La fermeture de Jacob, un grand nom de la mode d'ici, a créé l'émoi. Pourtant, de nombreux détaillants québécois connaissent des difficultés. À l'heure de l'arrivée du commerce en ligne, et alors que la concurrence internationale est de plus en plus féroce, sauront-ils s'adapter?

L'annonce de la fermeture de Jacob a stupéfait le milieu de la mode québécoise. L'enseigne n'avait en effet pas ménagé ses efforts pour se moderniser, et tenter de reconquérir ses clientes. Pourtant, Jacob pourrait bien ne pas être la seule enseigne québécoise amenée à disparaître, croit-on.

«Jacob a créé une onde de choc, mais il y en aura d'autres.»

Réaliste, Paulette Kaci, directrice générale du centre de recherche et d'innovation en habillement Vestechpro, observe les nombreuses mues du marché de la mode au Canada. En une décennie, l'arrivée de géants de la «fast-fashion» comme H&M, Zara, ou Forever21 a profondément modifié le paysage de la mode montréalaise.

«Aujourd'hui, la concurrence est internationale. Les consommateurs ne sont plus fidèles à certaines marques. Les détaillants doivent être plus actifs», croit-elle.

«Myopie»

Pourtant, les enseignes québécoises ne semblent pas mesurer pleinement l'ampleur des changements à l'oeuvre.

Un tour dans les boutiques des grandes chaînes d'ici peut avoir quelque chose d'un peu déroutant, sinon déprimant: ces vêtements peuvent-ils vraiment séduire une clientèle jeune et professionnelle, qui a accès à de nombreux choix?

Pour Naoufel Remili, professeur à l'École supérieure de mode de l'UQAM, bien des détaillants d'ici souffrent de myopie: ils croient, à tort, que leur client n'a aucun secret pour eux. Résultat, les produits offerts ne répondent ni à leurs besoins ni à leurs envies.

«Je pense que le consommateur a beaucoup de mal à dépenser 80$ pour un chemisier s'il sait qu'il peut en avoir deux ou trois pour 20$», dit M. Remili.

En mode, la tendance est en effet aux extrêmes. D'un côté, la «fast-fashion», qui propose à prix bas des vêtements tendance, mais bas de gamme. De l'autre, le «slow-wear»: une attirance vers les achats intelligents, durables, de qualité, en réaction à la surconsommation, et à la crise.

«La femme dans la trentaine va soit vers la "fast-fashion", soit vers une marque plus prestigieuse», observe M. Remili.

Haut de gamme et bas de gamme se marient d'ailleurs très bien et il est de bon ton, aujourd'hui, d'assortir des vêtements de base, peu chers, à des pièces plus luxueuses.

Pour les enseignes qui, comme Jacob, Bedo, Le Château, mais aussi la maison néerlandaise Mexx, tombent entre les deux tendances, les temps sont durs.

Concurrencées sur les prix par des géants internationaux, qui peuvent s'offrir un matraquage marketing, elles souffrent aussi de l'apparition de labels plus hauts de gamme, d'ici et d'ailleurs.

«Il ne va rester que les géants et les petits commerces spécialisés. Il faut une personnalité et un ADN très fort qui corresponde à ce dont les gens ont besoin », croit Julie Pesant, ancienne vice-présidente Design, développement de produit et intégrité chez Jacob, et qui a quitté l'entreprise en 2010 pour lancer sa propre collection de robes à Montréal, Éditions de robes.

Montréal a pourtant vu apparaître, au cours de la dernière décennie, des jeunes entreprises qui ne se contentent pas de courtiser les Québécois, et vendent surtout à l'étranger. C'est le cas notamment des jeans Naked And Famous, ou des sacs et accessoires WANT Les essentiels de la vie: pour cette entreprise, le Canada ne représente qu'une petite part de leurs ventes.

«Il faut essayer d'aller ailleurs, estime Dexter Peart, l'un des créateurs derrière WANT Les essentiels de la vie. Le problème de tout le monde, c'est qu'il y a ici 30 millions de personnes avec pas mal d'argent dans leurs poches. Avant, il n'y avait que les marques canadiennes ici, mais maintenant, tout le monde a le choix, il y a les sites de e-commerce. Il faut être fort, trouver son avantage.»

Passivité

Si les défis sont là, les changements se font encore attendre, déplorent certains observateurs.

«On est passifs dans l'industrie de la mode au Québec, dit Jocelyn Bellemare, professeur à l'École supérieure de mode de l'UQAM. Quand on regarde dans la majorité des entreprises, il n'y a pas de plan de relève, pas de plan stratégique. L'arrivée du web a posé de gros problèmes.»

Certes, les Québécois achètent encore très peu en ligne. Mais l'e-commerce est toutefois en progression constante. En 2012, ils ont dépensé près de 6,8 milliards de dollars sur l'internet: principalement en voyages ou en achats de matériel électronique. Mais les vêtements, chaussures, accessoires et bijoux arrivent bon troisième, selon des chiffres compilés l'an dernier par le CEFRIO*, dans une étude sur les technologies de l'information et les entreprises de la mode québécoise.

Pourtant, les grandes enseignes ont été peu promptes à saisir les occasions que le web peut leur offrir, tant pour promouvoir leur image que pour doper leurs ventes.

À cet égard, le groupe Dynamite (qui regroupe les magasins Dynamite et Garage) fait figure d'exception et poursuit en ces temps moroses son expansion vers les États-Unis et le marché en ligne.

L'enseigne est présente sur Facebook et Instagram (avec 100 000 et 35 000 abonnés), et devrait lancer un blogue en juillet. Le groupe emploie quatre personnes à temps plein pour gérer ses réseaux sociaux.

«Ça va exceptionnellement bien. Notre business e-commerce devient de plus en plus importante», assure Adèle Rubiano, directrice marketing de Dynamite.

Mais le groupe a toutefois dû revoir tout son système informatique avant de lancer sa plateforme. «C'est impossible de refaire seulement le packaging. Il faut travailler l'arrière-scène pour que la cliente ait une belle expérience», dit Mme Rubiano.

Chez Mexx, on se refuse à dire que les temps sont difficiles au Canada. L'enseigne néerlandaise a pourtant fait des compressions, au cours des dernières années, à son siège social montréalais, fermant également certains points de vente. Le Canada est pourtant son principal marché, avec la Russie.

Sous la houlette de Julia Hansen, présidente et chef de la création, arrivée en poste il y a 16 mois, on a revu les prix légèrement à la hausse, tout comme la qualité. Le but: reconquérir une clientèle de jeunes professionnels, à la recherche de vêtements bien pensés.

«Nous ne nous situons de toute façon pas sur le terrain de la "fast-fashion", explique Mme Hansen, rencontrée lors de sa dernière visite à Montréal. Le marché canadien a explosé dans les années 2000. C'est normal qu'il faille aujourd'hui faire des ajustements.»

>>> Consultez le rapport publié en octobre 2013

>>> Lisez le dossier dans La Presse Affairesde Marie-Eve Fournier.

Les bons coups des entreprises québécoises en ligne

1. Les géants du web, créés à Montréal

Beyond The Rack

Le site, qui offre des vêtements, chaussures, accessoires à prix cassés au cours de ventes éclair sur son site, est l'un des grands succès de la mode d'ici des dernières années. Beyond The Rack est aussi le troisième site le plus fréquenté par les Québécois pour leurs achats mode en ligne, après eBay et Sears, selon des chiffres compilés par le CEFRIO.

https://www.beyondtherack.com/auth/register

Frank and Oak

Le site de vente en ligne est aujourd'hui un incontournable. Ses fondateurs ont d'abord tenté de percer le marché de la vente en ligne avec Modasuite, un site de vêtements sur mesure. Un concept peut-être trop visionnaire. Chose certaine, ils ont visé juste avec Frank and Oak et leurs vêtements prêt-à-porter pour hommes, faits des basiques, avec une touche hipster.

https://www.frankandoak.com

Ssense

La boutique en ligne de luxe a ouvert ses portes il y a plus d'une décennie et s'est imposée comme l'un des acteurs majeurs dans ce domaine, partout dans le monde. Ssense s'est également offert une boutique dans le Vieux-Montréal. Indubitablement créative, l'enseigne vient de s'associer au magazine anglais System pour lancer une série de vidéos. La première met en scène Sky Ferreira.

https://www.ssense.com/video/sky-ferreira-i-blame-myself-video-ssense

2. Les détaillants québécois à la page

Dynamite et Garage

Les deux enseignes québécoises ont pris un virage majeur en ligne, pour accompagner leur progression internationale. Un cas modèle de marketing, selon Naoufel Remili, professeur à l'École supérieure de Mode de l'UQAM.

http://www.dynamiteclothing.com

Aldo

Aldo offre une très bonne expérience de magasinage en ligne, ce qui ne doit rien au hasard: au début de l'année, Aldo a annoncé un virage majeur, pour lequel l'entreprise devrait investir pas moins de 360 millions.

http://www.aldoshoes.com/ca-fre

Simons

La maison québécoise est l'une des destinations e-shopping préférées des Québécois, selon le CEFRIO.

http://www.simons.ca/simons