La créatrice Marie Saint Pierre, fervente partisane de la Semaine de mode, travaille à quelques pas du marché Atwater, dans son atelier de couture. Nous y avons rencontré la doyenne de la mode québécoise pour faire le point sur sa carrière.

Dans quelques jours, la créatrice fera la clôture de la 20e Semaine de mode de Montréal, à laquelle elle n'a presque jamais fait faux bond. La saison dernière, elle avait opté pour une formule «cocktail» à l'extérieur du Marché Bonsecours. Mais cette saison, il lui semblait impensable de ne pas faire partie de l'aventure: «Ne pas défiler deux fois de suite à Montréal ferait du tort à la Semaine de mode et cela, je ne le veux surtout pas!» dit-elle.

Marie Saint Pierre, femme de caractère et de convictions, chevalier de l'Ordre national du Québec, lauréate de nombreux prix honorifiques, bourses et autres récompenses pour la valeur (sûre) de ses créations, a toujours fait montre de son esprit entrepreneurial et de son engagement envers la communauté.

Pour celle qui, jeune femme, songeait à embrasser une carrière d'architecte, la mode est bien plus qu'un simple moyen d'expression: «Pour faire rêver, il faudrait proposer des modèles impossibles à porter, explique-t-elle. À l'inverse, je propose des vêtements portables, modulables, adaptables, du bien-être.»

Au fil des années, soit quelque 45 collections plus tard, la créatrice conceptualise une mode de plus en plus épurée, simplifiée, concentrant parfois l'essentiel de sa réflexion sur une jonction entre deux tissus, sur une simple couture. Pour preuves, ses effets de style apparaissent de plus en plus graphiques, linéaires, voire «cartésiens». Elle avoue aimer désormais plus que tout «une couture bien faite, presque architecturale».

Une création de Marie Saint Pierre

Et voilà que deux de ses passions ont fini par se rejoindre... Sa monture noire de lunettes, très stylisée, encadre un visage concentré lorsque Marie Saint Pierre s'interrompt pour la séance photo. Elle joue avec l'asymétrie de son gilet, croise, décroise les jambes, et invite son caniche royal à la rejoindre pour «le portrait de famille». S'amusant encore à créer un effet de volume ici ou là, elle prend la pose et ajoute: «Les vêtements que je crée laissent beaucoup de liberté aux femmes, j'aime l'idée qu'elles puissent les adapter selon les circonstances et, surtout, qu'ils ne soient pas ancrés dans la mode.»

Indémodables? C'est ce que l'on pourrait croire, à voir l'engouement de ses clientes qui ne se dément pas pour le «froissé», sa marque de fabrique, appelé à traverser les années sans un faux pli. Mais rendons à César ce qui est à César (et sa toge impériale), la créatrice est au froissé ce qu'Issey Miyake est au plissé.

Marie Saint Pierre se remémore: «C'était en 1995, à la faveur de mon premier défilé à Paris. J'avais commandé de sublimes tissus qui ne sont jamais arrivés, alors j'ai dû me rabattre en catastrophe sur de simples taffetas. Je les ai peints, puis suspendus au-dessus d'un bain d'eau froide, et là le tissu a commencé à se rétracter. J'ai accentué l'effet à coups de fer à repasser.»

Ce coup du hasard lui vaudra d'être repérée et reconnue par la clientèle, et ses vêtements seront vendus dans les très branchés magasins parisiens L'Éclaireur ou Maria Luisa. Une carrière parisienne s'offrait ainsi à elle, mais la créatrice a décidé de rentrer au pays. La suite de l'histoire lui donnera raison. Son mentor, le peintre québécois Jean-Paul Riopelle, n'avait de cesse de penser la peinture comme art et non comme un moyen de faire de l'argent. «Ça existe encore», dit-elle.

Face à la concurrence impitoyable des grandes multinationales, Marie Saint Pierre a fait sa place au soleil et surfe parfaitement entre mode, design de collections pour la maison et création de fragrances.

À la question: «De quoi sera fait l'hiver prochain?», la réponse arrive sans détour: «Il y aura beaucoup de mélanges de matières, de textures et de trompe-l'oeil. C'est comme si les accessoires étaient intégrés aux silhouettes. Pratique, non?»

Un coup d'oeil circulaire laisse entrevoir, suspendus sur les portants, des robes, des manteaux, du noir, du gris, des paillettes, une robe façon origami, entre autres créations. Une collection qui se signale d'emblée comme particulièrement sobre et chic. La visite se terminera par un détour du côté de l'atelier de couture. Chez Marie Saint Pierre, tout est fabriqué sur place et tout est recyclable. L'expression «rien ne se perd, rien ne se jette, tout se recycle» prend tout son sens.

Une création de Marie Saint Pierre