Dans l'ombre des arbres calcinés, le sol ravagé par une éruption volcanique, les modèles de Chanel émergent de la brume sous le logo de la maison, présentant à Paris une collection pour l'hiver prochain épurée et garçonne, axée sur le noir.

«C'est une forêt nordique, où tout a brûlé. Ces filles viennent d'un autre monde. Ce côté dévasté, je trouve ça assez chic», commente le couturier Karl Lagerfeld sous la verrière du Grand Palais.

Pour résumer la collection, il renvoie au top-model Freja, «ma fille préférée», Danoise androgyne choisie pour porter deux tenues emblématiques. D'abord un pantalon noir à large revers posé sur des bottines et deux vestes noires superposées, puis une combinaison-pantalon court en dentelles noires pour le soir: «Le côté garçonne est contrasté par la dentelle et la transparence».

La comédienne Virginie Ledoyen, venue assister au spectacle tout comme les chanteuses britanniques Lily Allen et Duffy, a apprécié «tous les looks en pantalon et chaussures plates. On n'est jamais aussi féminine que quand on s'habille comme un garçon», a-t-elle expliqué à l'AFP en coulisse.

Saturé de couleurs, «Karl» rappelle que la collection sombre, avec à peine quelques touches de vert forêt et de rouge profond, n'est pas destinée à être «portée à Ibiza»: «On vient de quitter l'été, c'est la rentrée, on a envie d'autre chose. En hiver, j'adore la brume, je trouve ça assez poétique».

Pour ce prêt-à-porter de luxe, il vise une silhouette jeune, puisant dans le vestiaire masculin comme aimait à le faire Coco Chanel. «Je ne voulais pas que ça fasse bourgeois. Mlle Chanel, c'est l'anti-bourgeoise même!», rappelle-t-il.

Sur une bande son nerveuse et vaguement inquiétante, la chanson «A forest» de The Cure, défilent capes argentées, pantalons gris et noirs retroussés ou à large ourlet, tailleurs kaki ou en tweed marine dont les fils de laine dépassent. Le soir, beaucoup de pantalons encore mais aussi de petites robes, plutôt sages et noires toujours, ouvertes sur le dos ou avec de petites manches bouffantes comme une Blanche Neige émergeant du désastre.

Interrogé sur l'affaire Galliano, qui a assombri le début de cette Semaine de mode parisienne, M. Lagerfeld a estimé qu'il était temps de passer à autre chose: «Ça date déjà de la semaine dernière!».

John Galliano, directeur artistique adulé de Dior pendant quinze ans, est devenu persona non grata en l'espace de quelques heures: poursuivi pour injures raciales, il a été licencié mardi dernier après le choc suscité par ses propos proférés alors qu'il était ivre, dans une vidéo circulant sur internet, dont «J'adore Hitler».

«C'est dommage, ça donne une très mauvaise image de la mode. Après on passe tous pour des dingues et des drogués!», a regretté M. Lagerfeld, qui s'est abondamment exprimé sur la chute spectaculaire de son confrère britannique.

«Quand on se trouve à la tête d'une immense affaire, on est obligé de tenir la boutique et de ne pas se laisser aller. Et ne me parlez pas du stress (des collections), c'est un peu facile tout ça. Si on a le trac, il faut faire un autre métier».

Il s'est félicité, en revanche, des mouvements annoncés de couturiers au sein des grandes maisons, affirmant de son côté ne pas être lassé par la maison Chanel dont il est le créateur depuis plus d'un quart de siècle.

«Moi j'essaye de me réinventer, pour que ça ne se répète pas. 90% de ce que je fais, Chanel ne l'avait pas fait avant.»