Oubliez les broches à tricoter et les pelotes de laine qui traînent au pied d'une chaise berçante! Breed, c'est le tricot dans sa version moderne, avec des mailles aussi douillettes et enveloppantes que celles d'une création signée maman.

Dans le local, des tricots molletonnés s'amoncellent sur le coin d'une table: bonnets de style marin, pulls chauds, vestes à motifs, larges foulards en tricot jersey... Autant de vêtements doudous conçus par elles, pour lui.

«Elles», ce sont deux designers: Ariane Michaud, spécialiste de la mode masculine, et Frédérique Sarrazin, ancienne étudiante en tricot au Centre des textiles contemporains. De l'amalgame de leurs compétences respectives est née cette petite entreprise spécialisée dans le tricot pour hommes, joyeuse association animée d'une bonne dose de détermination!

Leur rencontre remonte à quelques années. Frédérique avait sa propre société de tricot et exécutait des créations pour d'autres marques, tandis qu'Ariane travaillait comme designer de mode pour un autre créateur. Dans un creux de vague, les deux amies ont décidé d'unir leurs forces. «Ça nous est arrivé comme une révélation. Personne ne fait du tricot essentiellement pour hommes, à Montréal. On rejoint une clientèle qui tourne en rond depuis des années dans les boutiques, à la recherche de quelque chose de plus unique», disent-elles.

Sobre sans être banal

Unique, oui, mais sans fioritures inutiles. «Ce qui est bien avec le vêtement pour hommes, c'est qu'on n'a pas besoin de faire dans le flafla pour se démarquer. Notre client est assez classique. On veut juste le rendre beau!» La pointe d'originalité se manifeste dans les détails: le choix des couleurs- l'utilisation de l'or et du paprika dans la dernière collection, par exemple- ou celui des motifs.

«On ne réinvente pas la garde-robe masculine, mais on tente de lui donner un edge. Les gars ne changent pas de garde-robe tout le temps. Ils sont prêts à payer plus cher pour un vêtement qu'ils garderont longtemps», dit Ariane. Leurs créations 100% laine mérinos restent relativement sobres et décontractées, tout en étant assez chics pour être portées au bureau. «Quand j'ai décidé d'étudier en mode, je voulais faire des vêtements pratiques, pas juste esthétiques. J'aime bien le design minimaliste.»

C'est d'ailleurs dans l'architecture que les deux designers puisent une partie de leur inspiration. «Je ne lis aucun magazine de mode, que des magazines de design industriel, confie Frédérique. Moi, je travaille les structures. Le tricot, c'est du 3D. Sur ce plan, l'architecture me rejoint davantage. Elle peut être revue à travers le vêtement.»

Comme du fait-main

Sur un grand babillard, Frédérique et Ariane ont épinglé d'autres pistes de création: des photos de bateaux, des scènes de pêche... Toujours aucun signe de broche à tricoter dans les parages - «on ne sait même pas comment faire», lance l'une d'elles -, mais on trouve des bobines de laine de plusieurs couleurs et des machines semblables à des métiers à tisser. C'est sur ces appareils qu'elles créent leurs prototypes. Ceux-ci sont ensuite envoyés en industrie pour revenir en pièces détachées. Le travail d'assemblage reprend alors sur place où tout est assemblé à la main avec minutie.

L'ensemble du processus est réalisé à Montréal, avec des moyens modestes. Le fil, 100% mérinos, provient d'Italie et représente la moitié du prix du vêtement, ce qui explique le prix des créations (entre 290 et 625$ pour un chandail). Comment survivre dans un marché compétitif et dans un contexte de mondialisation? «Quand on est habitué de magasiner chez H&M ou Urban Outfitters et que l'idée qu'on se fait d'un prix raisonnable pour une veste, c'est 60$, on trouve qu'un tricot à 375$, ça n'a pas de bon sens! Notre compétition, ce n'est pas les designers québécois, c'est Simons et toutes les autres grandes chaînes qui font des pulls de toutes les couleurs à bas prix.»

Pour se démarquer, les designers de Breed misent sur la durabilité, la qualité et le côté unique de leurs créations. Sur la douceur et le côté hypoallergène de leurs fibres aussi. «De toute façon, on ne produit pas pour rejoindre tout le monde; on n'en a pas les moyens!» Et on comprend à les écouter que rien ne peut pour l'instant les faire dévier de leurs objectifs.

Il faut dire qu'elles ont un autre atout en poche: le fait d'être deux. «On se fait vraiment confiance. Ce que je ne veux pas faire, Ariane saute dedans. Et inversement. Mais on se rejoint sur les grandes lignes et le design», dit Frédérique.

Une fois les heures de travail terminées, les deux collègues se retrouvent bien souvent à la maison, autour d'un repas avec leurs enfants respectifs. Partenaires d'affaires, voisines de bureau comme de domicile, les deux amies ont entremêlé leurs vies comme deux mailles tricotées serré.