Oubliez les voiles sombres et oppressants. L'univers du hijab est loin d'être aussi triste que certains veulent bien le croire. Paillettes, couleurs vives, bling-bling...De Los Angeles à Jakarta, l'industrie de la mode musulmane est en pleine expansion. Parfois au grand dam des imams.

Reine sort doucement les foulards de son sac. Les déplie. Les exhibe à la demande du journaliste.

Il y en a de toutes sortes. Des gris, des rouge vif, des orange avec des motifs. C'est très coloré. Puis, elle ouvre une petite boîte. Dedans, il y a des broches, des épingles, des bracelets et même un pendentif en forme de coeur.

« J'ai ce qu'il faut pour toutes les situations, explique la jeune Montréalaise d'origine libanaise. Ça dépend de mon humeur et de ce que je porte. L'important, c'est que ça "matche" avec les autres morceaux!»

Reine Jeha, 19 ans, est étudiante en sciences infirmières. Elle est aussi ce qu'on pourrait appeler une « hijabista » : elle est de confession musulmane, mais ça ne l'empêche pas d'aimer le style et le beau linge! 

« Le voile fait partie de mes croyances, explique Reine en repliant soigneusement ses foulards. Mais c'est aussi un signe de ma personnalité. Je prends soin de mon foulard comme d'autres prendraient soin de leurs cheveux. Pour moi, la mode n'a pas de religion. »

Un phénomène en hausse

Contraction des termes « hijab » et « fashionista », le terme « hijabista » désigne cette nouvelle génération de femmes musulmanes pour qui le glamour et la modestie de l'islam ne sont pas incompatibles.

Très peu pour elles, le monochrome, les couleurs sombres et les tchadors oppressants sortis de la révolution iranienne. Chez elles, le hijab se porte plus « lousse », à grands coups de motifs flyés, de couleurs flamboyantes, de bijoux et d'accessoires bling bling. Il ne s'achète pas dans les boutiques islamiques spécialisées, mais chez Zara, H&M ou Dynamite. Et se porte avec des vêtements cool et sexy. Elle sont tellement coquettes que certains les ont surnommées les « hijab babes ».

« Ce sont des filles avec un mode de vie cosmopolite, qui veulent vivre leur modernité tout en restant fidèles à leur foi, résume Glynis Jones, qui vient de monter une exposition sur le sujet (Faithe Fashion Fusion) à Melbourne, en Australie. C'est une approche plus progressiste de la religion. »

Depuis deux ans, les médias internationaux se braquent sur Jakarta, nouvelle Mecque de la mode islamique (voir autre texte). Même engouement sur le web, où les blogues spécialisés et les pages Facebook se multiplient. Sur Instagram, les « hijabistas » partagent des photos de leur OOTD (outfit of the day : le look du jour). YouTube propose des tas de vidéos pour apprendre à nouer son foulard selon la dernière mode. Sans oublier les magazines qui se consacrent uniquement à la mode musulmane, comme ÂlâModestyle ou Hijabista magazine.

À la limite de l'acceptable...

La dernière tendance mode? Tout dépend de la personne et de la région du globe, fait valoir Melanie Elturk, designer et responsable du blogue américain Haute Hijab. « Il y a autant de façons de porter le foulard qu'il y a de filles différentes. Il y a les preppy, les bohèmes, les glam... De notre côté, les hijabs à pois, à rayures et à motif léopards sont ceux qu'on a le plus vendus cette année.»

D'autres tendances, plus audacieuses, jouent à la frontière de ce qui est permis ou non par le Coran. On pense entre autres au hijab en forme de turban, porté à l'africaine, de plus en plus populaire chez les jeunes femmes.

Cette nouvelle coiffe est vraiment révolutionnaire parce qu'elle permet de montrer ses boucles d'oreilles et de dégager le cou. Mais elle ne plaît pas trop aux esprits conservateurs, qui la jugent à la limite de l'acceptable.

Certaines femmes, comme la chanteuse malaisienne Yuna, contournent la règle en portant un col roulé ou un foulard autour du cou (découvrez la vidéo ici). D'autres, comme la femme de l'émir du Qatar, Sheikha Mozah, gardent le cou dégagé, en toute impunité.

Venu du Koweït, le « khaleedji » fait aussi beaucoup jaser. Cette pince à volume en forme de fleur se porte à l'arrière de la tête, sous le foulard, pour donner l'impression d'un immense chignon de cheveux noués. Certains imams ont comparé ce look à des bosses de chameau disgracieuses. Mais en vain. Le « shambassa pouf » (l'autre nom qu'on lui donne!) a proliféré dans tout le monde musulman.

Mode contre modestie

Décidément, tous ces croisements ne manquent pas de paradoxes. D'un côté, il faut couvrir tout le corps et rester « modeste ». De l'autre, il y a ce désir légitime de beauté et de coquetterie féminine.

D'où l'inévitable question : jusqu'où peut-on repousser les limites du Coran? Mode et modestie sont-elles vraiment compatibles? 

Pourquoi pas, répond Jana Kossaibati, auteure du blogue britannique Hijab style. S'il est vrai, dit-elle, que « le hijab implique un certain code de conduite, l'islam ne précise rien sur le plan de la couleur, des styles ou des bijoux. Contrairement à la croyance populaire, le foulard n'est pas fait pour rendre la femme moins visible ».

« C'est une question complexe, nuance pour sa part Melanie Elturk, de Haute hijab. Est-ce que certaines femmes sont excessives et trop flamboyantes? Oui. Mais, tout dépend du pays où on habite et de son niveau de religiosité. Porter des couleurs vives aux États-Unis, par exemple, n'aura pas le même impact qu'en Arabie saoudite. »

Difficile de savoir jusqu'où ira cette émancipation du code vestimentaire musulman. Verra-t-on bientôt des foulards en cuir, en fourrure ou en latex? Voire des niqabs ou des burqas avec des motifs Gucci ou Louis-Vuitton ?

En attendant, qui sait si le phénomène n'aura pas d'impact sur le rapprochement entre l'Occident et le monde musulman. En proposant une image moderne et funky de l'islam, les « hijabistas » pourraient devenir un pont entre deux cultures trop souvent opposées.

« Le voile est la première impression qu'on dégage, souligne Manar Jaber, jeune Montréalo-Syrienne de 21 ans qui a choisi de porter le hijab même si sa mère n'en porte pas. Tant mieux si l'élégance et la couleur font sourire les gens. C'est plutôt positif. »

Photo fournie par Haute Hijab

Une mode à part entière, traversée des mêmes inspirations et du même goût du style.