C'est une petite ruche créative située sur les bords du lac Ontario, à Toronto, d'où sont issus certains gros noms de la mode canadienne. Né il y a près de 25 ans, l'incubateur mode de Toronto (Toronto Fashion Incubator) a inspiré des villes comme Paris, Londres, Los Angeles ou Le Cap, en Afrique du Sud. Visite d'une véritable petite fabrique à designers.

Une douzaine de bureaux bordent une table de travail longue d'une bonne dizaine de mètres. Côte à côte, les designers locataires de l'incubateur découpent, cousent, taillent leurs vêtements. Tout comme l'espace de travail, les machines sont collectives.

«Il y a un grand soutien ici», souligne Laura Siegel, jeune femme aux cheveux longs et à l'allure très cool. Diplômée de Parsons à New York et de Saint Martins à Londres, c'est à Toronto que la jeune designer a choisi de démarrer son entreprise. Pour ses créations, elle collabore avec des artisans de tous les coins du monde.Contre un loyer de moins de 500$, elle bénéficie du réseau de contacts de l'incubateur, de coups de pouce de mentors et de formations en gestion, marketing et communication, autant d'outils indispensables quand on lance une entreprise, mais souvent inaccessibles aux nouveaux venus.

«Les jeunes designers ont besoin d'argent, de conseils, d'aide pour diriger leur talent», affirme Susan Langdon.

Depuis 1994, cette ancienne designer a pris la tête de l'incubateur. Elle couve avec attention ses protégés, qui y passent parfois plusieurs années.

Un lieu de transition

David Dixon est l'un d'entre eux. Passé dans l'incubateur dès sa sortie de Ryerson, en 1995, jusqu'en 2000, le designer y a démarré son entreprise et affûté son style féminin et luxueux. Aujourd'hui, ses créations haut de gamme sont des incontournables de la mode canadienne. Il est aussi l'un des ardents défenseurs de l'incubateur, qu'il préside.

«L'incubateur est une excellente transition après l'école, estime-t-il. Vous êtes dans une concurrence amicale, vous avez tous les contacts des magasins d'importance. Grâce à Susan [Langdon], j'ai pu entrer très vite à La Baie.»

L'incubateur, selon Susan Langdon, a les contacts d'environ 300 personnes-clés dans l'industrie. Mais comme partout au Canada, les designers de Toronto doivent convaincre des acheteurs souvent frileux de leur faire confiance. « Je souhaiterais que plus de détaillants canadiens leur donnent une chance », souligne-t-elle.

Nul n'est prophète en son pays et c'est particulièrement le cas des designers d'ici, croit Susan Langdon, qui n'inspirent confiance et respect aux acheteurs qu'une fois reconnus aux États-Unis ou en Europe.

Autre problème, soulève David Dixon: les difficultés qu'ont les designers à se faire payer, une fois leurs vêtements livrés aux acheteurs. «C'est un défi pour tout le monde, dit-il avec un soupir. C'est ridicule.»

L'incubateur ne résout pas tous ces problèmes. Mais, affirme Susan Langdon, Toronto a su se doter d'une communauté mode très riche. «On a donné au monde des talents incroyables», croit-elle, citant David Dixon, Arthur Mendonça, Ashley Rowe ou Juma.

Financé à l'origine dans une large majorité par la Ville de Toronto, l'incubateur a vu la participation municipale se réduire au fil des années, notamment depuis l'arrivée de Rob Ford à l'hôtel de ville. Pendant le mandat de l'édile d'Etobicoke, la part de la Ville a encore diminué.

«Malheureusement, on a une administration municipale qui ne croit pas à la mode, regrette Mme Langdon. On doit sortir des sentiers battus, "think out of the box". C'est clairement un défi.»