Au coin des pelouses, sur les écrans géants des stades ou même nichés sous les plongeoirs des piscines, les horlogers de luxe se livrent une concurrence féroce pour être le chronométreur officiel des grandes compétitions et faire ainsi briller leur marque dans le monde entier.

Décembre 2014. Pluie de records aux championnats du monde de natation en petit bassin à Doha. 23 au total. Les exploits de Florent Manaudou sont immortalisés par des photographes du monde entier. L'autre gagnant est toujours bien placé dans un coin du cadre, quel que soit le nageur: Omega et son logo blanc et rouge.

Chronométreur officiel des mondiaux de natation ou des jeux Olympiques, l'horloger suisse s'est emparé, comme ses concurrents sur d'autres événements, de l'incroyable audience qu'offre le sport pour faire rayonner sa marque.

«Le sport est une langue universelle. C'est un vecteur de notoriété colossal, explique à l'AFP Jean-Claude Biver, patron du pôle montres et joaillerie du groupe de luxe français LVMH (Hublot, Tag Heuer, Zenith). Au sein de ce groupe, Hublot consacre environ 20% de son chiffre d'affaires -- 333 millions d'euros en 2013, selon le magazine suisse Bilan - au marketing, dont un tiers aux commandites sportif (soit une vingtaine de millions d'euros).

«Sur notre site internet, nous avons eu près de 3 millions de visiteurs pendant la Coupe du Monde de foot 2014 alors que nous en avons 300 000 en temps normal chaque mois. Pour des pays comme la Chine, nous n'étions plus une marque confidentielle, mais une marque référence au même rang que Coca Cola!», s'exclame-t-il.

Chacun son «territoire» 

Performance, technicité, panache... les valeurs véhiculées par le sport ont séduit ces marques de luxe, qui veulent en récolter les dividendes.

«Les marques tentent de verrouiller certains sports pour ne pas laisser les concurrentes s'engouffrer sur leur ''territoire''», analyse pour l'AFP Jean-Philippe Danglade, professeur de marketing sportif à la Kedge School. Il donne l'exemple de la stratégie du groupe Swatch (Omega, Longines, Tissot, Swatch) qui «occupe des terrains différents» -- surf féminin chez Swatch, golf chez Longines-- selon sa cible visée pour «ne pas se marcher dessus».

Dans le tennis, la bataille pour s'offrir les tournois du Grand Chelem fait rage. Si Rolex -mastodonte de la commandite sportive avec 100 à 150 millions d'euros dépensés chaque année selon le cabinet Sponsorize - s'est arrogé Wimbledon et l'Open d'Australie, son grand rival Longines a conservé Roland-Garros. Et exerce un quasi-monopole dans le ski ou l'équitation.

Les marques n'hésitent plus à surfer sur les rivalités: dans le féroce duel de la Coupe de l'America, la plus prestigieuse compétition de voile au monde, Tag Heuer commandite Oracle Team USA pendant qu'Omega s'affiche avec le grand rival Team New Zealand.

«Effet Ferrari»

Les marques horlogères ont naturellement misé sur les sports élitistes (tennis, voile, équitation...) pour toucher une clientèle aisée, consommatrice de ces produits haut de gamme. Mais le marché est devenu si saturé qu'elles se tournent vers les sports plus populaires, comme Tag Heuer -qui a perdu en 2013 son partenariat historique avec la F1 au profit de Rolex- avec le rugby.

«Le polo ou le golf sont des sports exclusifs et confidentiels qui ne parlent pas à la nouvelle génération alors que le football touche aussi bien les jeunes, les femmes, les chômeurs que les hommes d'affaires», souligne M. Biver, qui a signé pour Hublot un partenariat avec la FIFA jusqu'en 2022 et avec des clubs prestigieux comme le Bayern Munich ou le PSG.

Ce sont des paris sur l'avenir: les marques cherchent à se positionner le plus tôt possible sur les sports porteurs pour avoir une longueur d'avance sur la concurrence, même si cela ne se matérialise pas à court terme par une hausse des ventes.

«L'idée est de créer le désir chez cette jeunesse qui ne peut pas s'offrir une montre aujourd'hui, mais peut-être dans 10 ans: c'est l'effet Ferrari, explique M. Biver. Vous ne pouvez pas acheter un rêve si vous ne faites pas rêver».

Avec cette stratégie, «les horlogers courent toutefois le risque de brouiller leur message», avertit l'économiste du sport Jean-Pascal Gayant, pour qui les frasques de certains footballeurs peuvent mettre en péril «la réputation indispensable» des marques de montres.

Même si elle n'appartient pas au monde du luxe, Festina en sait quelque chose: 17 ans après le Tour de France 98, son nom reste lié dans l'esprit du public à l'affaire de dopage qui avait touché l'équipe cycliste qu'elle parrainait.