Le directeur artistique américain Marc Jacobs quitte Louis Vuitton après 16 ans passés à réinventer le malletier français pour en faire la marque la plus rentable du numéro un mondial du luxe LVMH.

Confirmée mercredi à la «bible» de la mode, le quotidien américain Women's Wear Daily (WWD), par le PDG de LVMH Bernard Arnault, Marc Jacobs lui-même et son associé de longue date Robert Duffy, la nouvelle est tombée quelques minutes après le défilé Vuitton à Paris.

«Je ne dis jamais adieu», a lancé Marc Jacobs après le défilé. Pourtant le défilé ne laissait pas le doute planer. Dans une note aux invités, il remerciait les femmes qui l'ont inspiré, d'Edith Piaf à Kate Moss, son entourage, ainsi que Robert Duffy et Bernard Arnault. Le décor rappelait de précédents défilés.

Marc Jacobs, 50 ans, était depuis 16 ans aux commandes de Louis Vuitton, une longévité rare dans le milieu de la mode. Il a fait entrer le malletier-maroquinier dans le prêt-à-porter, réinventant la marque et séduisant le lucratif marché asiatique.

À elle seule, la marque célèbre pour ses sacs et sa toile aux célèbres initiales LV, pèse aujourd'hui près de 7,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires, soit plus du double de l'italien Gucci (3,6 milliards en 2012), propriété du concurrent Kering (ex-PPR). Elle a décuplé ses ventes en une décennie.

Le contrat de Marc Jacobs, arrivé chez Vuitton en 1997, devait expirer dans quelques semaines. Il avait jusque-là toujours été poursuivi dans l'intérêt commun du styliste, de Vuitton et de la maison mère LVMH. Mais le dernier contrat n'avait été conclu que pour une année, selon une source interrogée par l'AFP.

Son départ faisait l'objet de rumeurs persistantes depuis des mois. On disait que son duo avec le patron de Vuitton Michael Burke, arrivé en décembre 2012, ne fonctionnait pas aussi bien que celui qu'il avait formé avec Yves Carcelle, dirigeant de la marque pendant 22 ans.

Selon WWD, Marc Jacobs quitte Vuitton pour mieux s'occuper de ses affaires et préparer l'introduction en bourse de sa propre marque, qui défile à New York. Elle est détenue en partie par LVMH, Robert Duffy et le designer lui-même.

Dans une interview à WWD, M. Arnault a expliqué qu'il aurait été «extrêmement difficile» pour Marc Jacobs de conserver ses fonctions chez Vuitton dans la perspective d'une mise en Bourse de sa marque sur le marché américain, car un tel projet «implique beaucoup d'investissement».

Le successeur de Marc Jacobs n'a pas été nommé. «Aucune décision n'a été prise», selon WWD. Des rumeurs avancent cependant, depuis des semaines, le nom du designer Nicolas Ghesquière, parti de Balenciaga (groupe Kering) en novembre 2012 après 15 ans de collaboration.

«Cygne noir»

Objectif: impulser un nouveau souffle et peaufiner une image plus sophistiquée pour Louis Vuitton, avec des produits en cuir de «la plus haute qualité», afin d'éviter une banalisation.

La maison vient d'annoncer le recrutement d'un styliste italo-canadien, Darren Spaziani, qui s'occupera «principalement» de développer de nouvelles lignes de maroquinerie en cuir.

Mercredi matin, Marc Jacobs a eu droit à une ovation à la fin du défilé. «C'était magnifique» s'est exclamée la réalisatrice et amie du designer, Sofia Coppola, qui a récemment revisité un sac Louis Vuitton.

La collection était entièrement noire, tout comme le décor. Le premier mannequin a défilé nu, avec les mentions «Louis Vuitton» et «Paris», écrites en gros sur le corps, rappelant la ligne de sacs que Marc Jacobs avait créé avec l'artiste Stephen Sprouse. Les mannequins étaient coiffées d'immenses plumes noires. Plumes, broderies, dentelle sont omniprésentes dans cette dernière collection qui célèbre le corps féminin, tout en transparence.

«C'était le défilé le plus impressionnant que j'aie vu chez Vuitton. Et je les ai tous vus depuis que Marc Jacobs est chez Vuitton!», a dit à l'AFP Mikiko Kashiwagi, une Japonaise, cliente inconditionnelle de Vuitton. «J'aime Louis Vuitton, c'est ma marque préférée. Le défilé aujourd'hui avait l'air d'un défilé ''Black Swan'', avec toutes ces plumes et ce noir. Et c'est comme si le cygne disait au revoir et s'en allait...», a noté cette propriétaire d'une société internet.

Nicolas Ghesquière attendu chez Vuitton pour succéder à Marc Jacobs

Le recrutement de Nicolas Ghesquière, ex-Balenciaga, pour succéder à Marc Jacobs à la tête de la création de Louis Vuitton est bien en cours, a confirmé mercredi à l'AFP une source interne au groupe LVMH.

«Effectivement, c'était le dernier défilé de Marc Jacobs aujourd'hui. Il quitte la création de Vuitton pour se consacrer à 100% à la marque Marc Jacobs avec la volonté de LVMH d'accéler le développement de cette marque», a indiqué cette source.

«Et oui, l'arrivée de Nicolas Ghesquière pour le remplacer semble logique», a confirmé cette source, sans pouvoir dire toutefois si le contrat était ou non déjà finalisé avec l'ancien styliste de Balenciaga (groupe Kering).

Le marché estime désormais à près de 700 millions d'euros les ventes de Marc Jacobs, assorties d'une belle marge opérationnelle.

Nicolas Ghesquière a passé 15 ans chez Balenciaga, avant de quitter subitement son poste et le groupe Kering en novembre dernier. Il est depuis en litige avec Kering, qui lui reproche d'être sorti de son devoir de réserve lors de propos tenus en interview après son départ.

Marc Jacobs, le créateur new-yorkais qui a réinventé Vuitton

Malgré son image de star iconoclaste de la mode, l'Américain Marc Jacobs, beau brun de 50 ans, a su mener tambour battant une carrière chez Vuitton et sous sa propre marque, de quoi lui permettre aujourd'hui d'espérer entrer en bourse.

Cheveux courts, barbe de trois jours et physique musclé, le designer hante les pages people des magazines du monde entier, une célébrité conquise après seize ans passés à la direction artistique de Vuitton.

Sa longévité auprès de la première marque de luxe au monde, poule aux oeufs d'or du géant du luxe LVMH, restera exceptionnelle dans l'univers de la mode.

Né en 1963 au sein d'une famille aisée de New York, où il étudie à la prestigieuse Parsons School, Marc Jacobs est devenu très jeune une légende.

Sa collection de fin d'études composée de pulls extra-large tricotés main avec des «smileys» aux couleurs pop séduit le financier Robert Duffy. Il lancera la marque Marc Jacobs avec le créateur et reste aujourd'hui son partenaire en affaires et son confident.

Élevé, après le décès de son père, par sa grand-mère qui lui a donné le goût de la mode, Marc Jacobs signe en 1986 sa première collection sous son nom. L'année suivante, il est désigné «nouveau talent de l'année» par le très influent Council of fashion designers of America (CFDA).

Il travaille brièvement avec la marque Perry Ellis, pour laquelle il crée en 1989 une collection inspirée d'un mouvement émergent, le «grunge». Elle fait scandale et lui vaut son licenciement.

Un coup médiatique qui le rend définitivement célèbre. Les rédactrices de mode s'arrachent ce créateur prometteur. En 1992, le CFDA lui attribue même le prix du styliste pour femmes de l'année.

Malgré cette ascension fulgurante, on le décrit souvent dans son entourage comme fragile, manquant parfois de confiance en lui.

Funk, trash et chic

En 1994, Marc Jacobs présente une collection énergique qu'il décrit comme «un peu funk, un peu trash et un peu chic», résumant assez bien son style de l'époque. Il impose aussi son goût de ce qui ne s'appelle pas encore le «vintage», incluant des pièces inusables dans des tenues au look décontracté.

Repéré par Bernard Arnault, PDG de LVMH, il arrive chez Vuitton en 1997. Sa mission: lancer dans le prêt-à-porter le célèbre malletier-maroquinier, fondé presque un siècle et demi plus tôt.

Pour le premier défilé féminin, en mars 1998, les mannequins se présentent à la stupéfaction générale sans le moindre sac. Très vite, il donne un sérieux coup de jeune à la marque. Souvent entouré de grands noms du monde de l'art, notamment Richard Prince ou Takashi Murakami, il réinterprète le célèbre monogramme. Les sacs s'arrachent dans le monde entier.

Dans le prêt-à-porter, les collections se suivent et ne se ressemblent pas, tout en restant luxueuses. En septembre 2012, il présente des silhouettes tout en damier, l'une des toiles les plus connues et anciennes de Louis Vuitton, qu'il colore en jaune citron et vert mousse. La saison suivante, la collection est rétro-chic, tout en soie, satin et plumes, avec beaucoup de gris.

Sa propre marque, qui défile à New York, fait également un tabac. En 2001, il a créé une deuxième ligne, «Marc by Marc Jacobs», suivie de collections pour enfants, de lunettes et même un parfum, Daisy, en 2007.

Il a lancé récemment une ligne cosmétique distribuée dans les magasins Sephora, propriété de LVMH.

Le rythme infernal de l'enchaînement des collections aura des effets sur sa vie personnelle: après une première cure de désintoxication en 2000, il recommence à consommer drogue et alcool, et doit subir une deuxième cure en mars 2007, au lendemain d'un défilé Vuitton à Paris.

C'est désormais à un projet d'introduction en Bourse de la marque Marc Jacobs qu'il entend se consacrer. Il n'en aura pour autant pas fini avec LVMH: la marque est détenue en partie par le groupe de luxe, aux côtés du styliste américain et de son associé Robert Duffy.

PHOTO BENOIT TESSIER, REUTERS