Il était une fois un crapaud-buffle, déclaré catastrophe écologique en Australie, qu'une bonne fée polonaise décida de métamorphoser en précieux accessoire de mode vendu aux quatre coins de la planète.

Cette histoire, qui a tout d'un conte de fées moderne écrit à plusieurs mains, entre Cairns (nord-est de l'Australie), Paris et Millau (Aveyron), suscite autant l'engouement des hommes que celui des femmes qui portent la peau du batracien teinté en fuchsia, bleu turquoise, jaune curry ou vert vif, en bracelet, ceinture, sautoir, porte-monnaie, sac ou minaudière.

Même les plus classiques ont troqué l'or et les perles pour cet hypnotique grigri des temps modernes, au cuir fragile et dont les yeux sont remplacés par des cristaux ou des pierres semi-précieuses.

Tout commence à Paris il y a près de trois ans. «Un ami m'avait offert une petite grenouille néozélandaise porte-bonheur empaillée qui me dégoûtait, mais a fini par me fasciner», raconte l'instigatrice de cette métamorphose, Monika Jarosz, 35 ans, installée dans une ancienne laiterie de Belleville.

Arrivée en France il y a 12 ans, d'Ostrowiec Swietokrzyskie en Pologne, cette jeune femme brune au teint pâle a débuté dans le mannequinat avant de faire ses débuts comme styliste.

«Sorcellerie»

«Plus je touchais la grenouille et plus l'idée de créer quelque chose de très fort comme un bijou a pris forme. Mais j'adore les animaux et il fallait que ce soit de la récupération», ajoute-t-elle.

Monika s'adresse alors à des restaurants cuisinant des cuisses de grenouille... en vain. Puis elle découvre l'existence d'un crapaud-buffle venimeux provenant d'Amérique du Sud, introduit en Océanie il y a plusieurs décennies pour y détruire les coléoptères. Il a tellement proliféré et muté que les défenseurs de l'environnement se joignent aujourd'hui à l'armée australienne pour capturer et tuer le batracien devenu nuisible à l'écosystème.

Avec l'aide d'un taxidermiste de Cairns, la créatrice récupère les dépouilles «dont le traitement nécessite 14 étapes avant de pouvoir les teindre et les travailler».

C'est dans un atelier de maroquinerie de luxe de Romainville, en banlieue parisienne, qu'entre les mains d'Hacen, de Fafa et de Béja, les crapauds deviennent sacs, porte-monnaie ou ceinture de luxe, fabriqués à la main et «made in France».

Auparavant, ils sont teints à Millau, à la mégisserie (tannerie de petites peaux) Alric, spécialisée dans la coloration des peaux d'agneau.

«Lorsque j'ai appelé Jean-Charles Duchêne (patron de la mégisserie) pour un devis, il a cru à une blague», raconte Monika.

M. Duchêne, qui travaille avec les maisons de luxe françaises et européennes, comprend qu'il va devoir «apprivoiser la bête».

«J'ai été surpris, mais ses créations ont plu et j'ai voulu l'aider. C'était un challenge à relever, car on a dû s'adapter à la matière», explique-t-il. «Le crapaud est plus dense que l'agneau, le colorant se fixe plus vite et il en faut moins».

Symbole de fertilité et de prospérité, «le crapaud est aussi lié à la sorcellerie», rappelle Monika en triant une centaine de crapauds desséchés et tannés qui viennent d'arriver d'Australie. Elle réexpédiera à Millau ces sortes de mini-carpettes de 10 à 20 cm de long, gris pâle, où trônent les têtes comme celles de tigres.

«Je ne mise pas sur le gothique, ce qui m'intéresse c'est le conte de fées, le crapaud qui se transforme en prince charmant...», assure-t-elle en embrassant l'un des batraciens turquoise, transformé en porte-monnaie.

Celui-ci coûte entre 220 et 250 euros selon le pays où il est vendu (Japon, États-Unis, Chine, France, Allemagne), un grand sac, 1200 euros.

Après un galop d'essai dans une galerie d'art, Monika a lancé sa marque, Kobja (verlan de l'affectueux ''petite grenouille'' polonais).

Vendus dans des boutiques de luxe ou concept stores à Tokyo, Pékin, New York, Paris et Berlin, les crapauds buffle ont acquis un statut «d'objets fétiches».

Certains de leurs propriétaires, parmi lesquels des célébrités donnent régulièrement à Monika des nouvelles de leurs «Sacha» et «Rosa».

PHOTO FRANCOIS GUILLOT, AFP

La designer, Monika Jarosz.

PHOTO FRANCOIS GUILLOT, AFP