Plusieurs marques de sous-vêtements mettent le paquet pour mettre en valeur le paquet viril. Les hommes sont-ils prêts à porter des sous-vêtements sensuels ? Leurs partenaires sont-ils intéressés ? Poser la question, c'est un peu mettre l'identité mâle sens dessus dessous.

Reluquer des beaux gars en petite tenue, ce n'est pas une activité que tous les hommes pratiquent avec la même aisance. Éric Boisvert en sait quelque chose : propriétaire de la marque Gregg, spécialisée dans le dessous pour hommes, il en fait l'expérience à peu près chaque fois qu'il se trouve dans une soirée où il fait circuler son catalogue. « Les femmes le regardent, raconte-t-il, mais en début de soirée, les hommes s'en tiennent loin. »

Page après page, le catalogue Gregg montre des éphèbes musclés, la fesse rebondie et l'appareil bien mis en valeur. Ostentatoire, même, dans certains slips moulants conçus pour le rehausser et parfois visible sous un fin tissu à la transparence calculée. Sans compter que l'homme moyen peut se sentir petit dans son boxer bon marché devant ces mannequins bien roulés au membre bien moulé.

Éric Boisvert connaît bien les hommes et leurs réticences. Gregg vend des dessous pour hommes depuis 1987. « Quand j'ai pris le contrôle de l'entreprise, j'en ai changé la philosophie : je voulais faire de la lingerie coquine pour homme, masculine et haut de gamme, explique le propriétaire et directeur artistique. Mon ambition était de devenir l'équivalent de la marque Agent Provocateur, mais pour les hommes. »

Ce n'est pas si simple. « Les hommes sont souvent un peu machos. Ils ne parlent pas de leurs sous-vêtements en société, dit Éric Boisvert. Il y a beaucoup de préjugés. » Sous-entendu : les hommes hétérosexuels craignent d'avoir l'air gais s'ils sortent des sentiers battus en matière de dessous. Or, des modèles qui sortent de l'ordinaire, Gregg en a plein son catalogue.

Identité sexuelle

Stéphane Jean, chargé de cours à l'École supérieure de mode de l'UQAM, estime que l'homme ne perçoit généralement pas ses propres sous-vêtements sous un angle érotique ou même sensuel. « Pour lui, c'est plus associé à une marque ou à un style de vie, explique-t-il. C'est vu comme une extension de son style ou de son identité. »

Ainsi, un homme sportif serait naturellement attiré vers un boxer à l'allure sportive. Stéphane Jean rappelle d'ailleurs que des athlètes agissent comme panneaux publicitaires depuis environ 40 ans : Jim Palmer, des Orioles de Baltimore, posait déjà en caleçon Jockey au tournant des années 80. Les vedettes masculines d'aujourd'hui le font aussi : Rafael Nadal s'expose en boxer Tommy Hilfiger, Cristiano Ronaldo en slip Armani et David Beckham en bobettes David Beckham pour H & M.

« On ne porte jamais un vêtement que pour soi », souligne Denis Bruna, conservateur du département mode du Musée des Arts décoratifs de Paris. Le regard de l'autre compte pour beaucoup et si le dessous masculin a si peu évolué au fil du temps, ce n'est pas forcément parce que les créateurs s'ennuient à ne mettre en valeur que l'entrejambe de l'homme, mais plutôt en raison d'une transformation dont le spécialiste parle comme d'une « renonciation masculine ».

« Depuis la fin du XVIIIe siècle, l'homme a délaissé les vêtements chatoyants, faits de soieries, de broderies de dentelles, mais aussi le maquillage, qui n'était pas un signe de distinction sexuelle, mais de haute naissance, explique-t-il. Les habits colorés et le maquillage sont devenus les domaines exclusifs des femmes. Il est désormais difficile pour un homme de porter des pièces de vêtements [les dessus comme les dessous] qui feraient trop allusion à l'identité féminine. »

Identité générationnelle

La coquetterie en matière de dessous ne va donc pas de soi pour les hommes. Stéphane Jean signale d'ailleurs que le boxer classique représente les deux tiers des ventes de sous-vêtements pour hommes. « Il existe des dessous que l'on pourrait qualifier de sensuels ou d'érotiques, mais ils ne sont pas répandus dans tous les groupes sociaux ni dans toutes les tranches d'âge, remarque Denis Bruna. Les jeunes hommes urbains, séduits par la mode, soucieux de leur apparence, peuvent être intéressés par ces produits.

« Parmi les dessous proposés aux communautés gaies, mais que tout le monde peut acheter bien entendu, poursuit le conservateur, on découvre souvent des slips ou des boxers plus singuliers, avec des matériaux novateurs, mettant en valeur des motifs, des couleurs, des effets - comme la transparence - que l'on ne trouve pas dans la grande distribution. »

« Il y a un choc de génération, croit pour sa part Stéphane Jean. À partir de la génération X en descendant, les hommes ont commencé à porter une attention à leurs sous-vêtements, alors que pour les baby-boomers, c'était simplement vu comme une nécessité. Les gens de la génération Y et les plus jeunes investissent un montant similaire à celui [investit par] des femmes pour leurs sous-vêtements. »

Identité sensuelle

Éric Boisvert convient qu'une partie de sa clientèle et certains de ses produits les plus nichés s'adressent davantage à une clientèle gaie. « Les boutiques qui tiennent mes produits aux États-Unis me disent que leurs acheteurs sont hétérosexuels, assure-t-il toutefois. Il s'agit souvent de femmes qui achètent pour leur mari. » Ses clients ont, selon lui, entre 35 et 55 ans.

« Les gars prennent de plus en plus soin de leur corps, observe l'homme d'affaires. Ils vont au gym pour se muscler. Pourquoi ils font ça ? Pour se montrer. Si tu veux montrer ton corps, le mettre en valeur, il te faut de beaux sous-vêtements. » Et si l'apparence compte aussi pour les dessous qu'il conçoit, le confort lui importe tout autant.

« On a développé une nouvelle technique qui met l'accent sur le paquet. Ça donne du support et ça donne aussi un petit oumpf. Le paquet est très en avant et tu ne l'as plus dans les jambes, dit-il. Tant que tu n'as pas goûté à ce confort-là, tu ne le comprends pas. Une fois que les hommes y ont goûté, ils ne peuvent plus retourner en arrière. »

La marque Gregg marche sur une ligne très mince, selon son propriétaire : garder la masculinité d'un sous-vêtement « à la limite » féminin. « Je ne veux pas habiller les hommes en femmes, je ne veux pas les déguiser, je ne veux pas les travestir », assure Éric Boisvert. Le mâle Gregg, gai ou hétéro, serait un homme masculin et exhibitionniste. « C'est un homme qui se montre devant son ou sa partenaire. »