Elle a créé une griffe «écoluxe» bien avant qu'on comprenne le sens du terme. Visite à l'atelier de Mariouche Gagné

Pour entrer au pied de la lettre dans la bulle de la designer des fourrures et autres matières nobles recyclées Harricana, il aurait fallu la suivre jusqu'au lac Canitchez, en Mauricie. Dans sa cabane au fond des bois sans eau ni électricité. Il aurait fallu capter les espaces vastes et immaculés du Grand Nord canadien, les rochers tapissés de lichen. La nature à l'état sauvage, forte. L'hiver. Rien qui se laisse domestiquer.

L'atelier-boutique et économusée de la rue Saint-Antoine Ouest où elle nous reçoit a des allures de poste de traite. Au-dessus de nos têtes sont suspendues, en dégradé de couleurs, les peaux de ratons laveurs, renards et coyotes qui deviendront chapkas, cache-oreilles, cols, sacs et manteaux de fourrure. Le repaire de Mariouche Gagné et de ses artisans ressemble à une ruche. « Ici, je suis constamment sollicitée. La création, elle se fait en dehors. J'accumule, puis je pars faire le vide, je m'isole. Là-bas, je laisse aller les forces de la nature. Ce sont dans ces conditions que naissent mes collections. À la fin de ma retraite, je rapatrie tout en ville. »

Mariouche Gagné est un esprit libre. Longtemps, cette pilote d'avion, conductrice de voilier et coureuse des bois (dans une vie antérieure, assurément) s'est sentie écartelée entre son rôle de femme d'affaires et sa grande soif d'air pur, d'horizon. Puis, elle a compris qu'on n'est jamais figé dans de petites cases. Qu'on ne peut se « dénaturer ». « Et que j'ai besoin de ces deux niveaux d'énergie », poursuit-elle.

Avant de fonder Harricana, en 1993, elle s'imaginait dessiner des vêtements d'extérieur pratiques et durables, pour des marques comme Patagonia ou Chlorophylle. À ses yeux, le « beau » avait une connotation frivole, comme s'il sonnait creux. Plutôt qu'un moyen d'expression, qu'un art, pour la finissante du Collège LaSalle aux idées de grandeur, la mode était, et continue d'être, une prise de parole qui vient avec des responsabilités. Du point de vue de l'environnement surtout.

L'année de la création de son entreprise, elle rafle le deuxième prix d'un concours parrainé par le Conseil canadien de la fourrure en 1993, en Italie. Ce sentiment d'étrangeté, de faire les choses différemment, s'estompe. Le filon trouvé par la transformation du vieux vison de sa mère la convainc qu'il est possible de faire une mode à la fois engagée, chic et féminine. « Sans jamais tomber dans la fourrure snob, hiérarchique, dans l'ostentatoire. Même si ce n'est pas donné, j'ai la volonté que mon travail reste accessible. » Vingt ans plus tard, Harricana a réutilisé au-delà de 80 000 manteaux de fourrure.

Joli coup du destin, ce premier concours de jeunes créateurs avait pour thème le sport et la fourrure, et elle vient de mettre la dernière main à une collection d'une trentaine de pièces, très techniques, entièrement signées Harricana, en collaboration avec la marque française d'équipements et de vêtements de ski alpin Rossignol.

À l'origine de cette collection, une histoire d'amour entre un skieur et une Inuite, et des tenues qu'ils composeraient s'ils troquaient leurs vêtements respectifs.

Pour entrer dans la bulle de Mariouche Gagné, il faut aussi savoir interpréter les légendes.

PARFUM

Harricana a maintenant son parfum, en vente depuis le début du mois de décembre à la maison mère, dans le quartier Saint-Henri. Sa composition n'étonnera personne. Notes de tête: galbanum, feuilles d'épinards, sapin baumier, bergamote, basilic. Notes de coeur: iris, thé vert et jasmin. Notes de fond: vétiver, santal, mousse de chêne, résines, peaux... La forêt boréale dans un flacon.