Elles se sont retrouvées sur la tête de Beyoncé et de Rihanna en couverture de Vogue ces dernières semaines. Elles ornent la chevelure des festivaliers et des mariées. Les couronnes de fleurs ont traversé les siècles, mais leur symbolique a évolué.

Au cours des dernières semaines, les versions américaine et britannique du magazine Vogue ont respectivement mis à la une les chanteuses Beyoncé et Rihanna, couronnes de fleurs démesurées sur la tête. Des mises en scène contemporaines dans lesquelles Denis Philippe voit des références historiques. «Les photographies évoquent les oeuvres du peintre Giuseppe Arcimboldo, explique le chargé de cours à l'École supérieure de mode de l'ESG UQAM. Elles rappellent les chapelles ou chapelets du Moyen-Âge. Leur volume exagéré souligne qu'à cette époque, les couronnes de fleurs étaient considérées comme des couvre-chefs, des chapeaux.»

Aujourd'hui, on croise régulièrement cet accessoire dans les festivals, dans les mariages, et même dans les filtres de photo sur Snapchat, Instagram et Messenger. Comment expliquer son succès ces dernières années?

«On prend des selfies aujourd'hui, donc les accessoires liés au visage sont importants, car ils se voient», explique Madeleine Goubau, chargée de cours à l'École supérieure de mode de l'ESG UQAM.

Selon Mme Goubau, la couronne de fleurs synthétiques à trois pièces made in China est en contradiction avec le message véhiculé par la couronne des années 60-70. Au moment du mouvement hippie, «elles représentaient le retour à la terre, une notion de liberté, de naturel. Aujourd'hui, elles sont faites à la chaîne, dans des pays lointains où l'on n'est pas sûrs des conditions de travail, à partir de matières non renouvelables. On va sûrement les porter une fois pour un festival et en acheter une nouvelle pour avoir une autre photo sur les médias sociaux.»

Des couronnes honorifiques

Dans certains pays, la couronne de fleurs est ancrée dans les traditions. C'est le cas en Ukraine, avec le vinok, porté par les jeunes femmes non mariées. En Polynésie, les couronnes sont composées de fleurs de Tiare Tahiti et sont offertes, entre autres, aux visiteurs en signe de bienvenue. D'ailleurs, historiquement, la couronne de fleurs a une signification protocolaire et honorifique. Mais pas seulement. «Dans les sociétés primitives, avec toutes les réserves que le terme implique, elles pouvaient avoir une signification animiste: on pensait qu'un esprit ou une force y habitait, remarque Denis Philippe. 

«Certaines, faites à partir de fleurs auxquelles on attribue des vertus médicinales, pouvaient également avoir une vertu protectrice ou curative. On l'offrait à quelqu'un pour le protéger ou pour qu'il guérisse.»

Dans la Rome et la Grèce antiques, les couronnes étaient constituées de feuillage, et notamment de laurier, symbole de la victoire. On honorait les dieux avec des couronnes, on les offrait aux généraux victorieux. Elle ornait la tête de Jules César. La couronne de laurier a perduré au Moyen-Âge. «À l'époque, elle servait à distinguer les savants des universités et était aussi offerte aux diplômés en médecine, avance Denis Philippe. Elle comportait alors encore ses baies. D'ailleurs, le terme lauréat vient de laureatus qui veut dire "couronné de lauriers", et celui de baccalauréat vient de bacca, pour baie et laureatus

Photo fournie par Vogue

Rihanna en couverture du Vogue britannique de septembre

Un accessoire porteur d'un message

Au Moyen-Âge, les jeunes filles portaient une couronne de fleurs après une demande en mariage. «La couronne de marguerites signifiait qu'elles considéraient la demande, la couronne de roses, qu'elles l'acceptaient», explique Denis Philippe. Les fleurs portées n'étaient pas choisies au hasard. On accordait une grande importance au langage des fleurs, censées véhiculer un message.

Plus tard, le jour de leur mariage, les femmes arboraient avec leur voile une couronne de fleurs d'oranger, symbole de pureté et de chasteté. Ce fut le cas de la reine Victoria, lors de son union avec le prince Albert en 1840. Traditionnellement, les mariées conservaient la couronne après la cérémonie sous un globe de verre.

Dans les années 1850, en Europe, les femmes de l'aristocratie et de la haute bourgeoisie paraient leurs cheveux de couronnes pendant la saison des bals et des soirées mondaines, en hiver. À Paris, elles abandonnaient les fleurs naturelles au profit de fleurs artificielles. La raison? «Il était très difficile et coûteux, avec les transports de l'époque, de se procurer de vraies fleurs hors saison», indique Alison Matthews David, professeure associée à l'École de mode de l'Université Ryerson, à Toronto. Ces fleurs artificielles étaient très populaires. 

«Paris comptait 15 000 fleuristes artificiels au milieu du XIXe siècle et la ville exportait des fleurs un peu partout dans le monde.»

Alison Matthews David relate dans son livre Fashion Victims: The Dangers of Dress Past and Present les conséquences dramatiques de cette industrie. En effet, le vert émeraude de ces coiffures florales était obtenu grâce à de l'arsenic. Les femmes qui confectionnaient les couronnes avec cette substance toxique présentaient de graves symptômes, certaines en sont mortes. Quant à celles qui les portaient, elles avaient des irritations de la peau.

Aujourd'hui, les couronnes de fleurs ont-elles un sens? «On les porte davantage pour leur valeur esthétique, on leur trouve parfois un charme nostalgique, observe Denis Philippe. Je doute que les gens soient conscients de tout cet héritage. Ces éléments font pourtant partie intégrante d'un patrimoine.»

Photo Kyle Grillot, archives Agence France-Presse

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