Certains le qualifient de «rétrosexuel», terme inventé par l'industrie du marketing pour qualifier cet homme qui s'inspire d'une autre époque pour revisiter le style au masculin. Passé l'impression de déjà vu, il se révèle d'une masculinité bien de son temps: celle qui assume sa virilité tout comme son envie de plaire.

Adepte d'une époque où l'on prenait son temps et où les choses étaient créées avec une intention de pérennité, le rétrosexuel vogue sur la vague nostalgique. «Il aime le sur-mesure, les produits italiens, les voitures d'époque et les objets qui ont connu une ancienne vie. C'est un homme qui apprécie l'esthétique et prend son temps pour bien consommer», décrit Jocelyn Bellemare, professeur à l'École supérieure de mode de l'UQAM. Il est le Don Draper (personnage vedette de la série Mad Men) d'une époque contemporaine, un Humphrey Bogart des temps modernes.

«Ce n'est plus le fait d'être père de famille ou pourvoyeur qui définit un homme, signale Marc Lafrance, professeur adjoint de sociologie à l'Université Concordia. Ce sont plutôt les pratiques de consommation qui lui permettent d'arborer une certaine image.» Chaque mode renvoie à une façon de vivre et à un grand mouvement de société: l'avenir nous semblant incertain, on se tourne aujourd'hui vers le passé, pense Mariette Julien, professeure à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM.

Bien sûr, le rétrosexuel pur et dur ne court pas nécessairement les rues. Il est plutôt l'archétype d'un segment de la population masculine en émergence, détecté par l'industrie du marketing, une représentation des tendances qui opèrent sur l'identité masculine.

Sociotype: «Segment de la population défini en fonction de sa personnalité, de ses habitudes de vie et de sa consommation.»

À l'heure de la masculinité multiple

Dans les dernières décennies, l'industrie du marketing a dû affûter son radar pour tenter de cibler les hommes au rythme de leurs transformations. Les bouleversements de la révolution sexuelle amorcée dans les années 70 ont forcé une redéfinition de la masculinité, souvent en fonction des attentes des femmes.

«Avant, le rôle de l'homme était simple: il était le père de famille, le pourvoyeur, le protecteur, celui qui amenait les sous. Du jour au lendemain, cette image a été ébranlée et la définition même de l'homme a changé», raconte Dominic Tremblay, président de l'agence de publicité Tuxedo.

Plusieurs représentations masculines se côtoient aujourd'hui, chacune décrivant un homme idéalisé, inatteignable pour la plupart des hommes. «On est à une époque de masculinité multiple qui entraîne la confusion. Pour moi, cette multiplicité est un moment privilégié pour l'homme de se redéfinir», pense Marc Lafrance.

«Nos grand-mères voulaient un homme propre, nos mères, un homme responsable. Dans les années 80, on a cherché plutôt des hommes camarades. Ensuite, on les a voulus beaux», analyse Mariette Julien. L'übersexuel, apparu dans les années 2000, marque une césure avec ses prédécesseurs. «Il est clairement une redéfinition de l'homme par rapport à ses propres goûts et non seulement en relation avec la femme. Il fait attention à lui, mais pas à la manière d'une femme», signale Dominic Tremblay. Avec lui se posent de nouvelles questions: qu'est-ce qu'un homme? De quoi a-t-il besoin? Quels sont ses envies et ses goûts?

Les héritiers de l'übersexuel

C'est dans cette volonté de se définir lui-même que le rétrosexuel s'intéresse à l'homme viril des années 50 ou 60, celui qui prenait le soin de bien s'habiller et le temps de se raser, et qui assumait sa «différence» sans demander l'avis de personne!

«L'homme de l'époque le faisait parce que c'était comme ça, parce que l'État ou la religion en avait décidé ainsi. Aujourd'hui, on a le choix. Ce n'est plus ton rôle qui définit qui tu es ou le fait d'être un homme ou une femme - tout cela est rendu secondaire -, ce sont tes envies. En premier, tu es un individu», souligne Dominic Tremblay. Et dans sa quête d'authenticité, l'individu aurait pris plus de valeur que la communauté, selon Mariette Julien. «Tout le monde a l'illusion que ses choix sont tout à fait personnels.» Mais certains mouvements opèrent...

Effet de balancier, l'hyperconnexion et l'hyperconsommation créent tout un groupe de gens qui déconnectent ou qui recherchent la qualité et la lenteur. Chez les millenials ou génération Y, il y a une recherche de vérité et on peut s'attendre à voir ce mouvement s'accentuer dans les prochaines années, selon Jocelyn Bellemare. «Dans la lignée du ''slow wear'', des rétrosexuels et des hipsters, il y a une sensibilisation à la consommation durable: on veut avoir moins de produits, avoir mieux, avoir des produits qui sont adaptés, qui sont écoresponsables.» Plusieurs se tournent vers les marchés locaux, le bio, les petites boutiques. Il y a aussi un retour à la nature et un désir d'indépendance par rapport à la consommation, qui s'expriment notamment dans l'habitation: on se tourne vers les panneaux solaires, on fait son propre jardin...

En parallèle, il y a ces hommes qui n'ont pas connu la période pré-internet: ils sont hyperconnectés et leur «flexibilité» est un mode de vie, a analysé Emma Fric, directrice de recherche et prévision du cabinet Perclers Paris, pour l'Agence France-Presse. Ils ont grandi avec les jeux vidéo et veulent s'amuser comme consommateurs. Leurs goûts sont multiples.

Tous ces groupes d'individus émergents sont actuellement sur le radar des publicitaires et des sociologues. Si chaque homme est le fruit de son époque et penche donc pour un sociotype plus que pour l'autre, il est rarement tout l'un ou tout l'autre, ce qui fait naître d'autres segments, d'autres nuances, qui ne manqueront pas d'être scrutés à la loupe!

DÉFINIR LES HOMMES, UN SEGMENT À LA FOIS

Segmenter la population et la nommer en fonction de ses habitudes de vie et de consommation ne date pas d'hier: «Cela permet de mieux comprendre des groupes de la population, pour mieux les cibler avec des produits, notamment. Des milliers d'» étiquettes «naissent ainsi chaque année», explique Jocelyn Bellemare, professeur à l'École supérieure de mode de l'UQAM.

Du lot, certaines finissent par percer et par s'inscrire dans la culture populaire parce qu'elles sont médiatisées. C'est le cas des termes métrosexuels ou übersexuels, par exemple, apparus dans les dernières décennies.

Les nouveaux sociotypes voient le jour au gré des campagnes publicitaires, des besoins en marketing et des observations des sociologues ou des gens des médias. ll y a autant de segments que de gens pour segmenter le marché, selon le publicitaire Dominic Tremblay. Et chacun y va de ses propres interprétations.

Facteur aidant, la technologie permet aujourd'hui de faire des corrélations plus précises entre les individus en fonction de leur personnalité, de leurs goûts et de leurs habitudes de vie. L'internet a grandement raffiné les méthodes. Plus on commence à vendre sur le web, plus on a de données, plus on arrive à regrouper, à prévoir, à cibler des individus.

Par ailleurs, chez les jeunes qui n'ont pas connu la révolution sexuelle et qui sont exposés à des rôles masculins et féminins complètement explosés, il y a de plus en plus de possibilités de se définir. «Tu décides qui tu veux être et tu vas l'être. Ça va donc aller en s'accélérant. Il y aura de plus en plus de types d'individus, ça va être intéressant à suivre», ajoute Dominic Tremblay.