Très chaleureuse, les cheveux rouge vif, mince comme un fil, Patricia Field, styliste de la célèbre série Sex and the City, nous reçoit dans sa boutique de New York et parle sans complaisance de la mode: «une triste conformité à l'échelle mondiale». Rencontre avec un personnage.

Dès qu'on entre dans la boutique de Patricia Field dans Bowery Street, dans le quartier NoHo (North of Houston Street) à New York, on a l'impression de pénétrer dans un immense bazar chic et contemporain.

Des couleurs vives se mêlent aux paillettes, sacs à main en forme de pastèque ou de bouche, lunettes excentriques et robes de soirée spectaculaires. On peut autant y faire des trouvailles à 10 ou 20$ qu'y acheter une robe d'un jeune créateur à 400$. C'est ça, le style de Patricia Field, un mélange des genres, qu'elle revendique farouchement. Celle qui a été la styliste des séries Sex and the City et Ugly Betty, et du film Le diable s'habille en Prada, a créé un style original qui met en valeur audace et personnalité.

Sa jeune attachée de presse nous emmène dans le bureau de Patricia Field, dans l'arrière-boutique, où l'on remarque que deux petits chiens blancs sont sagement couchés près d'elle. La veille de notre rencontre à New York, elle avait reçu la visite de Caitlyn Jenner, qui est sortie de sa boutique avec une jupe courte à paillettes colorées. «Tout est nouveau pour elle, alors il faut du temps et l'avenir lui appartient», confie la styliste. Elle nous demande d'emblée si l'on aime son magasin. Elle avoue que les affaires sont parfois difficiles. «Mais tant que je suis stimulée, active, énergique, et que je reste positive et intéressante, je continue et, de cette façon, je reste jeune!», s'exclame-t-elle. 

«Je suis fière et j'aime ce mélange des genres. Je vends dans ma boutique des choses très différentes, des vêtements classiques, mais aussi des vêtements plus excentriques et amusants, de style très théâtral même! Encore aujourd'hui, lorsque je regarde la mode et les tendances, je trouve que c'est tellement classique, basique, voire dépressif. C'est la mode du style dépressif», répète-t-elle. 

Elle fait le parallèle entre l'époque de la Grande Dépression de 1929 (qu'elle n'a pas connue, dit-elle en souriant, «je suis plus jeune que ça!») et se souvient de photos montrant des gens, dans la rue, qui portaient des vêtements sans forme ni géométrie, aux couleurs ternes. «C'était les vêtements des pauvres et, aujourd'hui, nous sommes à nouveau dans cette même époque! C'est ce que je vois, cette mentalité de pauvre, tout le monde porte des jeans, des t-shirts, des sneakers, regardez autour de vous. Quelle tristesse! Quelle triste conformité! déplore-t-elle. Parcourez le monde entier et observez, on ne voit que des jeans et des t-shirts! Alors qu'un t-shirt à la base était un sous-vêtement, jusqu'au jour où Marlon Brando et James Dean en ont porté. Les sneakers étaient portés uniquement pour faire du sport, aujourd'hui on les a aux pieds tous les jours, et les jeans étaient des pantalons de travail...» 

Pourtant, elle pense que les femmes ont envie d'être chics, élégantes, créatives, intéressantes, mais elle ne retrouve absolument pas ces éléments dans la mode d'aujourd'hui. «C'est d'un grand ennui! dit-elle. Où que vous soyez dans le monde, Pékin, São Paulo, Los Angeles, Singapour, on retrouve les mêmes enseignes: Zara, Forever 21, H&M, ou des chaînes de luxe pour les riches comme Dior et Vuitton. Tout le monde porte la même chose, alors que c'est tellement plus amusant d'être créative! C'est tellement plus gratifiant, mais ça demande d'avoir une individualité, il faut y penser et s'y intéresser», croit Patricia Field.

Estime-t-elle avoir eu une influence avec Sex and the City? «Oui, au début des années 2000... J'ai réalisé qu'il y avait eu un changement parce que les femmes m'en parlaient. Elles me disaient: "Grâce à vous, j'ai changé ma façon de m'habiller!" Je pense que les femmes ont aimé le mélange des genres qu'elles ne se permettaient pas auparavant. C'est ce que j'ai permis, porter une pièce vintage avec quelque chose de neuf, mélanger une jupe Dior et une camisole blanche d'homme. Un collier de perles porté sur un t-shirt, une veste Chanel avec des jeans. Ç'a ouvert les possibilités, donné une allure nouvelle et un choix de combinaisons incroyable! Si j'ai un conseil à vous donner, c'est de ne pas avoir peur d'être créative, c'est ça aussi que les femmes ont réalisé avec Sex and the City. Avoir de la personnalité et un vrai style individuel. Le personnage de Carrie Bradshaw tout comme la comédienne Sarah Jessica Parker ont été une belle inspiration pour ça.»

Photo Twentieth Century Fox, AP

Patricia Filed discute avec Meryl Streep sur le plateau du film The Devil Wears Prada.

Sa signature

Plusieurs articles portés par Carrie dans Sex and the City sont devenus de véritables icônes de la mode des années 2000. En voici quelques exemples.

La petite chaîne de Carrie

«Cette chaîne avec le prénom [Carrie], je l'avais dans ma boutique bien avant que la série Sex and the City ne commence et déjà elle était très populaire, pour moi c'est un collier très urbain. Toutes mes jeunes clientes de Brooklyn et de Queens et toutes mes clientes latino-américaines adoraient porter leur nom sur leur petite chaîne au cou, j'en vendais déjà beaucoup. Je l'ai montrée à Sarah Jessica Parker et elle l'a aimée tout de suite. Il est devenu "The Carrie Necklace"», explique Patricia Field.

Les talons vertigineux Manolo Blahnik

Manolo Blahnik est presque devenu un personnage de la série tant la marque y a été citée souvent, tout comme Jimmy Choo et Christian Louboutin. Les talons vertigineux font partie de l'allure de Carrie Bradshaw et elle est prête à tous les sacrifices pour s'en offrir une paire à 400$. 

Le tutu

Cette tenue est devenue célèbre, voire mythique, puisqu'elle apparaît dans le générique de Sex and the City. Le succès ne se dément pas et Patricia Field vend encore ces mêmes tutus dans sa boutique.

La camisole courte

On l'a vue et revue sous différentes formes - courte, ultracourte (laissant voir le nombril) ou plus longue -, portée par Carrie Bradshaw. Cette camisole est un classique accessible qui se porte de toutes sortes de manières.

Le mélange des genres

Une jupe très chic portée avec une camisole d'homme, c'est la signature de Patricia Field. Un jean et une veste Chanel, un t-shirt sur une jupe griffée très chic, un collier de perles sur un t-shirt, elle adore mélanger les genres et c'est ce qu'elle a fait avec Carrie Bradshaw.

Photo fournie par HBO

Photo fournie par HBO

L'anticonformiste

Ce qu'elle aime le plus dans la mode? 

L'équilibre entre la créativité et le côté fonctionnel. Et c'est valable pour toutes les formes de créativité, que ce soit l'architecture ou la mode. «Quand je rencontre des designers qui dessinent, par exemple, la planète Vénus qui traverse un vêtement et que ce n'est absolument pas portable, je dis non!» Elle montre sur l'ordinateur la création avec la planète Vénus d'un jeune designer qui souhaite vendre ses vêtements dans sa boutique. «Mais qui peut porter ça? Personne! J'aime donc cet équilibre, il faut pouvoir porter un vêtement et qu'il soit confortable également.»

Ce qu'elle aime moins dans la mode? 

La conformité à cause des tendances. Elle n'aime pas les tendances. «Si tout le monde suit les tendances, c'est terrible. On veut vous vendre des choses parce que tout le monde les porte? Non, vous devez croire en vous et suivre votre mode à vous. Votre personnalité vous guidera. Mon travail n'est pas de forcer les choses, mais bien de découvrir votre personnalité et de vous guider dans le choix des vêtements. Je n'aime pas non plus les fashion victims et la surcommercialisation de la mode.»

Qui aimerait-elle habiller? 

«J'aimerais habiller quelqu'un comme Hillary Clinton. Elle a fait beaucoup de progrès, elle s'habille mieux. Elle a l'air plus intelligente. Son style est classique, mais elle a plus de goût qu'avant. Elle a besoin d'un petit coup de modernité dans son allure générale.

«Michelle Obama aussi. Elle s'habille bien, mais il y a quelques détails qu'elle pourrait améliorer. Il lui manque un petit quelque chose. J'aime son image en général et son allure.

«J'aime beaucoup Barack Obama, mais ses costumes sont trop grands, il est grand et mince, mais il manque de style. Je ne souhaite pas qu'il s'habille comme un mannequin qui défile, mais il pourrait s'habiller avec tellement plus de personnalité.»