Hors de son pays, l'homme afghan est vu comme barbu, portant des vêtements traditionnels et une kalachnikov; mais en Afghanistan, et particulièrement à Kaboul, une génération entière de mâles s'habille et se coiffe à l'Occidentale.

«En terme de mode, nous ne voulons pas être en retrait par rapport aux Européens et aux Américains», lance Mujtaba, 27 ans, dans un des nombreux salons de soins esthétiques dédiés aux hommes de la capitale, où il vient pour se faire couper la barbe «à la Wali», un chanteur de pop expatrié.

Vêtu d'un t-shirt noir et d'un jean troué, Mujtaba, qui comme de nombreux Afghans, n'utilise qu'un nom, se souvient avoir été battu du temps des talibans parce qu'il avait une coupe de cheveux légèrement élaborée. «Ensuite ils m'ont forcé à porter un turban noir. Je n'étais pourtant encore qu'un enfant.»

Après dix années d'occupation soviétique dans les années 1980 et la guerre civile qui s'en est suivi, les talibans ont régi la société d'une main de fer entre 1996 et fin 2001, jusqu'à ce que les forces de la coalition de l'Otan, menées par les États-Unis, les chassent du pouvoir.

Tout écart vestimentaire, pour les hommes, se payait alors en coups de bâtons par la sinistre «police des vices et des vertus». Les femmes n'avaient même pas ce luxe. Interdites de travail et consignées à la maison l'essentiel de la journée, elles ne pouvaient sortir qu'accompagnées par un homme et recouvertes d'une burqa.

De telles interdictions sont encore souvent respectées dans le Sud et l'Est du pays, les régions pachtounes, dont sont issus les talibans.

Mais dix années de présence occidentale ont amené la société, dans le Nord et l'Ouest, à se moderniser. À Kaboul - et dans une moindre mesure dans les autres grandes villes -, certaines jeunes femmes portent désormais des vêtements assez près du corps, recouverts par un épais manteau en hiver.

Leurs homologues masculins, les cheveux savamment coiffés en bataille, arborent des pantalons moulants ou troués.

«Chaque jour, des garçons et des filles viennent ici pour chercher des jeans, chemises et robes dernier cri», affirme Sayed Abdulla, propriétaire d'une boutique de prêt-à-porter de Kaboul.

«Il y a eu un énorme changement dans la mode et le style» cette dernière décennie, poursuit-il. Et le commerçant de se remémorer son travail sous les talibans, quand il ne pouvait vendre que le Perahan Tenban, une tenue composée d'un pantalon et d'une chemise ample, ainsi que des turbans.

«Certains médias décrivent les hommes afghans comme des gens énervés avec des grosses barbes et des longs cheveux. J'ai décidé de devenir coiffeur pour montrer que ce n'est pas toujours le cas», raconte Ali Reza, qui a appris son métier en Inde, où sa famille a fui en 1996.

À Kaboul «ces dernières années, les gars se sont passionnés pour leur look», se félicite-t-il, tout en faisant des mèches blondes à son premier client de la journée. Et d'ajouter, taquin: «Les hommes afghans sont merveilleux. Ils ont une passion pour la mode et ils ont beaucoup de style.»

Convaincue de ce fait, une chaîne privée a lancé en 2009 une émission de télé-réalité, «Afghan model», sur le modèle de «America's next top model», dans le but de dénicher un mannequin dans ce pays ravagé par la guerre.

«Nous avions demandé à quiconque voulant participer à ce programme de montrer ses vêtements, son look, se souvient Naseer Ahmad Noori, 25 ans, l'un des juges de l'émission. Des milliers de candidats se sont fait connaître, pour la plupart des hommes.»

L'émission a pourtant été arrêtée prématurément, après la grogne de religieux. Mais elle devrait reprendre en 2012.

«Il est embarrassant de voir nos hommes s'habiller comme des Américains et des infidèles», bougonne sous son turban le Mollah Naqibullah, qui boit un thé face à un salon de beauté pour hommes.

«Ce genre d'habits est totalement anti-islamique et contre les valeurs afghanes. Ces gens devraient être punis, pour leur rappeler qu'ils sont Afghans et musulmans», poursuit-il. Et de commenter, sûr de son fait: «les talibans, eux, sauraient s'occuper d'eux !»