Depuis hier, la marque American Apparel, rachetée de la faillite par Gildan Activewear en 2017, est officiellement à nouveau offerte au Canada. La marque survivra-t-elle à l'absence de son fondateur, Dov Charney? C'est le pari que font les dirigeants du manufacturier montréalais.

Il n'y a pas à dire, bien qu'American Apparel soit une marque née à Los Angeles, son histoire reste liée de près à Montréal. Son fondateur, Dov Charney, est montréalais d'origine. C'est d'ailleurs ici qu'il avait ouvert une des toutes premières boutiques de la marque, au tournant des années 2000.

Des années, beaucoup de controverses et une faillite plus tard, c'est le géant manufacturier Gildan Activewear, une entreprise manufacturière montréalaise, qui relance la marque sur le marché canadien avec une boutique en ligne, accompagnée d'une nouvelle campagne photographiée à Vancouver.

«C'était une très bonne opportunité pour nous, croit Garry Bell, vice-président marketing et communication de Gildan. American Apparel est une marque iconique et elle complète à merveille notre portfolio.»

Avec ses manufactures aujourd'hui implantées en Amérique centrale et ses 42 000 employés, Gildan Activewear est un des plus importants manufacturiers de vêtements du monde, spécialisé en fabrication de t-shirts, chandails sport et cotons ouatés destinés principalement à la vente en gros. L'entreprise cotée en Bourse, dont le siège social est situé à Montréal, détient aussi quelques marques, comme Secret, Anvil et Silks.

Gildan a décidé de «prendre son temps» pour relancer la marque, en misant d'abord sur la vente en ligne. Ainsi, si une première boutique physique ouvrira sur Melrose Avenue à Los Angeles en 2019, il n'est pas prévu à court terme d'implanter une boutique à Montréal ou ailleurs.

Même image, revue et améliorée

American Apparel a peut-être changé de main, mais le site web reprend le même look et commercialise les vêtements mis de l'avant par la marque depuis ses débuts. T-shirts, leggings, bodysuits, vêtements unisexes et «mom jeans» sont toujours au programme.

«Une grosse partie de notre travail a été de replonger dans les archives et de voir quelles étaient les pièces les plus populaires comme les leggings et les hauts courts (Crop Top). Nos clients sont à la recherche d'essentiels de bonne qualité qu'ils aiment porter saison après saison, mais qui ont aussi ce petit côté "edgy" et inattendu qui les met au-dessus de la mêlée», explique Sabina Weber, directrice du marketing pour American Apparel, jointe à Los Angeles dans les bureaux de la marque.

Cela dit, la marque compte continuer d'innover et de proposer des nouveautés. Ainsi, elle a lancé cette année la collection Mix Modal, mettant en vedette son nouveau textile à base de modal, ainsi que Nudes, une collection de dessous composée de neuf teintes de «nude», qui se marient à tous les types de carnation.

La diversité corporelle, genrée et ethnique reste au coeur du message véhiculé par American Apparel, précise Mme Weber. Mais qu'en est-il des photos de jeunes filles aux poses suggestives qui avaient causé la controverse à une époque?

«Le fait d'utiliser de "vraies" filles qui représentaient bien la "vibe" fun et sexy de L.A. a distingué la marque des autres. Mais il y a clairement un moment où tout ça est allé trop loin.»

«Nous croyons que cela aurait été une erreur de tout mettre de côté. Nous avons décidé de nous concentrer sur le bon, le côté très inclusif de la marque, en travaillant avec des gens qui ne sont pas des mannequins professionnels», affirme Mme Weber.

«Still Sweatshop Free»

American Apparel a fait sa marque avec son entreprise verticalement intégrée, sur le sol américain, avec des travailleurs gagnant un salaire décent et traités équitablement.

Après avoir racheté la marque, Gildan s'est donné quelques mois afin de réorganiser les activités. Bien que l'entreprise ait rapidement trouvé des sous-traitants pour continuer une portion de la production à Los Angeles, une grande partie de la fabrication a été intégrée à ses manufactures d'Amérique centrale. Certains produits, comme les jeans et les leggings, ont été confiés à des sous-traitants situés ailleurs dans le monde.

Sur le site web d'American Apparel, Gildan affiche en évidence ses couleurs, reprenant - en le modifiant légèrement - le slogan commercialisé par l'entreprise à l'époque de Charney: «Globally Sourced, Ethically Made, Still Sweatshop Free. That's American Apparel» (traduction libre: «Provenance mondiale, fabrication éthique, toujours sans ateliers clandestins. Voici American Apparel.»)

Est-ce que les consommateurs suivront, maintenant que la marque n'est plus exclusivement fabriquée aux États-Unis? «Nous pensons que les clients seront au rendez-vous, et nos premiers résultats montrent qu'ils le sont», affirme M. Bell.

«Les consommateurs sont beaucoup plus concernés par la façon dont les produits sont fabriqués, et à quelles conditions, que par l'endroit exact où ils sont produits.»

En fait, il y aurait certains parallèles à faire entre American Apparel et Gildan, avance M. Bell. «Gildan met aussi de l'avant un modèle verticalement intégré d'entreprise, ce qui nous permet de contrôler presque toutes les étapes de la production - nous faisons tout, sauf faire pousser notre coton! C'est aussi la meilleure façon de s'assurer que tout est fabriqué de façon éthique, avec les meilleures pratiques.»

L'entreprise a d'ailleurs mis en place un programme interne de responsabilité sociale (CRS), où Gildan s'est engagé à mettre en place des conditions de travail de premier plan dans l'industrie du vêtement et à renforcer le tissu social dans les communautés où elle est implantée, notamment en finançant des programmes scolaires et des cliniques médicales pour les employés.

Le programme inclut aussi plusieurs mesures afin de réduire l'empreinte environnementale de l'entreprise, la plus connue étant le Biotop, un système de traitement des eaux usées grâce à des lagunes interconnectées, implantées il y a une dizaine d'années au Honduras et en République dominicaine.

«Après un cycle de 40 jours, l'eau qui sort de la dernière lagune est tout à fait capable de soutenir la vie et est utilisée par les agriculteurs locaux pour l'irrigation, soutient M. Bell. Et tout cela se fait entièrement naturellement, grâce à l'apport de bactéries, du soleil et de la gravité. Au Honduras, le système rassemble 40 lagunes où vivent 21 crocodiles. Le plus gros mesure 4,5 mètres et son nom est Carlitos!»

Gildan et American Apparel en 11 dates

> 1946: La famille Chamandy fonde à Montréal Harley Inc., une marque de vêtements pour enfants.

> 1984: Glenn et Greg Chamandy fondent Gildan Activewear à Montréal avec l'acquisition d'une usine de tissage qui fournira les textiles à Harley Inc.

> 1989: Au Massachusetts, Dov Charney fonde ce qui deviendra American Apparel.

> 1994: Harley ferme ses portes et les propriétaires décident de se consacrer à l'expansion de Gildan.

> 1997: Charney s'établit à Los Angeles et y déménage sa production. Gildan ouvre sa première manufacture au Honduras.

> 2003: American Apparel ouvre ses premiers magasins, à Los Angeles, New York et Montréal.

> 2005: American Appareil introduit les leggings, une de ses pièces les plus populaires à ce jour.

> 2014: Le conseil d'administration d'American Apparel évince Dov Charney - qui ne détient plus que 27 % des actions - de l'entreprise.

> 2015-17: Après s'être placée sous la protection du chapitre 11 de la loi sur les faillites aux États-Unis en 2015 puis à nouveau en 2016, American Apparel est rachetée en février 2017 par l'entreprise montréalaise Gildan Activewear, qui acquiert les droits de propriété intellectuelle et quelques équipements.

> 2017: En août, les produits d'American Apparel sont à nouveau offerts en ligne, aux États-Unis. Dov Charney lance une nouvelle marque, Los Angeles Apparel.

> 2018: Le 1er novembre, les produits d'American Apparel sont de nouveau offerts en ligne au Canada.

Photo fournie par American Apparel

La collection de dessous Nudes propose neuf teintes de «nud» qui se marient à tous les types de carnation.