les bijoux Pandora, utilisent les codes du luxe: un environnement épuré, un service personnalisé et du personnel attentionné qui raconte l'histoire des produits. 

«On peut se faire avoir par l'illusion du luxe et faire croire aux gens qu'un produit a une valeur qui n'est pas réelle du tout. C'est très inquiétant et fascinant en même temps.»

Arnaud Granata, président d'Infopresse, estime qu'il s'agit d'un coup de marketing génial. «Le message de Payless, c'est que la marque vend des chaussures qui ne sont pas chères, mais ça ne se voit pas, car elles sont tellement belles que c'est à s'y méprendre.» 

En même temps, la marque veut souligner que les gens paient aussi pour l'emballage. «Payless reproche aux marques de luxe de vendre une image qui coûte cher, tout comme un emballage qui a un prix, ce qui n'est pas faux», ajoute Arnaud Granata. Il se demande toutefois: «Est-ce que les blogueurs et influenceurs étaient dans la confidence?»

L'influenceuse mode et beauté Gabrielle Lacasse, suivie par plus de 56 000 abonnés sur son compte Instagram @dentellefleurs, se pose la même question. «Était-ce de vrais influenceurs, car on ne les nomme pas, ou était-ce des acteurs? Car les gens ne sont pas dupes. Les influenceurs sont avant tout des consommateurs qui n'ont pas peur d'essayer tout ce qui est nouveau. Je pense qu'à titre de consommatrice, je suis consciente que je paie pour la présentation, car il y a une valeur ajoutée à l'achat lorsque la boutique prend soin de son image, du design et qu'il y a une jolie boîte, car on paie aussi pour l'expérience d'achat», dit-elle.

Un manque d'expérience?

Gabrielle Lacasse est tout de même surprise que les gens ne se soient pas aperçus de la mauvaise qualité des chaussures. «C'est facile de piéger les influenceurs, les gens aiment nous détester, que voulez-vous! Payless en a profité pour faire un coup de marketing. Mais comme dans toute profession, il y a des pommes pourries et c'est facile de les mettre toutes dans le même panier!»

Elle rappelle que Payless a fermé l'année dernière de nombreux magasins et croit que ce coup de publicité est une façon de redorer son blason.

Stéphane Le Duc pense qu'il y a une question de connaissances et d'expérience que n'ont peut-être pas les influenceurs, souvent dans la vingtaine et la jeune trentaine. Est-ce qu'un journaliste spécialisé en mode se serait fait prendre? «Peut-être. On voit aujourd'hui que même dans le luxe, il y a de nouvelles matières, du faux cuir, du style végane à s'y méprendre. Il reste que le journaliste d'expérience qui a déjà visité des ateliers de fabrication de chaussures de luxe, qui a touché à différents cuirs dans sa vie, est capable de faire la différence et de comparer.»

«Ça montre la naïveté de certains blogueurs et influenceurs. Ou alors leur obsession de l'image?»

L'influenceuse Lolitta Dandoy connaît bien l'industrie de la mode et les chaussures Payless. «Je ne peux pas imaginer avoir eu entre mes mains une paire de leurs chaussures en plastique et penser que ça valait 400 $!», dit celle qui compte près de 20 000 abonnés sur sa page Instagram @lolittadandoy.

«C'est très révélateur de voir à quel point le marketing manipule les gens avec des artifices. Je ne pense pas que leur but était de se moquer des influenceurs qui ont mauvaise réputation. C'est vrai, je le sais, j'en fais partie!» Elle pense cependant que Payless a dépensé beaucoup d'argent pour ce coup publicitaire et que les retombées ne seront pas au rendez-vous. 

«L'effet escompté de Payless est de redorer son image de marque bas de gamme et de montrer qu'on peut trouver des chaussures qui ont du style à des prix dérisoires. Sauf qu'après, si les gens se rendent chez Payless, ils risquent d'être déçus, car si la marque a une chose à apprendre dans cette histoire, c'est d'investir dans ses boutiques pour qu'elles aient un côté plus présentable, puisque les clients y accordent beaucoup d'importance», estime Lolitta Dandoy.

Selon Stéphane Le Duc, Payless, avec cette campagne, fait tomber les préjugés et l'impact est positif. «On va dans un restaurant pour l'ambiance ou la qualité de la nourriture? C'est un peu ce principe qui est appliqué à la chaussure», affirme-t-il.