Ceux qui avaient l'habitude de flâner à la boutique de la rue Bernard pour y zieuter les créations féminines et baroques de la joaillière Charlotte Hosten se sont cogné le nez à la porte d'un local vide au cours des dernières semaines... C'est que la créatrice a décidé de rentrer au bercail, au propre comme au figuré. Entrez dans le monde de Charlotte.

Elle aurait pu choisir d'augmenter son personnel et, par le fait même, sa production. Prendre de l'expansion... Peut-être même ouvrir une nouvelle boutique, tiens! Faire comme on fait quand les affaires sont plutôt bonnes et qu'on a réussi à faire connaître sa signature. Mais non...

Charlotte, malgré le fait qu'elle ait le vent dans les voiles, a préféré son port d'attache: un charmant appartement du Mile End qu'elle a acheté avec son amoureux l'automne dernier et où, dans une petite pièce lumineuse d'un joli bleu ciel, elle crée entourée des objets qui lui ressemblent et qu'elle aime.

«Les employés, la vente, la gestion, c'est une pression qui devenait de plus en plus lourde et qui me laissait moins de place en moi pour créer, explique la rayonnante rouquine. Comme mes créations se vendaient bien sur l'internet, je me suis demandé s'il n'y avait pas une meilleure manière, pour moi, d'exercer mon métier.»

Simplicité volontaire

Après six mois de tergiversations entre coeur et raison, elle choisit finalement d'écouter son instinct pour revenir à ce qui l'allumait à la base, quand elle pouvait créer sans s'embarrasser de trop de lourdeur administrative.

Il y a des décisions que l'on prend pour ménager son ego, d'autres en cédant à la pression sociale. Celle-ci n'est ni l'une ni l'autre. «C'est sûr que c'est plus prestigieux d'avoir une boutique, mais si ce n'est pas ça qui me rend heureuse, je ne vais pas faire semblant! Le magasin fonctionnait bien et je ne veux pas m'enlever cette réussite-là, mais je suis en paix avec ma décision», souligne-t-elle.

Désormais, c'est en ligne qu'elle vend ses bijoux. Et maintenant qu'elle a découvert que le web est un immense bazar, même les escapades dans les brocantes ne sont plus essentielles: elle peut magasiner, créer, vendre, tout en sirotant un thé! Elle se réjouit toutefois de pouvoir passer plus de temps avec chaque cliente, à qui elle donne rendez-vous à son atelier pour des rencontres personnalisées.

Malgré l'étroitesse des lieux, elle trouve ici l'espace et la liberté dont elle a besoin pour être heureuse dans son travail, et gagne, en prime, une solitude qui la nourrit.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Collier Le grand Duc 350 $ modèle unique Grenat, soie, coton, morceaux de montres recyclées, bijou vintage, plumes, métal.

Organiser le chaos

Charlotte Beauduin de son vrai nom, devenue Hosten parce qu'elle trouvait le nom de sa grand-mère plus beau, révèle sa nature nostalgique à travers ses créations qui marient les tissus aux perles et à différentes trouvailles. Elles sont d'ailleurs souvent porteuses d'histoires, comme ce collier orné de monnaie tibétaine ou cette autre pièce qui porte une médaille de guerre.

Loin des bijoux fragiles, ceux qui portent la griffe de la designer sont forts et tendres à la fois, jamais banals. De ceux qui éclipsent automatiquement le vêtement qu'ils accompagnent et qu'il serait sage, d'ailleurs, de garder sobre. «C'est plate de faire des bijoux délicats! J'aime mélanger les textures et les couleurs. Je fais des bijoux qui sont "bold"», convient-elle.

Charlotte monte ses créations comme des sculptures, au gré de ses inspirations et directement sur mannequin pour avoir une idée de ce qu'elles donneront une fois portées. Elle organise le chaos pour en faire de petites pièces d'art, par essais-erreurs et par tâtonnements, jusqu'à obtenir l'effet désiré. «Parfois, ça fait "bam!" et j'y arrive directement. Parfois, c'est un processus plus laborieux qui ne mène nulle part», explique celle pour qui la création est source d'angoisse et remède à la fois.

C'est pourtant à travers ce processus qu'elle trouve son éclatement créatif. «C'est ce que je recherche! Je souhaite faire plus de modèles uniques. De cette façon, je n'ai pas le souci d'avoir à les reproduire en plusieurs exemplaires. Je suis meilleure comme ça aussi. L'approche est plus intuitive et libre.»

Intuition, liberté, créativité... des mots qui reviennent souvent dans le discours de la joaillière. C'est d'ailleurs pour avoir davantage d'un peu tout ça qu'elle a fait le choix de voguer à contre-courant. Après dix années passées à fabriquer des bijoux, cinq autres à créer de l'art à porter, deux et demie à tenir boutique, Charlotte s'offre maintenant le luxe du temps.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Bracelet Sacramento Pyrite, verre, bois, aluminium, bagues vintage 109 $.