Avec ses cheveux à moitié gris, son sourire permanent, son humour, sa conscience sociale et son ouverture à l'avenir, Sophie Fontanel révolutionne le genre « journalisme de mode », que ce soit dans L'Obs ou sur Instagram. Rencontre parisienne hors norme.

LA RUE, UN TERRAIN DE « LIBERTÉ D'EXPRESSION »

Reine de l'autodérision, toujours prête à embrasser tout ce qui l'allume bien au-delà du périphérique, voire de la Manche et de l'Atlantique, Sophie Fontanel, vous l'aurez compris, est aux antipodes de tous les stéréotypes que l'on peut entretenir au sujet des journalistes de mode parisiennes.

Je la retrouve rue du Faubourg Saint-Honoré, dans un café près de chez Colette, le but étant de pouvoir regarder les clients de la super boutique et autres passants de ce quartier hyper chic défiler sur le trottoir. D'ailleurs, elle fait constamment des commentaires plus drôles les uns que les autres sur tous ceux qui passent. Elle adore les excentriques, se moque des conformistes. « Non, mais tu l'as vue comme elle est mal habillée ! Trop d'argent. Ce sont ceux qui n'ont pas de sous qui sont les plus ingénieux... »

La journaliste, auteure à succès - 12 romans et autres écrits depuis 20 ans - , personnage incontournable du paysage médiatique parisien arrive à pied, puisqu'elle habite non loin, en face des Tuileries. Elle est vêtue d'un chemisier surdimensionné bleu ciel J. W. Anderson et d'une jupe mi-longue kaki trouvée sur un site de fripes. À ses pieds, on reconnaît les mocassins en velours photographiés par la journaliste à Venise... Ses cheveux, comme tous ceux qui la suivent sur les réseaux sociaux le savent, sont maintenant à moitié gris. Elle les laisse pousser pour embrasser la modernité de la chevelure argentée mise au goût du jour par Sarah Harris du Vogue britannique.

« Les gens me disent : "Mais ça va faire vieux". Mais je leur dis non, c'est eux qui sont vieux de penser comme ça. Le gris, c'est ça qui est moderne, qui est amusant en ce moment. » - Sophie Fontanel

Si les blogueuses modeuses collectionnant les centaines de milliers d'adeptes sur Instagram sont les gourous des nouvelles consommatrices de mode actuellement, Sophie Fontanel, elle, incarne la jeunesse allumée de la quincado, ces quinquagénaires qui profitent de la vie post-enfant, post-angoisse professionnelle, post-prise de tête chronique de la jeune vie adulte, pour vivre l'adolescence dont elles ont toujours rêvé.

Que ce soit dans ses chroniques dans L'Obs, dans ses missives de nouvelles envoyées par courriel ou sur Instagram de tous les coins du monde où il y a de la mode - Séoul ou Milan ou New York - , on la voit habillée de mille façons, jamais en noir, et mettre de l'avant d'autres personnes hors-norme de tous les goûts, âges et origines. Elle cultive l'art de l'égoportrait rigolo. « Mais il faut de l'autodérision », lance-t-elle avec conviction. La mode, après tout, explique-t-elle, c'est différent de l'élégance.

La mode parle de créativité, de combinaisons inusitées, de brasser la cage des idées reçues. « Vous devriez voir mes nouveaux baskets Nike, un truc vraiment moche ! Mais c'est beau en fait. J'adore ça. » La mode, continue-t-elle, c'est la rue, c'est un terrain de « liberté d'expression ». La mode, c'est cette frange où ceux qui veulent exprimer quelque chose par leurs vêtements sortent des idées acceptées, des « tendances », des looks préfabriqués pour proposer autre chose, souvent en accord avec l'air du temps.

LA MODE, UN SUJET UNIVERSEL

Sophie Fontanel est une journaliste de mode membre de cette minuscule catégorie de reporters qui en font un sujet universel, de commentatrices qui dépassent les thèmes banals - la longueur de la jupe ici ou le type de pointu du bout de chaussure ou de frange par là - pour en faire un objet de réflexion sur le monde. Ici elle parle de liberté, là d'histoire ou de rapports sociaux.

« À 23 ans, quand j'ai commencé, je me suis fait dire : "Mais la mode, on s'en fout !". Mais en fait, tout le monde s'intéresse à la mode. Tout le monde porte des vêtements, tout le monde choisit d'être habillé d'une façon ou d'une autre. Même la personne la plus soi-disant détachée de la mode n'acceptera pas de porter certains vêtements qu'elle n'aime pas. Personne n'est totalement indifférent à ce que disent les vêtements sur nous. »

Journaliste aux pages mode du Elle français pendant 15 ans, qu'elle a notamment dirigées, après avoir été commentatrice à Canal + et journaliste au Matin et chez Cosmopolitan, Sophie Fontanel est maintenant revenue dans un média généraliste et propose même depuis le début de l'automne une chronique à la radio à France Inter. Elle est ravie de ce retour hors des magazines de mode traditionnels, qu'elle trouve dépassés par les événements. « Il y a un tel manque de gaieté ! » Et puis, continue-t-elle, les publications parlent ici de « it bag » ou là de la jupe du moment qui ne vient nullement de la rue, qui n'est nullement embrassée par les jeunes, sur le terrain, mais provient plutôt du kit de presse de telle ou telle griffe. « Ils sont complètement idiots ? Pourquoi nous parlent-ils aussi bêtement ? »

Entre le manque d'humour et d'imagination, dit-elle, les reportages de mode ne disent plus rien de vrai.

Maintenant, dit-elle, c'est plutôt sur Instagram que tout se passe. C'est pourquoi elle s'y est installée avec succès, allant chercher aux dernières nouvelles près de 26 000 abonnés.

Sophie Fontanel se prépare à publier un nouveau roman, La Vocation, qui racontera la vie d'une famille passionnée par l'élégance et la mode, à travers plusieurs points de vue. Elle espère que ce sera l'occasion, en 2016, de revenir au Québec en parler. Et de voir ce qui bouge ici, hors des sentiers battus de tout le reste de la planète mode.

LES TENDANCES SELON SOPHIE FONTANEL

Rien qui soit dicté par des designers, même pas la dernière magnifique petite jupe en cuir colorée de Nicolas Ghesquière chez Vuitton, aussi populaire - et copiée - soit-elle. Les vraies tendances émanent de la rue. 

• Des (grandes) chemises plutôt que des t-shirts 

• Sortir sans sac à main, ou alors avec un sac à la taille, le sac-banane des années 80. 

• Encore cette année, le jean trop grand (pas besoin de payer une fortune, un bon vieux Levi's pour homme deux tailles de trop fait l'affaire) qu'on rééquilibre avec un trench ou blazer d'écolier plus moulant. 

• S'il faut vraiment un sac, alors qu'il soit petit, peut-être en bandoulière, histoire de laisser les mains libres.

• De moins en moins de noir. 

• Les grandes jupes longues avec des bottes. 

• Encore et toujours des tuques ! (Elle appelle ça un « bonnet » ou « beanie ».) 

• On se regarde dans le miroir et on se demande : suis-je assez nonchalante ? Si la réponse est non, on troque des talons pour des jolis baskets - avec un tailleur, oui oui ! On ajoute une tuque. On ajoute une doudoune sans manche par-dessus un blazer.

• On combine le chic cher avec le cool trouvé à la friperie ou dans une boutique bon marché. « C'est totalement ringard le total cher, c'est débile, ridicule. Porter 5000 euros de vêtements sur soi, c'est pas du tout tendance. » 

• Les « cheveux gris » ? Une lame de fond qui ne fait que commencer. 

• On répète : on se regarde dans le miroir, on enlève encore un morceau noir. 

• On observe ce que les mannequins portent dans la vie autant - peut-être même plus - que ce qu'elles portent dans les magazines ou sur les passerelles.

• Les collants noirs opaques.

• Les chaussures à talons plats, les bottes serrées.

QUELQUES GRIFFES CHOUCHOUTES

• Margaret Howell, une designer britannique qui traverse les époques

• APC, une marque française toujours sobre et impeccable

• Vanessa Seward, très simple, mais sophistiquée

• 45 RPM, une marque japonaise allumée

• JW Anderson, un designer irlandais qui signe la ligne Loewe, mais aussi sa griffe homonyme, très androgyne, totalement dans l'air du temps

• Céline, la marque pilotée par Phoebe Philo, une des rares, dit Sophie Fontanel, à être à la fois totalement à la mode et élégante

• ACNE Studios, la marque suédoise. « C'est eux qui sont à la pointe en ce moment, en osant des choses étranges. »

• Les friperies. « J'adore combiner le chic cher et les trouvailles des puces. » Sur le web, Sophie chine sur Monopole et Dressing Factory.