Encore un pied dans l'enfance, pas encore tout à fait ados, les jeunes de 10-14 ans sont à la recherche d'une identité qui leur est propre, et qu'ils expriment - un peu, beaucoup, souvent passionnément - à travers leurs vêtements. Pas toujours évident d'avoir du style, cependant, quand c'est encore papa et maman qui tiennent les cordons de la bourse!

Un pour tous, tous pour un

Fini, les motifs et les bonshommes plein les chandails ! À 13 ans, Justine a une idée bien précise de ce qu'elle aime porter... ou pas. N'en déplaise à ses parents ! « Ton apparence, c'est la façon dont les autres te voient. C'est important pour ne pas être jugée », explique-t-elle. Car à l'école, on reluque le style des autres, souvent pour le reproduire...

« Plus ils vieillissent, plus la facture devient importante, se résigne le père de Justine, Pascal Prévost, éducateur au primaire. Plus jeunes, ils s'en foutent, des marques ; ensuite, ils veulent ce qui est hot ! Même si j'aimerais encore lui acheter des pyjamas à pattes, je comprends que ma fille n'a plus 7 ans et qu'elle veut suivre la mode. »

Chez les plus petits, la référence demeure en effet la famille, ce qui laisse une certaine latitude aux parents. C'est la période où il est encore possible d'acheter des vêtements en solde - vite fait, bien fait - tout en faisant l'épicerie, se rappellent avec nostalgie certains parents. Mais vers l'âge de 10 ans, le cordon s'étire et l'opération se pimente...

C'est un rite de passage nécessaire, qui mène à une émancipation, croit Stéphanie Houle, sexologue en milieu scolaire et maman d'une jeune fille de 12 ans. « C'est vers cet âge que les goûts commencent à s'affirmer de manière plus tranchée. Devenus les plus vieux de l'école, les préados cherchent à se distinguer des plus petits et à se rapprocher de leurs pairs. »

L'importance du groupe

Si le jeune cherche son style, c'est souvent à travers celui des autres, car la quête d'identité passe par la reconnaissance du groupe : il sort du moule familial, s'identifie à ses amis et veut être dans le coup.

« Toute notre vie, on tente d'appartenir au groupe, mais c'est une période où cette quête s'affirme de façon plus importante, affirme Marie-Ève Faust, professeure à l'École supérieure de mode de l'UQAM.

« Personne ne veut être rejet, mais surtout dans ce moment de transition où l'affirmation de l'identité est importante», affirme Marie-Ève Faust, professeure à l'École supérieure de mode de l'UQAM

Comme ceux des générations précédentes, les choix vestimentaires des jeunes seraient plutôt homogènes, selon ceux qui les côtoient. Toute génération a connu ses courants vestimentaires. Les leggings, les chandails courts, le t-shirt long, les chemises à carreaux, les kangourous et les Vans font aujourd'hui partie de l'« uniforme » du jeune.

Et, quoi qu'on puisse en penser en observant le style de leurs idoles, celui des 10 à 14 ans serait relativement sage. « Dans la majorité des cas, ils ne sont pas dans la séduction. Ils sont capables d'avoir un jugement critique par rapport à ce qu'ils voient, observe Stéphanie Houde, qui intervient au primaire et au secondaire. Même s'ils sont témoins d'une hypersexualisation dans les médias et d'une féminité poussée parfois dans les extrêmes, ils sont conscients que ce n'est pas de leur âge. »

Dans de rares cas, des jeunes filles vont adopter un look sexy qui masque souvent un problème d'estime de soi et un manque d'encadrement sur le plan parental, selon la sexologue.

Malgré tout, le style passe encore beaucoup par la beauté chez les filles, tandis que les garçons sont davantage guidés par l'activité - le sport, bien souvent - même si, de leur propre avis et de celui des experts, ils sont de plus en plus conscients de leur apparence.

Des marques qui font rêver



« Quand je me sens beau, je suis fier et j'ai plus confiance en moi, lance spontanément Jean-Christophe Bourque, 14 ans, qui admet accorder une importance aux marques. Quand tu en portes, ça dit que tu es cool ! »

Adidas, Nike, Vans, Billabong... Il y a un monde, sur Instagram et sur YouTube, qui crée des besoins et offre des images à faire rêver. « Ce sont ces valeurs, véhiculées par les marques, qui allument les jeunes, que ce soit le bien-être, le sport, le plaisir, la tendance, le luxe... estime Isabelle Gauvin, styliste et experte en tendances. Ça va du Thermos David's Tea, qui est devenu accessoire de mode, aux dernières chaussures Vans. »

À cet âge, les jeunes sont aussi particulièrement intenses dans leur engouement, observe-t-elle. Ils vont souvent chercher l'ensemble de l'univers d'une marque : dans leurs vêtements, leur déco, leur maquillage, leurs accessoires...

Ils sont donc fidèles à leur marque ? « Oui, mais temporairement, nuance Marie-Ève Faust. Ce n'est pas un créneau évident. À cet âge, les corps changent continuellement, ce qui cause un problème au niveau de l'évaluation des tailles. Les goûts changent aussi rapidement. Par ailleurs, ce sont encore les parents qui ont le pouvoir d'achat. »

« Quand on doit renouveler la garde-robe chaque saison, les contraintes budgétaires entrent forcément en ligne de compte ! », mentionne Marie-Ève Faust.

Au-delà de la facture, de l'influence des marques et du désir d'appartenance au groupe, il y a cette image de soi et ce rapport au corps qu'on élabore graduellement à mesure qu'on gagne en âge. Ce style, qui s'affirme souvent avec intensité à la préadolescence et à l'adolescence, s'atténuera, dans bien des cas, au fur et à mesure que l'enfant gagnera davantage de latitude. Entre-temps, papa et maman ont encore leur mot à dire !

Le rôle des parents

Lorsqu'un préado souhaite s'acheter de nouveaux vêtements, qui doit ouvrir son portefeuille ? Les parents ! Car on ne magasine pas encore seul à cet âge, bien qu'on ait des goûts et des envies bien définis.

« Je leur pose toujours ces questions : est-ce que tu en as vraiment besoin ? explique Nancy Grégoire, maman de Jean-Christophe, 14 ans, et de Victoria, 12 ans. Vas-tu le porter ? Ça peut facilement rester dans le tiroir, autrement, et ça peut coûter cher ! Quand c'est de l'extra, je demande à mes enfants d'en payer une partie avec l'argent qu'ils reçoivent en cadeau. »

Avant d'aller magasiner, l'approche peut être d'établir un budget avec son préado. Quand il est possible d'acheter deux pantalons sans marque pour le prix d'un pantalon griffé, il n'est pas rare que les jeunes révisent leur position.

Une stratégie qu'approuve l'intervenante en milieu scolaire Stéphanie Houle, également mère d'une fille de 12 ans. « Établir un budget avec eux, c'est leur apprendre à bien magasiner tôt. À cet âge, les parents exercent encore un contrôle et peuvent avoir une influence sur les achats. »

« Il faut négocier, faire des compromis, tout en respectant la personnalité de son enfant et en essayant de comprendre que derrière les envies, il y a souvent un autre besoin», affirme Stéphanie Houle, intervenante en milieu scolaire.

Une image à définir

On pourra tenter de découvrir les motivations derrière l'envie en posant des questions : qu'est-ce que tu aimes dans ce vêtement, qu'est-ce qu'il dit sur toi ? « Le rôle du parent est aussi de faire comprendre à son enfant ce qui est approprié, selon les valeurs familiales, et ce qui l'est moins », selon Stéphanie Houle.

« J'ai toujours exprimé clairement à ma fille ce que je trouvais raisonnable ou pas, comme habillement, en lui montrant des exemples concrets autour de nous. Il y a une question de gros bon sens, insiste Pascal Prévost, papa d'une fille de 13 ans. Je lui explique que l'image qu'on projette peut avoir des répercussions sur ce que les autres penseront de nous. Normalement, je n'ai pas de mauvaises surprises. »

Le mot d'ordre : mettre des limites, sensibiliser les enfants aux messages qu'ils envoient à travers leurs vêtements et ramener aussi ces choix à l'essentiel, soit le confort, et pas uniquement des critères esthétiques.

La parole aux jeunes

Quatre jeunes nous expliquent leur style

Lauriane Blondin, 12 ans

Son style« J'aime les vêtements mous, en général. À l'école [primaire], ça se définit de gang en gang. Tous les styles sont différents, mais mes amis et moi, on aime pas mal les mêmes choses. »

Le style d'avant et de maintenant

« Avant, je mettais plein de motifs et des vêtements qui n'étaient pas vraiment mon style. Maintenant, c'est devenu plus neutre. »

Sur l'importance des marques

« C'est pas le plus important, mais quand même. On en parle entre nous et ça se voit aussi ! »

Ses articles de prédilection :

Les chemises à carreaux, les leggings, les pantalons de couleurs, les chandails gris ou noir.

Les critères d'achat : 

« Quand j'ai besoin de linge, il faut tout de même que ce soit raisonnable. Tu payes cher pour une marque ! Certaines personnes ne prennent pas la peine de voir ce qu'il y a ailleurs. »

PHOTO FOURNIE PAR LAURIANE BLONDIN

Lauriane Blondin, 12 ans.

Florent Joubert, 14 ans

Son style

« J'ai commencé à m'intéresser un peu plus à ce que portait mon frère [de 4 ans son aîné] vers l'âge de 10 ans. [...] À l'école, on a tous pas mal le même style et ça ne me tente pas vraiment d'en trouver un autre. »

Les marques

« Si je trouve un vêtement à mon goût, je n'ai pas besoin qu'il y ait une marque dessus. Le plus important, c'est que je trouve ça beau et confortable. »

Coquet ? 

« Non. Je me peigne les cheveux [il met de la pâte sculptante]. »

Ses inspirations 

« Je suis influencé par la masse, ce qu'on voit dans les magasins et les publicités. »

Ses articles de prédilection

Les pantalons ajustés, les chemises, les kangourous longs et les souliers Vans.

PHOTO FOURNIE PAR FLORENT JOUBERT

Florent Joubert, 14 ans.

Justine Prévost, 13 ans

Son style« Classique et décontracté. Je porte des choses comme tout le monde, mais j'essaie d'avoir un truc qui se démarque : une tuque Bugs Bunny, par exemple, ou une grosse doudou. »

Le style d'avant et de maintenant

« Avant, je prenais ce qu'on m'achetait : des chandails fluos avec des personnages comme des bonshommes dessinés. Du jour au lendemain, j'ai eu envie de m'habiller plus chic pour avoir l'air plus vieille. »

Ce qui est à la mode à son école : 

Les joggings, les leggings, les chandails trois-quarts (ou crop top), les pantalons taille haute.

Ce qui influence ses choix

« Surtout les jeunes qui sont populaires à mon école. Et puis, je m'inspire de ce que je vois dans les magasins. »

Les critères d'achat

« Depuis quelque temps, j'ai moins de contraintes. Mes parents voient que c'est important que je fasse mes propres choix, et puis ils ne peuvent pas vraiment évaluer ce qui est à la mode à l'école ! »

PHOTO FOURNIE PAR JUSTINE PRÉVOST

Justine Prévost, 13 ans.

Jean-Christophe Bourque, 14 ans

Son style« Moderne, je dirais. J'ai un style chic, mais passe-partout. J'aime être à la mode et avoir les mêmes vêtements que les autres. On a des uniformes, à mon école, mais les fins de semaine, c'est là que ça se joue ! »

Sur l'importance des marques

« Je suis fier d'en porter. Ceux qui n'en portent pas, ils sont, comment je pourrais dire... moins cools. »

Ceux qui l'inspirent

« Les sportifs [il aime le football], mais surtout, les étudiants plus âgés à mon école. J'ai envie de les copier ! »

Les garçons, aussi coquets que les filles ? 

« Ils accordent peut-être un peu moins d'importance à leur apparence. J'ai des amis qui ne se peignent pas, mais moi, oui. Je mets de la pâte dans mes cheveux, et tout ! »

PHOTO FOURNIE PAR JEAN-CHRISTOPHE BOURQUE

Jean-Christophe Bourque, 14 ans.