À 90 ans, Ruth Finley s'apprête à tourner la page de 70 ans d'histoire de la Fashion week new-yorkaise: après l'avoir créé et géré toute sa vie, elle a vendu son «Calendrier de la mode», la bible de tous les rendez-vous de cette semaine frénétique.

Feuilles rose vif et couverture rouge agrémentée de deux modestes agrafes, le «Fashion calendar», publication payante bimensuelle, était depuis 1945 l'incontournable compagnon des journalistes, stylistes, attachés de presse, mannequins, traiteurs et autres galériens de la Fashion week.

Pour cette édition new-yorkaise, il listait encore plus de 300 défilés, des dizaines de fêtes, sur 26 pages à la typographie serrée. Un tiers des abonnés le reçoivent toujours sous forme papier, en dépit d'une version en ligne apparue en 2007.

Ruth Finley en est la fondatrice et la grande organisatrice. Pendant plus de 60 ans, c'est à elle que les créateurs de mode ont téléphoné, pour réserver jour et horaire pour leur défilé, obtenir un changement, confier parfois leurs soucis.

«Il y a quarante ans, quand j'ai commencé, c'est la première personne que j'ai appelée. Et je ne suis pas la seule. Elle est le premier numéro de téléphone pour beaucoup de gens. Personnellement, je l'adore», raconte à l'AFP Diane von Furstenberg, la présidente de l'association des créateurs américains (CFDA) qui a racheté le calendrier cet été et prendra la main le 1er octobre, avec l'intention de le numériser pour le faire entrer dans le XXIe siècle.

Dans son appartement sur la 85e rue, dans le quartier d'Upper East Side, Ruth Finley pourrait parler mode pendant des heures.

Elle connaît tous les designers. Cite de mémoire les défilés de tel ou tel styliste, heure et lieu compris. Elle évoque les débuts de Zac Posen ou Marc Jacobs, affirme que le talent se détecte immédiatement.

Si son calendrier a toujours eu des pages roses, c'est pour être facile à trouver sur le fouillis des bureaux de ceux qui l'utilisent, raconte-t-elle.

Amie et conseillère

Récemment récompensée du trophée des directeurs du CFDA, qu'elle arbore fièrement dans sa bibliothèque, elle est à elle seule la mémoire de la Fashion week depuis les années 40, quand les grands magasins new-yorkais, beaucoup plus nombreux qu'aujourd'hui, organisaient les défilés.

«Il y avait peut-être 60, 70 grands magasins», explique-t-elle à l'AFP. «C'est eux qui faisaient les défilés. Mais à l'époque, on ne mentionnait jamais le nom des stylistes. C'était seulement le nom du magasin».

Puis vient la «semaine de la presse», organisée pour la première fois par une publiciste, Eleanor Lambert, qui, profitant de la Seconde Guerre mondiale, cherche à détourner l'attention de la mode française vers les créateurs américains.

«C'est elle qui a décidé qu'il fallait donner le nom des stylistes et les rendre populaires», affirme Mme Finley. Eleanor Lambert invite pour sa «semaine de la presse» des journalistes de tout le pays, dans un grand hôtel de New York où se tiennent alors la plupart des défilés.

La «Fashion week» prendra son nom en 1994, quand elle se regroupera à Bryant Park. Avant de redéménager en 2010 au Lincoln Center et d'exploser progressivement dans toute la ville.

Toutes ces années, Ruth Finley organise les défilés, cherche des lieux, adapte les horaires, désamorce les conflits.

«Je le fais encore aujourd'hui», dit-elle d'une voix douce. «Je les connais tous personnellement et ils me font confiance».

Toutes ces années, elle a été, assure-t-elle, amie, conseillère, psychologue, psychiatre. «C'est un travail très personnel».

Elle raconte comment elle essaye, sans toujours réussir, de régler les conflits d'horaires: les designers qui l'appellent pour qu'elle intercède en leur nom, les changements de dernière minute et les casse-tête qu'ils génèrent.

Une semaine avant cette Fashion week, Marc Jacobs a ainsi avancé son horaire de 20h00 à 18h00. «J'ai dû changer tous ceux qui étaient à 18h00. Car si un mannequin doit défiler pour Marc Jacobs à 18h00, il n'est plus disponible de tout l'après-midi».

Ruth Finley continuait jusqu'à présent à travailler à son calendrier tous les jours de 08h00 à 16h30. «Les bureaux sont à deux pâtés de maison de chez moi», explique-t-elle.

Elle se dit «un peu triste» d'avoir vendu un calendrier qui était sa vie et qu'elle aurait voulu garder dans la famille. Mais aucun de ses trois fils ou onze petits-enfants n'était intéressé.

Elle restera, précise-t-elle, consultante pour le CFDA.

Elle aimerait bien écrire un livre sur les grands stylistes qu'elle a connus. «Et je vais peut-être aussi un peu voyager».