À ce jour, Simon Johns s'est fait bien discret. Il n'a jamais fréquenté les salons de design. Son travail a été peu publicisé - voire pas du tout. Pas plus qu'en boutique on ne trouve, pour l'instant, le mobilier d'édition limitée qui porte sa griffe. Récit d'une découverte.

C'est plus exactement, une découverte en deux temps.

D'abord, à l'Alexandraplatz, situé dans le secteur industriel au croisement du Mile End et de Parc-Extension, aussi appelé Marconi-Alexandra. Dans cette brasserie éphémère en plein air, le bar attire l'attention. Il est fabriqué à partir de lattes de pruche incendiées, espacées de quelques millimètres pour laisser filtrer la lumière, et de lourdes planches de pin rouge récupérées sur un chantier de démolition à Montréal.

Ensuite, au restaurant Accords, sis rue Notre-Dame Ouest, dont le décor a été pensé par Karim Charlebois-Zariffa. À l'intérieur trônent en reines deux imposantes tables communales qui peuvent accueillir une douzaine de convives et dont les pattes se croisent en X. Elles ont été construites à partir de tiges d'acier et de quatre planches de bois centenaire, massif. Sur aucune d'entre elles, les empreintes laissées par les années et les attaques des termites n'ont été altérées.

D'Alexandraplatz à Accords, un point commun: le designer Simon Johns. Et de l'un à l'autre, une signature: des meubles aux formes pures, réalisés avec des matériaux bruts ou anciens dont les imperfections naturelles, plutôt que camouflées, sont rehaussées, mises en valeur.

Nous l'avons retrouvé à Bolton-Est, dans la vallée de la Missisquoi, à deux pas de la rivière qui porte le même nom. C'est là que ce natif de North Hatley, de parents d'origine anglaise, titulaire d'un baccalauréat en arts visuels de l'Université Concordia, a décidé de s'établir et d'ériger le grand bâtiment qui lui sert d'atelier. Autrefois ramassé au hasard des chantiers de Saint-Henri et d'Hochelaga, le bois qu'il récupère et entrepose provient aujourd'hui principalement des granges démolies dans la région. De la pruche surtout, parfois du cèdre blanc, pour les meubles à l'aspect plus neuf, plus léché.

Ce travail du matériau «tel quel» lui a été inspiré par son oncle, le céramiste Don Goddard, à qui il doit aussi le contrat qui a lancé sa carrière, chez Woolrich Canada. Très tôt, ces poteries, qui ont la singularité de donner à voir les traces des mains de l'artisan, le fascinent. De fait, ses propres pièces traduisent une volonté de conserver intacte «la vie» de ces planches, les vestiges de l'oxydation et du temps, sur lesquelles il intervient uniquement en surface dans le but de les rendre moins imposantes, plus raffinées.

Le résultat qui en découle exprime une «simplicité par exprès», comme l'explique Simon Johns: «Je travaille avec des morceaux que je trouve beaux en soi, et qui sont dès le départ tellement chargés d'histoire...» Ainsi, il maintient cette tension entre les formes simples, épurées, presque naïves de ses meubles et le côté brut, rustique, chaleureux des madriers. En témoignent ses tables «d'à côté» (de chevet), cubiques, dont les pattes, taillées dans des troncs de bouleaux, ressemblent aux pattes effilées d'un chevreuil...

L'originalité de son travail vient aussi d'un savoir-faire qu'il est l'un des seuls à maîtriser au Québec, adapté du yaki-sugi. Cette technique traditionnelle japonaise, qui trouve des échos dans l'architecture contemporaine chez Terunobu Fujimori, entre autres, consiste à torréfier des planches de cèdre. Cela a pour effet de décupler leur résistance au feu, à la moisissure et aux insectes. Cette méthode, Simon Johns l'emprunte davantage pour ses qualités esthétiques. Car le bois brûlé ressort de son passage sous la flamme complètement noirci, avant qu'un mélange de poussière de charbon et de vernis transparent finisse d'uniformiser la couleur. L'effet est saisissant.

Pour un panorama complet de ses réalisations, meubles et projets sur mesure: simonjohns.com